Colomine Une mine d’or tropicale transformée en forêt toxique L’exploitation de l’or à Colomine, dans l’arrondissement de Ngoura, département du Lom et Djerem, région de l’Est, est responsable de la destruction de l’environnement, de la pollution des sources d’eau et des nappes phréatiques
Debout sur les rives accidentées d’une grande étendue d’eau, Oumarou Abba, membre du Comité de vigilance dans la localité de Colomine, raconte avec amertume l’histoire des lacs artificiels créés par les Chinois. « Des Chinois sont venus ici faire l’exploitation minière de l’or ». Ils ont obstrué le lit de la petite rivière qui traverse notre village et n’ont pas créé un autre passage pour l’eau. Celle-ci est donc venue remplir l’une des fosses qu’ils ont laissées derrière eux. Cette eau que vous voyez peut atteindre 15 ou 20 mètres de profondeur », l’air désemparé.
À Colomine, il n’y a ni eau potable, ni électricité et c’est un endroit où le réseau téléphonique est on ne peut plus aléatoire. On n’est pas loin d’une catastrophe écologique provoquée par l’exploitation minière. Un peu partout, les exploitants miniers Chinois ont laissé derrière eux un paysage constitué d’immenses fosses béantes qui défigurent le paysage et qui, en cette saison des pluies, sont autant de petits lacs artificiels qui s’étendent à perte de vue.
Un paysage qui contraste avec l’aspect originel de ces lieux que l’on peut aisément deviner en r
egardant la forêt et les prairies voisines. « Regardez comment ils ont tout enlevé et dévasté nos terres ». Ils sont tous partis sans refermer les trous. « Vraiment, c’est malheureux », regrette David Darman, 1er notable de la chefferie traditionnelle de 3e degré de la communauté Gbaya.
Les populations de Colomine sont traumatisées. « Ça fait cinq à six ans que je vis ici avec ma famille. » Vraiment nous-même, nous sommes dépassés par rapport aux trous que les Chinois ont creusés derrière notre maison. Nous sommes en danger parce qu’il y a des failles sur nos maisons partout. Quand je suis dans ma maison, je vois tout ce qui est dehors à cause de l’impact des failles. « Nous avons essayé en vain de les convaincre de ne plus creuser les trous derrière nos maisons en vain », fustige Mamadou Lamine, commerçant à Colomine, âgé de 35 ans. Il n’oubliera pas de sitôt comment les Chinois ont détruit leurs plantations pour s’installer.
Le chef de la communauté Gbaya et celui de la communauté musulmane ont déjà d’ailleurs identifié et répertorié plus d’une dizaine de maisons à dédommager par les Chinois. Mais malgré les récriminations des populations locales et les dénonciations de ces autorités traditionnelles, les exploitants en question, forts de la caution qu’ils ont des fonctionnaires de Yaoundé, font la sourde oreille et continuent leurs activités dans une totale indifférence.
Destruction de la flore et la faune
En effet, le cyanure et le mercure contaminent les sols et les nappes phréatiques à jamais. Même lorsque les mines d’or sont fermées, les gravats traités au cyanure émettent des acides sulfuriques toxiques pendant des décennies. À cela s’ajoute l’abattage d’arbres géants dans les forêts vierges. Des pelleteuses creusent la terre, laissant derrière elles des paysages lunaires (1 000 kilos de déchets toxiques et de déblais sont produits pour obtenir seulement 0,24 grammes d’or).
Une bague en or produit à elle seule 20 tonnes de déchets hautement toxiques. Le chef de la communauté Gbaya, Sa Majesté Symphorien Haïto, signale que les enfants sont envoyés dans des puits étroits et lavent le minerai contenant de l’or à mains nues dans des mélanges à base de mercure. Sur l’un des sites minerais de Colomine que nous avons visité, le spectacle est désolant : immenses excavations, végétation dévastée, écoulement des cours d’eau perturbé… L’entreprise déménage lorsqu’elle a fini d’exploiter la mine ou lorsqu’à un moment donné, elle estime que le gisement n’est pas en quantité suffisante pour lui garantir un retour sur investissement. « C’est ce dernier cas de figure que nous vivons ici », indique l’intéressé. Mais pourquoi ne pas restaurer le site avant de partir, comme le prescrit la loi ? La loi portant sur le Code minier prévoit en effet un fonds destiné à la restauration, à la réhabilitation et à la fermeture des sites miniers après leur exploitation.
Mais personne ne sait si le compte séquestre censé recueillir ces fonds existe… Le reporter du quotidien Le Messager a essayé de rencontrer le responsable du Cadre d’appui et de promotion de l’artisanat minier (CAPAM), mais il s’est dit indisponible pour un échange sur le sujet. Sur le nouveau Code minier qui garantit une meilleure implication de la commune dans l’activité minière. « Par exemple, il introduit le concept de notice d’impact environnemental qui doit au préalable être approuvée par la commune ; là où l’ancien code se limitait à une étude d’impact environnemental approuvée au niveau central à Yaoundé », soutient un cadre du ministère des Mines qui a requis l’anonymat.
La conséquence immédiate de cette situation, c’est la destruction de la flore et la faune, la dévastation des vastes étendues de terres et la pollution du fleuve Kadey, principal cours d’eau dans la zone en question. Un environnementaliste qui a requis l’anonymat en énumère d’ailleurs quelques-unes. « Les trous béants constituent des pièges pour la faune sauvage, pour les animaux domestiques et même pour les êtres humains », dit-il pour commencer. « Ces trous sont laissés là où il y avait auparavant une végétation qui a été enlevée sans mesure de reboisement ; donc, la flore aussi en souffre », poursuit-il. « Enfin, ils contribuent à la perturbation de certains cours d’eau, avec des risques d’inondations des habitations et des plantations, en plus de la pollution de la ressource hydrique et de la destruction de la faune aquatique », conclut l’intéressé.
Elvis Serge NSAA, de retour de Colomine