« La maladie d’Alzheimer est un défi de santé publique qui nécessite une attention particulière au Cameroun »

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La maladie d’Alzheimer est une maladie neurodégénérative qui affecte de plus en plus de personnes au Cameroun. Dans cet entretien, la Dr Ginette Tuayon, présidente de l’Association Comprendre la Maladie d’Alzheimer (ACMA), nous parle des défis liés à la prise en charge de cette maladie, des efforts de sensibilisation et de prévention menés par son association, et des espoirs pour améliorer la santé cérébrale des Camerounais.

Quels sont les domaines d’expertise de la docteure Ginette Tuayon, présidente de l’Association Comprendre la Maladie d’Alzheimer (ACMA), en plus de sa spécialisation en gériatrie?

Je suis la docteure Ginette Tuayon, présidente de l’Association Comprendre la Maladie d’Alzheimer (ACMA). En ce qui concerne ACMA-Cameroun, je suis médecin spécialisé en gériatrie. Je suis médecin de base, médecin généraliste, et j’ai un diplôme universitaire en gériatrie. En plus de ce diplôme universitaire en gériatrie, j’ai également un diplôme universitaire en nutrition clinique et thérapeutique, ainsi qu’un DES (diplôme d’études spéciales) en médecine du travail. Je travaille au Centre Médical d’Arrondissement de Dibamba, région du Littoral, département du Wouri, arrondissement de Douala III.

Comment peut-on lutter contre la maladie d’Alzheimer, qui est souvent associée à la gériatrie? Existe-t-il un lien entre la gériatrie et la maladie d’Alzheimer?

Oui, la maladie d’Alzheimer est la principale maladie neurodégénérative. C’est-à-dire que c’est la principale maladie du cerveau chez les personnes âgées. Vous savez, le vieillissement, la médecine des personnes âgées, c’est la gériatrie. Or, les personnes âgées sont caractérisées par une perte progressive de plusieurs fonctions du corps, sur tous les organes, sur tous les systèmes. Donc, au niveau du cerveau, la maladie d’Alzheimer est une maladie du cerveau âgé. Cela ne signifie pas que toutes les personnes âgées souffrent de la maladie d’Alzheimer, bien sûr que non. Mais plus on prend de l’âge, plus on a le risque de développer une maladie d’Alzheimer.

D’où vient l’idée de mettre sur pied l’Association Comprendre la Maladie d’Alzheimer (ACMA)?

Alors, la genèse d’ACMA est lointaine. Déjà, l’association n’a pas commencé au Cameroun ; elle a commencé en France, avec des ressortissants camerounais, c’est-à-dire la diaspora, qui, là-bas, ont vu des malades, des personnes âgées, qui présentaient des symptômes qu’ils avaient vus ici au Cameroun, mais qui, ici au Cameroun, étaient traités de sorcellerie, de mysticisme, d' »avion de nuit », etc. Et là-bas, cette diaspora, qui était du personnel de santé, s’est rendue compte que cette maladie a un nom, c’est la maladie d’Alzheimer. Et donc, cet élan humanitaire est né, et l’association a d’abord été créée en France, cela date des années 2008-2010, et ensuite, l’association a été créée au Cameroun environ en 2018. Voilà, donc ACMA existe au Cameroun depuis 2018. Elle travaille dans le but de soutenir toutes les personnes concernées par la maladie d’Alzheimer, c’est-à-dire les malades et les aidants, c’est-à-dire les personnes qui s’occupent des malades. ACMA n’existe pas qu’au Cameroun ; ACMA est en train de créer un réseau africain dans plusieurs pays d’Afrique francophone, c’est-à-dire de l’ouest et du centre.

Pour les personnes qui souhaitent visiter le siège de l’Association Comprendre la Maladie d’Alzheimer (ACMA), où pouvons-nous vous trouver?

