
Prof. Dr Med Kagmeni Giles
Le chef du service d’ophtalmologie au Centre hospitalier universitaire de Yaoundé (CHU), Prof. Dr Med Kagmeni Giles dresse un bilan mitigé de l’année 2024 pour le service d’ophtalmologie au Cameroun. Malgré les efforts du gouvernement pour équiper les hôpitaux, le manque de personnel qualifié et la répartition inégale des ophtalmologues sur le territoire national restent des défis majeurs. Le professeur Kagmeni Giles aborde également les problèmes de santé oculaire liés à la saison sèche et les conseils pour prévenir les pathologies oculaires.
Est-ce que vous pouvez vous présenter ?
Je suis le Prof. Dr Med Kagmeni Giles, chef du service d’ophtalmologie au CHU de Yaoundé. En spécialité, je suis chirurgien du segment antérieur de l’œil et très spécialisé dans la chirurgie de la cataracte et du glaucome.
Et comment se porte le service d’ophtalmologie au Centre hospitalier et universitaire de Yaoundé ?
Il faut dire qu’en quelques semaines, le service d’ophtalmologie s’est renouvelé. Avec la nouvelle dynamique impulsée par le nouveau directeur général du centre hospitalier et universitaire de Yaoundé, il nous a mis au travail et a donné au service un nouveau look. Et maintenant, le service fonctionne bien.
Quel bilan faites-vous de l’année 2024 qui vient de s’achever ?
L’année 2024 a été, pour tout le monde, disons, un peu difficile, mais on peut penser que l’année 2024 a été aussi vraiment positive, car, sur le plan ophtalmologique, nous avons réalisé à peu près 500 chirurgies de cataracte et 200 chirurgies de glaucome. Et pour une année 2024 qui a été difficile, c’est un bon bilan.
Est-ce qu’on peut dire que le service d’ophtalmologie, dans les hôpitaux publics du Cameroun, est l’enfant pauvre de la politique d’humanisation des soins ?
Le gouvernement fait des efforts pour équiper le service d’ophtalmologie dans les hôpitaux. Il faut se dire que, sur le plan de la chirurgie, dans les 10 régions aujourd’hui, on peut opérer des gens de la cataracte avec la phacoémulsification, comme cela se passe à Berlin, à Paris ou à New York. Le ministère de la Santé a équipé les 10 régions, et les hôpitaux et les centres hospitaliers régionaux sont équipés pour cette chirurgie. Mais le seul bémol qui reste, c’est que le personnel n’est pas encore suffisamment formé pour cette chirurgie. Donc, sur le plan infrastructurel, les services d’ophtalmologie des régions sont en avance sur le Cameroun.
Il faut maintenant former réellement les ophtalmologues à utiliser le plateau technique que le ministère de la Santé a mis à leur disposition. C’est pourquoi, peut-être, dans un article paru dans votre journal, le président de l’Ordre des médecins disait que les médecins du Cameroun sont mal formés et que beaucoup sont mal pris en charge, mais, vraiment, je pense qu’il avait raison. Il manquait un peu d’information pratique dans l’enseignement.
Maintenant, lorsqu’il faut voir comment amener les élèves à bénéficier des services d’ophtalmologie pour régler leurs problèmes de réfraction, je pense qu’il faudrait institutionnaliser le problème des enfants. Par exemple, on pourrait exiger qu’un certificat médical, prouvant que l’enfant a une bonne vue soit obligatoire pour entrer en 6e. En Europe, cela se fait avant d’entrer à l’école primaire. Nous pourrions, ici, comme tout le monde n’a pas les moyens, dire qu’en 6e, c’est une pièce importante, une pièce non négociable. L’enfant devrait passer un examen de la vue avant d’entrer en 6e. À ce moment-là, beaucoup de parents le feraient, mais vous allez me poser la question : qu’est-ce que les gens qui vivent à la campagne feront ? C’est là le problème.
