
Dr Yamen Soulé Georges Saturning, Directeur de l'hôpital de District de Bafia
Comment se porte l’hôpital de District de Bafia?
L’hôpital de District de Bafia va bien, malgré les difficultés que nous rencontrons. Comme vous pouvez l’imaginer, un hôpital comme celui de Bafia connaît tous les problèmes de démographie que rencontrent pratiquement toutes les formations sanitaires dans notre pays.
Comment se passe la prise en charge des patients à l’hôpital de district de Bafia ?
À notre arrivée ici en 2022, nous avons trouvé un sérieux problème de prise en charge des patients. Il fallait rapidement trouver une stratégie pour palier à cela. Ce que nous avons fait, c’est d’implémenter les modèles qui ont souvent marché dans certains grands hôpitaux dans ce sens. Je profite de votre tribune pour féliciter le Pr Essomba pour sa nomination au rang de Directeur de l’hôpital Général de Yaoundé. On a un peu triché ce qu’il faisait à Laquintinie au moment où il était directeur de ce côté-là en mettant sur pieds ce qu’on appelle ici « le Bon Vert ». Il s’agit d’un document qui est signé et remis au patient qui arrive en urgence vitale avec de l’argent ou pas. Cela permet qu’on vous prenne en charge jusqu’à lever l’urgence vitale qui vous a amenée même au bloc opératoire. Et après, on négocie les paiements qui ne sont pas toujours faciles.
Qu’est-ce qui est fait pour la qualité des soins des populations étant donné que l’hôpital semble être à l’étroit ?
Dire que l’hôpital est à l’étroit ne serait pas juste. Au contraire, nous avons suffisamment d’espace sur le plan de la superficie. C’est un hôpital qui est conçu sur près de quatre hectares. Mais les quatre hectares ne sont pas tous utilisés. Ainsi, les infrastructures sont bâties sur à peu près un hectare et demi, voire deux hectares. Mais sur le plan de la fréquentation, on se sent déjà un peu étouffé. Parce qu’il y a certaines prestations que nous ne sommes plus en mesure de fournir. Vu qu’aujourd’hui, l’hôpital est passé d’une fréquentation de 6 000 patients en 2022 à 26 558 patients (soit une moyenne de 2213,16 patients reçus par mois et 74 patients par jour) en 2024. Cela fait une progression nette d’environ 27 % pour seulement trois spécialités, à savoir : la chirurgie, l’ORL et la gynécologie. Pourtant, il y a des demandes qui s’accumulent pour les autres spécialités de pointe et du tout-venant, telles que : la médecine interne, la cardiologie, la pédiatrie et bien d’autres.

Vue de l’intérieur d’une salle d’hospitalisation.
Quels sont les cas qui sont fréquents au sein de votre formation sanitaire ?
La situation géographique de l’hôpital de district de Bafia n’est plus à démontrer aujourd’hui. Nous sommes à mi-chemin entre les deux métropoles que sont Yaoundé et Bafoussam, situées sur la nationale N°4, qui est une route très accidentogène, avec une moyenne de 256 accidents recensés en 2024. Vous imaginez bien que lorsqu’on dit accident de la route, il y a plusieurs pathologies. A noter les traumatismes crâniens, thoraciques, les fractures fermées ou ouvertes, etc. Le fait que nous soyons à mi-chemin entre ces deux métropoles fait en sorte que nous soyons toujours sollicités en cas d’hécatombe. Nous ne sommes pas toujours en mesure de répondre de manière efficace aux sollicitations dues à ces problèmes-là pour plusieurs raisons. La première est la technique du plateau. On a un plateau technique qui est assez limité et qui ne nous permet pas de prendre en charge certains cas. Un patient qui fait un hématome sous-dural, nous ne sommes pas en mesure de le prendre en charge ici. Dans un tel contexte, s’il faut transporter un malade à Yaoundé, il a tout le temps de mourir en route. D’un autre côté, c’est la qualité de la ressource humaine. Comme je le disais tout à l’heure, à ce niveau, moi, par exemple, je suis chirurgien, mais je ne peux pas tout faire, malgré le fait que j’ai un diplôme en chirurgie générale.