Le siège d’ACMA se trouve à Douala, précisément à Makepe, au sein d’une clinique. Mais nous avons des antennes à Yaoundé, c’est-à-dire au centre, dont le bureau est situé à Yaoundé. À l’ouest du Cameroun, le bureau est à Bafoussam, et aussi à l’est, le bureau est à Yokadouma. Nous espérons bien sûr créer des antennes dans toutes les autres régions du Cameroun, parce qu’il s’agit effectivement d’un problème national.

Quels sont les profils professionnels et les compétences des membres de votre équipe au sein de l’Association Comprendre la Maladie d’Alzheimer (ACMA)?

Alors, ACMA regroupe tous les profils de volontaires, car c’est une association de bénévoles. Donc, nous avons des médecins, comme moi, qui suis médecin spécialisée en gériatrie, des neurologues, des médecins généralistes, et même des pharmaciens, car nous offrons des formations. Nous offrons des formations pour savoir bien gérer la maladie d’Alzheimer, chez un proche à domicile ou en milieu institutionnel, c’est-à-dire un hôpital. Et cette formation nous permet d’avoir en notre sein vraiment tous les profils de personnes, c’est-à-dire des infirmiers, des aides-soignants, des auxiliaires de vie sociale, des psychologues, des psychomotriciens, des kinésithérapeutes.

Combien de personnes sont impliquées dans les activités de l’ACMA, en tant que bénévoles ou employés, pour contribuer à la lutte contre la maladie d’Alzheimer? Pouvez-vous me donner un chiffre précis?

Alors, à Douala, nous sommes une trentaine. À Yaoundé, ils sont une dizaine. Et à l’est, c’est tout récent, ils sont environ cinq, pour le moment.

Quelles sont les différentes missions d’ACMA?

Les missions d’ACMA sont vraiment tout ce qui contribue à sensibiliser et à informer le grand public sur l’existence de la maladie d’Alzheimer et des maladies apparentées en Afrique, c’est-à-dire orienter et accompagner les malades avant, pendant et après le diagnostic de la maladie vers les différents centres de diagnostic, la formation des aidants qui sont auprès des malades, les groupes de parole, le soutien psychologique. Et nous proposons aussi aux familles des bracelets d’identification, car, comme vous le savez, c’est une maladie qui fait que les gens oublient même le chemin de retour à leur maison. Régulièrement, vous avez des annonces de personnes âgées qui ont disparu et que l’on ne retrouve pas. Donc, nous accompagnons ces familles, nous les soutenons, nous donnons des bracelets d’identification aux malades et vraiment, nous apportons un soutien précieux aux personnes touchées par la maladie d’Alzheimer, car le poids de cette affection est vraiment grand sur les familles.

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Maintenant, quelle est la perception que les familles ont de la maladie?

Oui, c’est une question intéressante, car je sors d’une conférence où nous avons écouté le témoignage d’une aidante. Cette dame a raconté comment son beau-père, malade d’Alzheimer, a été littéralement battu dans la rue parce qu’il était sorti tard, ne retrouvait pas son chemin et s’était retrouvé dans un quartier qui n’était pas le sien. Il a été battu pratiquement à mort.

Donc, la communauté en général, et même les personnels de santé, ne comprennent pas encore vraiment ce qu’est la démence et la maladie d’Alzheimer. Ils l’assimilent à de la sorcellerie ; ils appellent cela « les avions de nuit ». Vous savez, un malade sort, ne retrouve pas son chemin pour rentrer chez lui et se met à errer. Parfois, il se retrouve très loin de son lieu de départ, des gens qui le connaissent, et lorsqu’il se retrouve dans ces endroits-là, parfois, c’est dans la véranda ou dans la cour des gens, le matin. Les gens, en le voyant, disent que c’est un sorcier, se demandant comment il a fait pour arriver là, puisqu’il ne connaît pas son nom et ne sait pas d’où il vient. Il est sale, car il se retrouve après plusieurs jours de disparition. Du coup, on le considère comme un sorcier. Donc, il y a vraiment une compréhension négative et une stigmatisation des personnes atteintes par cette maladie. Alors, c’est une collaboration qui est encore à bâtir à ce niveau institutionnel. Nous travaillons pour le moment beaucoup plus avec les individus.

