Dr. Ives Martin Ahanda Assiga, chirurgien: « C’est une intervention qui a nécessité près de deux ans de préparation

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En tant que chirurgien, comment avez-vous accueilli la nouvelle ?

C’est une très bonne nouvelle pour tous les chirurgiens d’abord et normalement même pour tous les camerounais, pas simplement pour les patients atteints d’insuffisance rénale. Et puis, je crois que c’est une consécration aussi de la vocation de l’Hôpital général. L’Hôpital général est l’hôpital de référence dont en la matière, il doit innover, il doit prendre des risques, il doit améliorer non seulement le plateau technique, mais le type d’intervention que nous réalisons. Donc c’est une excellente chose pour l’Hôpital général de Yaoundé.

Que devraient être, selon vous, les préalables de ce gros engagement médical ?

Je pense que les préalables ont été remplis, et d’ailleurs vous l’avez entendu, c’est une intervention qui a nécessité près de deux ans de préparation. Il ne s’agit pas d’une expérimentation, mais comme c’est la première au Cameroun, il fallait s’entourer de toutes les précautions nécessaires. Le plateau technique est parfaitement capable de supporter cette double intervention puisqu’il s’agit de prélever chez un patient et d’implanter chez l’autre dans un même temps puisqu’on part d’un donneur vivant. Donc il faut avoir un plateau technique capable de répondre à cette double exigence, il faut pouvoir répondre sur le plan anesthésique, sur le plan réanimation aux différentes complications qui peuvent survenir. Et puis, la grosse difficulté c’était l’absence de cadre législatif. Il faut trouver un cadre ethnique qui permette la réalisation de cette intervention.

Vous avez été député à l’Assemblée nationale, que prévoit la législation en la matière ?

La législation en la matière n’est pas complexe. Bien entendu la pratique médicale est encadrée mais là nous rentrons quand même dans des pratiques qui nécessitent de tenir compte de la réalisation africaine. Il y a une loi qui est en étude, elle n’a pas encore été proposée, elle n’a pas été votée. Plus qu’une loi, un cadre. Je veux dire un cadre législatif pour encadrer la possibilité de mettre à disposition des reins et la possibilité de les implanter. Ces deux choses sont pour cela qu’il n’ait de collision entre les différents groupes sans pour autant qu’il ait une influence, sans ça ne passe sous le coût de l’achat du rein, du trafic d’organes, vous imaginez tout ce qu’il peut y avoir dernière. Il y a aussi les considérations éthiques, les considérations religieuses. Il faut mettre des gardes sur la pratique. Mais le plus important dans cette intervention c’était de s’assurer et de démontrer la faisabilité de ce geste sur le sol camerounais et en particulier à l’Hôpital général de Yaoundé.

Vous qui êtes à l’hôpital, quelle est l’évolution de la première journée de cette opération ?

Ça s’est très bien passé. Il n’y a pas eu de soucis particuliers, je suis passé en réanimation et les deux patients allaient bien aussi bien celui chez qui on avait prélevé le rein que son frère chez qui le rein avait été implanté. Il faut savoir que dans ce type d’intervention il y a différentes phases et sur ces différentes phases de suivi post-opératoire il y a à chaque phase un certain type de complications et qui peuvent arriver. Et s’agissant de la transplantation des reins, on peut regretter un rein plusieurs années après. Je pense le président de l’association des hémodialysés a été transplanté et son rein a été rejeté 9 ans après.

Sachant que lorsqu’on a été transplanté on doit commencer à prendre des anti-régis dès le premier jour jusqu’à la fin de la vie, Que peut-on attendre de la suite de cette opération ?

Oui ! Il y a l’intervention et puis il y a un traitement médical qui permet justement au corps humain d’accepter cet organe qui n’est pas le sien quand bien même il est issu de la fratrie ou de l’ascendance directe. Et donc c’est un traitement mais qui n’a rien à voir avec une hémodialyse où vous devez passer deux ou trois fois par semaine pendant quatre heures avec les difficultés et les contraintes que nous connaissons notamment la fatigue. L’objectif c’est de passer d’une transplantation à des transplantations. À partir du moment où on a montré que le plateau technique permet de le faire, il faut maintenant le faire de façon permanente. Et là-dessus, cette opération a vocation à accélérer la mise en place d’un cadre législatif qui va permettre à tous ceux qui souhaitent et à tous ceux qui peuvent bénéficier de cette intervention de pouvoir en faire usage. 

Est-ce que vous pensez que le nombre impressionnant de malades sous dialyse au Cameroun peut bénéficier de cette greffe à partir de l’expérience de l’Hôpital général ?