Je dirais qu’au moins ceux qui sont à proximité des centres de santé auront l’occasion de passer un examen de la vue, et on pourra organiser des descentes sur le terrain pour voir les autres enfants. Je ne sais pas comment, mais cela demande vraiment une grande organisation. Les services d’ophtalmologie ne sont pas beaucoup fréquentés en raison de nombreux freins. Du côté des parents, il y a des croyances socioculturelles qui font que les parents n’acceptent pas que les enfants connaissent des problèmes de vue. Dans l’enfance, beaucoup de gens pensent que c’est impossible. L’enfant qui revient à la maison ne se dit pas : “Je ne vois pas”. Les parents sont toujours enclins à croire que l’enfant ment. Mais les résultats scolaires doivent vous faire comprendre que l’enfant n’est pas en train de jouer.
Est-ce qu’on a des inquiétudes pour la santé oculaire ? La saison sèche vient avec sa panoplie de pathologies.
La saison sèche est souvent liée à de nombreuses pathologies infectieuses de l’œil. Il y a beaucoup de poussière et de germes dans l’air. Il y a beaucoup de germes dans le sol qui vont monter avec la poussière dans l’œil, ce qui peut nous contaminer. Il y a lieu de s’inquiéter pendant la saison sèche des pathologies infectieuses de la surface oculaire, telles que la conjonctivite bactérienne. Nous nous attendons à vivre une petite épidémie avec cette montée de la saison sèche. Chez les enfants, on va voir beaucoup de conjonctivites allergiques. À ce moment-là, il faudrait que nous nous préparions à éduquer la population et à aller un peu plus loin pour prévenir cette pathologie. Cela signifie que si on a un cas, il faut vraiment bien le traiter pour qu’il ne se propage pas, car toutes ces maladies peuvent devenir très rapidement épidémiques.
Est-ce que vous pouvez lister ces différentes pathologies ?
Non, avant la montée de la saison sèche, la première pathologie, c’est d’abord la sécheresse oculaire. Parce que la sécheresse sèche non seulement la peau, mais aussi les yeux. Il y aura le syndrome sec oculaire, qui est la première pathologie que nous allons rencontrer en raison de l’évaporation. Il faut que les gens boivent beaucoup d’eau pour pallier ce problème. Après le syndrome sec, on aura des conjonctivites bactériennes qui vont se propager très rapidement, car le mode de contamination est main-œil-main-œil. Cela signifie que je touche mon œil, je vous salue, et vous touchez aussi votre œil sans le savoir, ce qui vous contamine. C’est ainsi que cela se passe. L’apollo, c’est ce qu’on appelle la conjonctivite bactérienne, c’est-à-dire l’infection de la partie de la surface oculaire.
Peut-on prévenir la conjonctivite ?
On ne peut pas prévenir complètement cette pathologie, car la saison sèche est naturelle et la poussière est naturelle. On ne peut pas refuser à Dieu de nous donner son soleil et refuser à notre sol de lever sa poussière. Mais, comme je l’ai dit précédemment, dès qu’on a un cas, il faut bien le traiter et bien conseiller l’entourage. De toutes les manières, il faut savoir que la conjonctivite ne se transmet pas par le regard.
Parce que généralement, quand quelqu’un a l’Apollo, il porte des lunettes et il vous dit que vous ne devez pas le regarder parce que vous allez vous contaminer. Mais non, la contamination ne se fait pas de cette façon. Celui qui a l’Apollo touche régulièrement ses yeux parce qu’il a la sensation de grains de sable. Il touche constamment ses yeux. Dès que vous vous rencontrez, il vous salue, et puis vous avez le germe sur votre main.
Et si, par malheur, vous ne vous lavez pas les yeux, c’est parti. Et un autre lieu où l’on se contamine beaucoup, c’est dans les églises, où il faut se saluer à un moment donné. Vous voyez que, avec la venue du coronavirus, la conjonctivite a beaucoup diminué, parce que les gens ont perdu l’habitude de se saluer. Cela a vraiment joué positivement sur la conjonctivite, sur la propagation de la conjonctivite. On a de moins en moins d’épidémies de conjonctivite. C’est l’héritage que nous avons du coronavirus, qui nous a fait perdre l’habitude de nous saluer.
Est-ce qu’on peut avoir des statistiques sur la différence de pathologie ?