Comment s’implémente la Couverture Santé Universelle à l’hôpital de district de Bafia ?
La Couverture Santé Universelle se passe bien. Les consultations des enfants âgés entre 0 et 5 ans sont gratuites. Au sein de notre formation sanitaire, il y a des enrôlements qui sont en train d’être faits et qui se poursuivent. À tous les pôles d’entrée des patients, nous avons posté des gens pour faire des enrôlements pédiatriques, maternités et autres en fonction de ce qui est dans le forfait actuel qui constitue la phase 1 de la couverture santé universelle. Elle prend en charge le patient tuberculeux, le patient atteint de VIH, les femmes enceintes, les enfants de 0 à 5 ans, etc.

La prise en charge et l’entretien des patients effectif.
Quels sont les besoins de votre hôpital en ce moment ?
Les besoins se situent sur le plan des ressources humaines et des équipements. Sur le plan des ressources humaines, l’hôpital de district de Bafia a besoin de tous les grades, toutes les catégories. Car, en ce moment, cette formation sanitaire n’a aucun médecin généraliste affecté. Tous les trois médecins généralistes actuels de l’hôpital de district de Bafia sont tous des vacataires. Au niveau des Infirmières diplômées d’État, nous en avons cinq. Au niveau des aides-soignants, on compte à peine deux. Vous comprenez donc que tout est à refaire sur ce plan-là. Les plaidoyers ont été faits auprès de la hiérarchie. Nous restons toujours en attente. Sur le plan infrastructurel, l’hôpital de Bafia a besoin d’un Bloc Urgence digne de ce nom. Le Comité de gestion de l’hôpital s’est battu depuis fin 2022, début 2023 pour réaménager un local qui servait d’accueil en Urgences chirurgicales-médicales. Sauf que ce n’est pas suffisant. Beaucoup reste à faire.
Il faut compléter les divisions, mettre les portes, installer un bloc d’oxygène, installer un laboratoire d’urgence, une caisse, des dortoirs pour les infirmiers et les médecins de garde. Bref, il reste encore beaucoup à faire. Au niveau de la maternité, c’est assez étroit. Au niveau de la pédiatrie, nous nous sommes battus pour réorganiser les choses. Mais, ce n’est pas toujours facile. Pour ce qui est de la chirurgie, le comité de gestion s’est réuni pour essayer de refaire le bloc opératoire dont le cadre était vétuste avec un plafond en contreplaqué qui menaçait de s’effondrer sur les patients. Avec le comité de gestion, nous avons pu remplacer ce plafond pour mettre des lambris. Sur le plan des équipements maintenant, le bistouri électronique fonctionne parfois, parfois non. Les aspirateurs et la machine d’anesthésie ne fonctionnent pas! Bref, vous voyez qu’il y a beaucoup de choses à refaire.

Le Directeur et le président du Conseil de gestion de l’hôpital aux côtés des patients.
Comment le directeur s’y prend-t-il pour calmer les ardeurs de la population qui veut recevoir des soins lorsqu’il y a un mouvement d’humeur ?
La sollicitation est énorme. Tout le temps, nous sommes en afflux massif. Et je vais peut-être vous surprendre en vous disant que nous avons la chance d’être des fils de Bafia. Donc, le défi est énorme. Le fait d’être fils de Bafia, c’est ce qui calme les ardeurs de la population pendant les périodes d’incompréhension. Tous ces parents me connaissent. Tous ces enfants me connaissent. Le fait de me voir à la manœuvre rassure la communauté. Je descends sur le terrain. Je vais aux urgences. Sur la porte les patients ensemble. Sur les traités ensemble. Cela contribue beaucoup à calmer la population. Je fais des descentes sur l’axe lourd avec l’ambulance, moi-même au volant, pour ramasser les blessés. Donc, quand les patients ont satisfaction au niveau de la prise en charge, cela contribue aussi à calmer les ardeurs. Il faut aussi féliciter l’équipe qui m’accompagne dans cette mission au quotidien.
Est-ce qu’on peut avoir la balance des insolvables au sein de votre formation sanitaire ?