Oui ! Ça commence par l’Hôpital général et lorsque la pratique sera bien maîtrisée, il y aura probablement d’autres centres qui pourront faire la transplantation. Mais même en Europe tous les hôpitaux ne font pas la transplantation. Il y a des centres qui sont dévolus à cela et je le répète parce que c’est très important, la problématique ne se situera sûrement pas sur le plateau technique ou les praticiens qui sont en mesure de le faire ; là se sont des équipes en grande partie composées des camerounais qui vont faire cette intervention sous la supervision du Pr. Berner, des hôpitaux de Genève car lorsqu’on fait quelque chose pour la première fois, il faut avoir quelqu’un qui soit rompu à cette pratique pour le faire. Ça sera surtout la possibilité de disposer des greffons c’est-à-dire des rats. Dans quelle condition on va disposer d’un greffon ?

Quelle condition à remplir pour pouvoir disposer d’un rat quand bien même ce rat est issu de la fratrie ?

 Ce n’est pas parce que votre sœur est compatible que vous allez lui mettre le couteau sur la gorge pour qu’elle vous donne un rein. Ce n’est pas parce que votre sœur est compatible qu’elle a envie de vous donner un rein, qu’elle pourra facilement vous donner un rein. Il y a un cadre législatif dont il faut s’imprégner par rapport aux méthodes, au cadre ailleurs mais qu’il faut adapter à nos coutumes, à nos traditions, à nos façons de faire.

Est-ce que l’hôpital a suivi ce cheminement ?

Pour ce patient l’hôpital a suivi ce cheminement. Toutes les étapes ont été respectées, les vérifications ont été faites, le Pr. Berner l’a dit, aussi bien sur la technique, sur le plan éthique, sur le plan familial, tout a été bien pensé et encadré afin que cette expérimentation ne souffre pas en amont de difficultés. Et si par malheur elle venait à ne pas bien se passer, alors on recommencera parce qu’on a vocation à y arriver.

Dans le cas d’espèce, s’il y a un rejet après ?

Le problème c’est de savoir quel sera le motif de ce rejet. Quel que soit l’endroit où une transplantation est pratiquée, quel que soit la probabilité de compatibilité qui peut y avoir entre le donneur et le receveur, quel que soit la proximité famille qui existe entre le receveur et le donneur, la possibilité d’un rejet existe. Elle n’est jamais totalement nulle. Donc s’il y a un rejet, on étudiera les raisons pour lesquelles ce rejet s’est passé et on recommencera parce que sur le plan du besoin, vous avez dit tout à l’heure le nombre d’hémodialysés que nous avons sur le territoire camerounais et beaucoup d’entre eux ne peuvent pas se déplacer. L’État camerounais a fait beaucoup d’efforts, sous l’impulsion du chef de l’État mise en place par la colonne vertébrale gouvernementale (le Premier ministre, le ministre de la Santé) pour doter les hôpitaux d’un plateau technique capable de réaliser ces interventions. Il faut donc pouvoir le faire. Des hôpitaux sont créés dans le 10 régions régulièrement et ces hôpitaux ont vocation, dans un futur proche, à pouvoir eux aussi transplanter et donner satisfaction aux patients camerounais qui en ont besoin.

Quel est le coût de la double opération ?

Je ne saurais vous donner une information dans la mesure où il y a eu une participation à la fois de la famille et de ceux qui sont venus nous aider à la faire et puis une prise en charge gouvernementale au travers du ministère de le Santé publique qui a été à chaque étape informé du déroulement et de la préparation de cette intervention. Il est évident qu’elle va s’inscrire à mon sens dans le cadre de la Couverture santé universelle (Csu) qui, à mon avis, ne va plus tarder à prendre place. C’est une intervention qui est assez lourde. Aujourd’hui vous avez l’hémodialyse qui est subventionné, le Cameroun est d’ailleurs l’un des pays où les séances d’hémodialyse coûte le moins cher aussi bien au niveau de la sous-région qu’en Afrique. Et il n’y a pas de raison que la transplantation ne soit pas prise en charge.

Que préconisez-vous pour alléger les souffrances des malades ?

Il faut d’abord être informé de ce que c’est que l’insuffisance rénale parce que bien souvent les gens ne sont pas informés ni de ce qu’est la maladie ni des causes de cette maladie. Il faut avoir une alimentation saine, il faut boire beaucoup d’eau. Lorsqu’on a une pathologie qui a un retentissement sur les petits verseaux notamment, le diabète, il faut faire attention, il faut prévenir parce que le plus important c’est de prévenir l’insuffisance rénale. Lorsqu’elle est installée, vous n’avez pas beaucoup d’autre choix. Soit c’est la dialyse soit c’est la transplantation. Donc pour ces patients il n’y a pas d’autres alternatives. Le rein un organe de filtration, si vous ne filtrez pas votre sang, vous vous empoisonné.

Propos recueillis par Kévine NGOMWO (Stg)

 

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