Quel est le lien entre l’ACMA et les formations de santé du Cameroun en termes de formation et de préparation du personnel médical pour prendre en charge les maladies spécifiques? Existe-t-il des programmes de formation ou de collaboration entre l’ACMA et les formations de santé du Cameroun pour renforcer les capacités du personnel médical et améliorer la prise en charge de ces maladies?

Vous savez, pour toucher les institutions, il faut mobiliser et franchir un certain nombre de barrières, ce qui n’est pas toujours facile. Donc, pour le moment, nous formons surtout les individus qui s’intéressent à cette question, peut-être parce qu’ils ont des malades sous leur responsabilité, ou peut-être parce qu’ils veulent renforcer leur formation professionnelle. Donc, nous formons beaucoup plus les individus, et cette formation est vraiment très bien accueillie et appréciée par les bénéficiaires. Donc, l’un de nos objectifs est vraiment de passer au niveau supérieur, en proposant la formation à des institutions, des hôpitaux, etc., afin que vraiment tous les personnels de santé connaissent ce qu’est la maladie d’Alzheimer et les démences. Vous savez, dans les études de médecine et dans les études paramédicales, il y a quelques heures de cours de neurologie, mais on ne rentre pas vraiment en profondeur dans l’étude de la démence et de la maladie d’Alzheimer. Même dans d’autres pays, il n’y a pas de programme ou de politique nationale de prise en charge des démences, ce qui est pourtant une recommandation de l’Organisation Mondiale de la Santé : un plan national d’Alzheimer.

Donc, tous ces mécanismes-là sont à mettre en place pour assurer une meilleure collaboration avec les institutions et un réel engagement au niveau de la politique sanitaire publique, afin que tous les Camerounais puissent avoir accès à l’information juste sur la maladie d’Alzheimer. Parce que tout le monde peut être touché. Les malades sont des pères, des mères de Camerounais. Et vraiment, il faut lutter contre ce fléau à tous les niveaux de la société.

Quelle est la tranche d’âge des Camerounais qui est la plus vulnérable à la maladie d’Alzheimer?

Alors, déjà, la prévalence de cette affection chez les Camerounais est d’environ 3 à 10 % des cas de démence. Globalement, c’est une maladie qui touche surtout les personnes âgées, car le risque de développer cette affection augmente avec l’âge. Donc, c’est clair que l’on trouvera le plus de personnes atteintes parmi les plus âgées. Mais vous savez, la population africaine, donc camerounaise, est caractérisée par la survenue précoce de beaucoup de maladies chroniques. Par exemple, les cardiologues nous apprennent que les accidents vasculaires cérébraux (AVC) surviennent tôt chez les Camerounais, souvent chez des gens de 40 ou 45 ans. Et nous, dans notre cohorte de malades, nous avons des malades de 60 ans, de 65 ans. Alors qu’en Europe, etc., la grande majorité des malades se trouve à plus de 75 ans. Vous voyez. Donc, vraiment, dans notre pays, la maladie d’Alzheimer survient un peu plus tôt, certainement aussi parce que l’espérance de vie est moins longue. Mais, de façon globale, plus on prend de l’âge, plus on a de risque de développer une maladie d’Alzheimer.

Quelles sont les structures qui vous accompagnent?

Alors, notre activité principale a lieu en septembre, car le mois de septembre est considéré comme le mois mondial de l’Alzheimer (World Alzheimer Month) au niveau international. Et nous avons beaucoup de partenaires de collaboration avec des pays étrangers qui se mobilisent à ce mois-là pour faire le maximum. Vous savez, on ne peut pas garder un sujet à l’actualité tout au long de l’année. Mais le mois d’Alzheimer est vraiment spécial dans ce sens-là.