En fait, si vous le souhaitez, je peux vous donner une statistique sur les causes de la cécité. Les causes de la cécité au Cameroun sont dominées, en premier lieu, par les cataractes. En deuxième lieu, ce sont les vices de réfraction. Les vices de réfraction, c’est-à-dire les gens qui devraient normalement porter des lunettes pour bien voir, mais qui sont aveugles maintenant parce qu’ils n’ont pas de lunettes. Le jour où l’on va leur mettre des lunettes, ils vont commencer à bien voir. Mais il y a des gens qui sont aveugles parce qu’ils n’ont pas de lunettes.
Qu’est-ce qui peut expliquer ce paradoxe ?
Parce qu’ils ne sont pas allés se faire consulter pour finir. Ou bien ils sont allés se consulter, mais les lunettes coûtaient cher, au-delà de leurs moyens. Je reviendrai dessus, mais pour la troisième cause de la cécité, c’est le glaucome. Quand vous êtes aveugle du glaucome, c’est définitif. On ne peut plus rien faire. C’est une cécité très grave, la cécité due au glaucome.
Aujourd’hui, il y a un cinquième groupe qui est lié au changement de notre style de vie. De plus en plus, on ne marche plus, on est sédentaire, on mange de façon déséquilibrée. Et puis il y a le diabète qui s’installe, et c’est avec les complications de la rétinopathie diabétique, qui est la cinquième cause de la cécité chez nous, et qui est en train de devenir supplémentaire à d’autres causes. Parce qu’il y a de plus en plus de diabétiques, et la rétinopathie diabétique est due au changement de notre style de vie. La rétinopathie diabétique est vraiment une cause de cécité qui est en train de s’installer très rapidement dans notre société.
Mais, professeur, vous parlez des personnes qui ont des problèmes de vue parce qu’elles n’ont pas de lunettes, et pourtant, dans nos rues, on voit des milliers de personnes porter des lunettes.
Déjà, si vous achetez vos lunettes à l’avenue Kennedy, vous ne savez pas si elles vous conviennent ou pas. Les lunettes, c’est comme les chaussures, ça se vend sur mesure. Donc, pour savoir quelle lunette vous convient, il faut savoir votre correction. C’est la personne qui va vous dire votre correction, c’est l’ophtalmologue. Le problème que nous avons dans ce pays aujourd’hui, c’est que tous les vendeurs de lunettes sont devenus des ophtalmologues. Cela signifie qu’ils vous vendent des lunettes sans consultation préalable.
Les opticiens n’ont pas le droit de prescrire des lunettes, ce sont les vendeurs de lunettes. Donc, cela signifie que vous apportez votre ordonnance chez l’opticien, et il vous délivre des lunettes en fonction de ce qui est écrit sur l’ordonnance. Mais chez nous, quand vous rencontrez un opticien, je ne sais pas ce qu’il fait, il vous vend directement des lunettes. Et souvent, cela correspond à vos yeux. Et souvent, cela peut correspondre, mais il n’y a pas la possibilité de savoir que le monsieur à qui je vends les lunettes maintenant peut avoir un autre problème de glaucome ou un autre problème de cataracte. Pour vous, c’est vraiment un peu mélangé chez nous.
Et pourtant, il y a un ordre national des opticiens du Cameroun.
Mais malheureusement, tout se passe comme je vous le dis.
Quels conseils donnez-vous aux personnes qui souhaitent avoir des lunettes ?
À chaque personne qui veut avoir des lunettes médicales, à chaque personne qui a l’impression qu’elle ne voit plus bien, à chaque personne qui a l’impression qu’elle a des difficultés de lecture – cela se produit souvent après 40 ans, car tout le monde aura des problèmes de lecture à partir de cet âge. Vous avez deux choses à faire : premièrement, consulter un ophtalmologue pour qu’il établisse votre ordonnance, et deuxièmement, consulter un opticien pour qu’il vous délivre votre équipement, vos lunettes. Donc, l’ophtalmologue doit prescrire vos lunettes et l’opticien doit vous vendre les lunettes. Si l’ophtalmologue vous vend les lunettes, c’est incorrect. Le problème actuel est que tous les ophtalmologues sont devenus des opticiens et que tous les opticiens sont devenus des ophtalmologues.
Le Cameroun a besoin de combien d’ophtalmologues ?
