Couverture santé universelle: Les défis et les opportunités au Cameroun selon Amy Boldosser-Boesch

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La directrice technique principale de MSH pour la politique de santé a partagé son expertise lors de sa visite au Cameroun. Elle a mis en avant les progrès réalisés en matière de santé, tout en soulignant les défis persistants, notamment en matière d’accès aux soins pour les populations les plus vulnérables.

L’experte mondiale en santé, a souligné l’importance d’une couverture santé universelle inclusive et adaptée aux besoins spécifiques des populations.

Aussi, Amy Boldosser-Boesch a appelé à une approche globale de la santé, intégrant les dimensions sociales, culturelles et économiques. P6-7

Dans quel contexte arrivez-vous au Cameroun ?

Bien que j’ai eu à faire des plaidoyers avec des communautés et des partenaires dans plus de 30 pays dans le monde, c’est la première fois que j’arrive au Cameroun. Je suis là dans le cadre du « US Speaker Program » qui est un programme d’échanges entre experts des questions de santé qui regroupe les officiels, les ONGs, les travailleurs du secteur de la santé et même les étudiants d’ailleurs dans le cadre de ces activités j’ai échangé avec ceux de l’université catholique d’Afrique centrale. L’idée ici était de mieux comprendre les défis du système de santé camerounais mais aussi les opportunités pour améliorer la santé des femmes, des enfants et des adolescents dans le pays.

De ces échanges avec les officiels, la société civile, les étudiants… qu’est ce qui a le plus marqué votre attention ?

J’ai été particulièrement impressionnée par l’engagement fort de toutes les parties prenantes au Cameroun en faveur de l’amélioration du système de santé publique, avec un accent marqué sur la santé des femmes et des filles.

Il est remarquable de constater que, malgré les défis, le Cameroun a réussi à lancer un programme de Couverture Santé Universelle (CSU) dans sept régions, mettant l’accent sur des services essentiels tels que les soins prénataux, la prise en charge des femmes enceintes et des enfants, ainsi que sur des traitements coûteux comme la dialyse. Ce programme témoigne d’une volonté politique forte et d’un engagement concret à améliorer l’accès aux soins pour tous.

Cependant, j’ai également noté que le leadership féminin dans le secteur de la santé reste un défi, alors même que les femmes représentent 70% des travailleurs de la santé. Il est crucial d’encourager davantage de femmes à accéder à des postes de décision pour garantir une meilleure représentation des besoins spécifiques des femmes.

Au niveau mondial, j’ai pu constater que la mise en place d’une CSU est un processus complexe qui nécessite des investissements importants et une coordination entre différents ministères. Le Cameroun a réussi à faire des progrès significatifs dans ce domaine, malgré les contraintes financières.

Je suis également très satisfaite de voir que le gouvernement américain s’est engagé à soutenir ces efforts. Cette collaboration internationale est essentielle pour atteindre les objectifs de la CSU au Cameroun.

Quelle proposition feriez-vous dans le sens de l’amélioration de l’approche CSU au Cameroun ?

Les premiers pas de la Couverture Santé Universelle (CSU) au Cameroun sont prometteurs. Cependant, pour assurer son succès, plusieurs défis restent à relever. Il est essentiel de renforcer la communication pour sensibiliser la population aux avantages de la CSU. En effet, bien que des efforts de sensibilisation soient déjà en cours, il reste encore beaucoup à faire pour que les populations, en particulier celles des zones rurales, comprennent pleinement ce qu’est la couverture santé universelle et comment en bénéficier.

Par ailleurs, la pérennité de la CSU dépendra d’un engagement politique fort et de ressources financières stables. Il est donc très important, voire déterminant de maintenir une mobilisation continue de tous les acteurs concernés, tant au niveau national qu’international.

Très souvent quand on parle de santé au Cameroun il y a une minorité qui est oubliée, c’est la population carcérale : quelle approche proposez-vous pour améliorer leurs conditions de vie notamment celles des femmes et des adolescentes ?

J’ai souhaité mettre en lumière l’importance de la couverture santé universelle (CSU) au Cameroun, qui en est à ses débuts. En particulier, j’ai souligné la nécessité d’inclure les populations les plus marginalisées, notamment les personnes incarcérées.

Les données sur l’accès aux soins de santé montrent souvent un écart important entre les chiffres officiels et la réalité vécue par les détenus. Cesderniers sont trop souvent oubliés dans les politiques de santé publique, alors qu’ils sont particulièrement vulnérables. Il est donc crucial de veiller à ce que la CSU soit accessible à tous, sans exception, et que les personnes privées de liberté bénéficient également de ces avancées.

Le 10 octobre était journée mondiale de la santé mentale. Selon vous, comment intégrer la santé mentale dans les programmes de santé maternelle et infantile ? Quel rôle peuvent jouer les communautés locales pour promouvoir la santé mentale ?

J’ai souligné l’importance de la santé mentale des femmes, en particulier dans le contexte de la maternité. De nombreuses femmes souffrent de dépression post-partum, un problème souvent négligé. Il est essentiel d’investir davantage dans les services de santé mentale, au même titre que pour les maladies infectieuses.