Je n’ai pas les statistiques mises à jour. Mais je me rappelle qu’après un an de fonctionnement avec le « Bon Vert », nous étions à huit millions d’impayés rien qu’à la pharmacie. On a essayé de bousculer de gauche à droite en faisant des plaidoyers. C’est Mme le Maire de la Commune de Bafia qui était encore présidente du Comité de gestion. On a discuté et nous avons mis sur pieds des stratégies de recouvrement. Mais aujourd’hui, cette dette n’a pas beaucoup changé. Elle tourne toujours autour de cinq à six millions de Fcfa.
Quel est l’apport du Conseil régional dans le fonctionnement de cet établissement hospitalier ?
Le Conseil régional est en train de travailler sur tous les problèmes évoqués afin d’apporter des solutions adéquates. Je pense qu’ils évoluent par priorité. On ne peut pas leur faire de procès parce que la tâche est vraiment immense. Je pense que pour Bafia et tous les autres hôpitaux de district, les choses s’amélioreront. Sauf que la population est impatiente.

Vue avant du Hangar en construction à l’esplanade de de la morgue de l’hôpital.
Au-delà des questions sus-évoquées, y-a-t-il d’autres chantiers en cours au sein de l’hôpital ?
Oui ! La zone d’accueil au niveau de la morgue est en chantier. Vous savez que la morgue n’a pas de zone d’accueil. Quand il pleut ou qu’il fait chaud, il n’y a pas où s’abriter quand il y a des levées de corps, et c’est la plus grande morgue du Mbam et Inoubou. Donc, l’hôpital s’est battu pour commencer quelque chose. On a sollicité les élites et toutes les forces vives pour nous accompagner dans le cadre des travaux de finition de cet espace. Il mesure en moyenne 15m/10. Il faut mettre une toiture, créer des petites cantines et effectuer des travaux de finition pour que lorsque nos chers invités arrivent pour leur réception, ils puissent avoir un bon espace où séjourner.
Comment avez-vous accueilli la nouvelle de la contractualisation de 9 944 personnels de santé annoncée par le Chef de l’État le 31 décembre dernier ?
J’ai accueilli la nouvelle avec beaucoup de joie. Nos patrons savent ce que nous vivons ici en périphérie. Vous vous rendez compte qu’à l’époque du PBF, on nous permettait de recruter. Les hôpitaux en ont recruté. Du jour au lendemain, on nous a annoncé que le PBF était terminé. Du coup, les recrutements n’avaient plus de place. On nous a montré les nouvelles lignes de fonctionnement. Dans ces lignes, il n’y avait nulle part où payer ces personnels. Et vous avez devant vous 120 personnels que vous avez recrutés. Que faites-vous d’eux? Donc, quand notre président de la République dit que sur cinq ans, on va faire un recrutement de 9 944 personnels de santé, c’est un soulagement. Cela concerne notamment ceux qui ont été recensés.
Quelles sont les doléances que vous formulez à l’endroit de vos supérieurs hiérarchiques et même de l’Elite du département du Mbam et Inoubou en ce début d’année 2025 ?
Ça tombe bien, car nous sommes en début de mois de janvier 2025. Je crois qu’il y a des plaidoyers qui sont en train d’être faits, et je dirai tout simplement qu’il est temps, à mon humble avis, sauf décision contrairement à la hiérarchie, que cet hôpital change de statut. Nous souhaitons qu’il passe d’un hôpital de district à un hôpital régional annexe et que son plateau technique soit revalorisé. Les ressources humaines doivent également être revalorisées. Je pense que la forte démographie de l’hôpital fait de lui l’hôpital de référence dans le département du Mbam-et-Inoubou, ainsi qu’une partie du Mbam-et-Kim, voire même jusqu’à dans la Lekié, en parlant d’Ebebda et ses environs. Cela fait qu’aujourd’hui, dans le Mbam-et-Inoubou, notre établissement hospitalier couvre six arrondissements et deux du Mbam-et-Kim. C’est vraiment énorme !
Propos recueillis par Junior NTEPPE KASSI