Mais tout au long de l’année, nos activités concernent surtout la formation des aidants, la formation des volontaires pour connaître la maladie d’Alzheimer, les descentes dans les familles, le recensement des malades, les consultations de mémoire et les consultations gériatriques. Bref, c’est surtout un soutien personnalisé que nous offrons aux familles durant toute l’année. Et le point culminant de nos activités, vraiment, c’est au cours du mois de septembre.

Quels sont les défis quotidiens que vous rencontrez dans votre travail avec l’ACMA et comment les surmontez-vous? Quelles sont les difficultés les plus importantes que vous rencontrez et comment les gérez-vous?

Alors, vraiment, notre principal défi est celui d’une collaboration au niveau institutionnel, surtout avec le ministère de la Santé. Nous sommes très heureux et reconnaissants de collaborer avec d’autres associations du cerveau au Cameroun, qui nous donnent vraiment un coup de main. Il faut apprécier cela. Mais même avec ces associations-là, nous voulons aller au niveau supérieur et engager vraiment le ministère de la Santé publique dans l’élaboration de cette politique nationale d’Alzheimer. C’est vraiment un défi qui concerne non seulement l’ACMA, mais vraiment tous les acteurs de la santé cérébrale au Cameroun. Arriver à produire un plan national pour la lutte contre les démences avec un timing bien défini. Bien sûr, nous avons aussi un souci au niveau des financements, car il y a tellement de choses à faire dans tout le pays et nous avons besoin de beaucoup plus de volontaires. Nous avons besoin aussi que les gens s’inscrivent à l’association, que les gens participent à toutes les activités, même en payant les séminaires, les webinaires, etc., afin que nous puissions avoir tous les moyens nécessaires en ressources humaines et en logistique pour pouvoir toucher tout le Cameroun.

Avant de terminer, y a-t-il quelque chose que vous aimeriez ajouter ou partager avec nos auditeurs ou lecteurs? Est-ce qu’il y a une question qui n’a pas été posée et que vous aimeriez répondre maintenant?

Alors, nous n’avons pas d’autres questions, car vous avez posé des questions importantes et pertinentes. Mais nous avons un message, un message à l’endroit de la communauté, de la société civile. C’est celui de la meilleure compréhension des malades du cerveau. La maladie d’Alzheimer touche surtout les personnes qui avancent en âge, mais au Cameroun, on a des personnes de 55 ans et moins qui sont touchées. Les maladies comme l’épilepsie, l’hypertension artérielle, les accidents vasculaires cérébraux (AVC) favorisent aussi l’apparition de la démence. On connaît l’importance et la prévalence de ces maladies dans notre environnement. Personne n’est à l’abri de ce genre de maladie.

Vous savez, l’Organisation mondiale de la santé a identifié 12 facteurs de risque de démence. Et ces facteurs de risque sont aussi banals que le manque d’activité physique, le fait de fumer, la consommation excessive d’alcool, l’obésité, l’hypertension artérielle, un faible soutien social, un niveau d’éducation bas, etc. Donc, on peut citer ainsi 12 facteurs de risque, et tous les Camerounais sont exposés. Et il faut savoir que plus on accumule de facteurs de risque, plus on augmente le risque de développer cette maladie. Donc, tous les Camerounais sont exposés, au moins, vraiment de façon empirique, on peut dire que tous les Camerounais sont exposés à au moins 4 ou 5 facteurs de risque de maladie d’Alzheimer. Et vraiment, notre pays gagnerait à saisir la lutte contre cette maladie à bras le corps, afin de préserver la santé cérébrale de toute la nation, car il faut le savoir, c’est le cerveau qui permet d’être productif, d’être compétitif et de devenir une nation émergente.

Propos recueillis par Elvis Serge NSAA

 

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