J’ai rappelé les engagements pris par les pays membres des Nations Unies, notamment le Cameroun, en faveur de la couverture santé universelle et de l’amélioration de la santé mentale. Il est impératif que ces engagements se traduisent en actions concrètes au niveau national au lieu de rester dans la paperasse.

Nous devons déconstruire les tabous autour de la santé mentale et encourager les femmes à en parler librement. Les professionnels de santé ont un rôle essentiel à jouer dans ce processus. La santé mentale est un aspect indissociable de la santé globale.

Comment pouvons-nous encourager les femmes camerounaises à se faire dépister régulièrement et à prendre soin de leur santé mentale, tout en surmontant les obstacles liés aux coûts, à la culture et à l’accès aux soins ?

Lors d’un échange à l’ambassade des États-Unis avec les officiels et la société civile, j’ai souligné l’importance cruciale de la prévention en matière de santé féminine, en particulier pour les cancers du sein et du col de l’utérus. J’ai rappelé que le dépistage précoce et l’accès aux soins sont essentiels pour sauver des vies.

J’ai également mis en avant la nécessité de renforcer la culture de la prévention au Cameroun, en encourageant les femmes à se faire dépister régulièrement. J’ai souligné que l’accès à des services de santé de qualité, y compris la santé mentale, est un droit fondamental.

La couverture santé universelle, qui permet à tous d’accéder aux soins dont ils ont besoin, est une solution pour garantir une meilleure prévention et une prise en charge plus efficace des maladies. J’ai également évoqué l’importance de la vaccination contre le papillomavirus pour prévenir le cancer du col de l’utérus.

Enfin, j’ai abordé la question de la santé mentale, qui est souvent taboue dans nos sociétés. J’ai souligné l’importance de déconstruire les stigmates associés à la santé mentale et de fournir un soutien adéquat à ceux qui en ont besoin.

Parlant de la santé de la reproduction, comment peut-on faire évoluer les politiques et les mentalités au Cameroun pour permettre aux femmes d’avoir accès à des services d’avortement sûrs et légaux, et ainsi réduire considérablement la mortalité maternelle ?

Les avortements pratiqués dans des conditions non médicalisées représentent une menace majeure pour la santé des femmes, notamment dans des pays comme le Cameroun. Selon les estimations, environ 40% des décès maternels seraient liés à ces pratiques dangereuses. Il est donc important de souligner que ce chiffre ne reflète probablement qu’une partie de la réalité, car de nombreux cas ne sont pas déclarés.

En offrant un accès sécurisé et légal à l’avortement, nous pouvons sauver des vies féminines et améliorer considérablement la santé maternelle. Il s’agit d’une question de santé publique et de droits humains.

Quel rôle peuvent jouer les organisations de la société civile pour défendre les droits des femmes en matière de santé reproductive ? Comment impliquer les communautés et les leaders religieux dans le débat sur l’avortement ?

L’accès à la contraception est essentiel pour réduire le recours à l’avortement non sécurisé, qui constitue un grave danger pour la santé des femmes. Cependant, même dans les pays où l’avortement est légal dans certaines circonstances, les femmes rencontrent souvent des obstacles pour y accéder. Les causes sont multiples : stigmatisation, procédures administratives complexes, peur des répercussions juridiques et manque de formation des professionnels de santé.

Il est important de comprendre que l’avortement n’est pas seulement une question de santé reproductive, mais aussi une question de droits humains et d’égalité des sexes. Les femmes victimes de violences sexuelles, par exemple, ont le droit d’accéder à des services d’avortement sans jugement ni obstacle.

Pour réduire la mortalité maternelle liée à l’avortement, il est nécessaire de dépénaliser l’avortement dans des conditions sûres et légales, de former les professionnels de santé, de sensibiliser le public et de lutter contre les stigmatisations.

Comment concilier les pratiques traditionnelles de santé avec les avancées de la médecine moderne au Cameroun, pour améliorer l’accès aux soins de santé reproductive, en particulier dans les communautés où les croyances culturelles sont très fortes ?

Les croyances culturelles et les idées reçues représentent un obstacle majeur à l’accès aux soins de santé reproductive, en particulier à la contraception et à l’avortement sécurisé. Il est essentiel de reconnaître l’importance de ces croyances tout en travaillant à les remettre en question de manière constructive.

Pour y parvenir, il faut privilégier une approche qui combine respect des cultures et éducation scientifique. Cela implique de travailler en étroite collaboration avec les communautés, en particulier les leaders traditionnels, pour développer des messages de santé adaptés et en lesquels les populations ont confiance. Par ailleurs, il est nécessaire de former les professionnels de santé à prendre en compte les dimensions culturelles dans leur pratique.

En somme, il s’agit de construire des ponts entre les systèmes de santé traditionnels et modernes, en mettant l’accent sur la confiance et la collaboration.

Interview réalisée par Mireille Siapje

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