Il y a dix ans, nous étions moins de 60 dans tout le Cameroun. Le gouvernement de la République a fait des efforts énormes pour créer un cycle de spécialisation en ophtalmologie. Au point qu’aujourd’hui, chaque année, on forme entre six et dix ophtalmologues. Avec le temps, le nombre est devenu croissant. Nous sommes actuellement à environ 120 ophtalmologues sur le territoire national. Mais le problème, c’est la répartition géographique des ophtalmologues. La majorité, 60 %, sont concentrés entre Douala et Yaoundé, dans deux régions. Ce qui fait que les 40 % restants sont répartis dans les autres régions. Dans tous les hôpitaux régionaux, le ministre de la Santé a mis en place des équipements de pointe en ophtalmologie où il n’y a personne pour les utiliser. Les 60 % qui sont à Yaoundé et Douala se disputent les patients, mais c’est cela qui pose problème. Il y a un nombre normal d’ophtalmologues, mais c’est la distribution qui pose problème.
Pourquoi la spécialisation en ophtalmologie n’attire-t-elle pas les jeunes médecins ?
Non, la spécialité en médecine attire bien les jeunes médecins, mais c’est la capacité de formation qui n’est pas grande. Nous ne pouvons pas former plus de 10 ophtalmologues par an, car il n’y a pas suffisamment d’enseignants. Dans l’enseignement ophtalmologique au Cameroun, nous sommes à peu près 12 enseignants pour l’université de Yaoundé 1. L’université de Douala n’a pas d’enseignants et ne peut pas ouvrir ses écoles de spécialisation parce qu’il n’y a pas de professeur, il n’y a pas trois enseignants d’ophtalmologie. Il y a un seul enseignant d’ophtalmologie à Douala qui appartient à Yaoundé 1, qui est chef du département d’ophtalmologie, mais qui appartient à Yaoundé 1. Donc, tous les enseignants, les 12 enseignants, je pense que c’est 10 ou 12 enseignants. Il y a 3 professeurs titulaires, 4 maîtres de conférences et 4 chargés de cours. Cela fait 11 enseignants en tout au Cameroun.
Est-ce qu’il y a un manque de personnel ?
Je vous ai dit qu’en tout cas, le manque de personnel, je dirais non. Il n’y a pas de manque d’ophtalmologues au Cameroun. Le Cameroun a un nombre suffisant d’ophtalmologues. Mais c’est la répartition géographique qui pose problème. Il faut répartir les ophtalmologues de manière équitable dans tout le pays. Il faut encourager les jeunes à aller travailler dans les régions éloignées, comme Maroua ou Bafang, par exemple. Mais pourquoi n’y vont-ils pas ? C’est une autre question qui pourrait être l’objet d’un autre débat.
Pour se terminer, est-ce qu’il y a un point de notre interview que nous n’avons pas abordé et que vous aimeriez mentionner ?
Il faut conseiller à la population que la cécité n’est pas une fatalité. Et que, ne plus bien voir, ce n’est pas une fatalité. Quand on ne voit plus bien, on doit se rendre à l’hôpital pour qu’on sache pourquoi on ne voit plus bien. Et à ce moment-là, on pourra trouver des solutions, au moins pour améliorer ou bien pour stabiliser la vision. Les lunettes ne s’achètent pas à l’avenue Kennedy. Si on a besoin de lunettes, il faut faire deux choses : consulter un ophtalmologue et aller chez un opticien pour acheter les lunettes. Mais, à partir de 40 ans, chacun doit avoir au moins une consultation chez l’ophtalmologue pour voir s’il n’a pas cette maladie grave qui cause la cécité irréversible, le glaucome. À partir de 40 ans, chacun doit se dire : « Je vais faire un test chez l’ophtalmologue pour voir si je n’ai pas le glaucome. » Et si on a la conjonctivite, si l’œil est rouge, il faut éviter de saluer les gens, car cela peut propager la maladie. Et si on a des enfants à la maison qui regardent la télévision très près, qui s’approchent beaucoup du téléviseur, il faut les amener chez l’ophtalmologue, car ils ne voient peut-être pas très bien de loin.
Propos recueillis par Elvis Serge NSAA