Briser le silence : La reine d’Oussouye et la lutte contre les mariages précoces

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Intronisée à 14 ans et victime de mariage précoce, Alysse Oumoy a dû renoncer à ses études. Aujourd’hui, elle est une voix puissante qui défend les droits des femmes et des filles à travers le continent africain. En tant que reine d’Oussouye et ambassadrice d’ONU Femmes, elle lutte pour un avenir où chaque fille pourra réaliser ses rêves. Son parcours exceptionnel est un témoignage de résilience et de détermination.

Du 4 au 6 décembre 2024, le forum des médias sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes et des filles en Afrique a réuni des voix influentes et des défenseurs des droits humains. Parmi les intervenants, Alysse Oumoy, reine mère du royaume d’Oussouye et ambassadrice d’ONU Femmes, a captivé l’audience avec son récit poignant et son engagement indéfectible dans la lutte contre les mariages précoces et les mutilations génitales.

Intronisée en 2000 à l’âge de 14 ans alors qu’elle venait juste de passer son examen d’entrée en 6e, Alysse, de son nom de naissance Ahan Kalidji Béatrice Diédhiou, a dû abandonner ses études pour assumer la responsabilité de diriger un royaume d’environ une vingtaine de villages. Le temps a fini par adoucir le cœur et la reine a accepté son destin.

« Quand on m’a désignée comme reine, au début, ce n’était pas évidement. Car c’est une lourde responsabilité et je n’avais que 14 ans. Je ne savais même pas qu’il y avait une histoire de choix de reine et de roi. Parce que le prédécesseur de Sibilumbaï, le roi Sibacouyane Diabone, est décédé en 1984. Alors que moi, je suis née le 28 février 1986. Dans la tradition diola, les anciens n’écrivent pas leur histoire. Le Diola ne raconte pas l’histoire de sa culture ou de ses ancêtres à ses enfants. Tant qu’on n’est pas confronté aux faits, ils ne vous expliquent pas. » raconte l’histoire.

 

Cependant, malgré la lourdeur de cette tâche qui lui revenait désormais, elle n’a jamais renoncé à ses rêves d’éducation. « J’ai toujours rêvé de retourner à l’école, mais les traditions et les attentes de mon rôle m’en ont empêchée », a-t-elle confié. Et de rajouter que : « Intronisée en plein mois d’août, en pleine vacances scolaire, j’ai tout tenté pour concilier mes nouvelles responsabilités et la poursuite de mes études. Le gouvernement d’Abdoulaye Wade avait mis en place des mesures encourageant la scolarisation, ce qui m’a donné espoir. Malheureusement, une vieille dame, très respectée dans le village, s’y est opposée. Selon elle, une reine aussi jeune et intelligente n’avait pas besoin d’aller à l’école, et ses études menaceraient la stabilité du royaume. Malgré mon désir d’apprendre et le soutien de certains, j’ai dû renoncer à mes études pour respecter la tradition et les décisions des sages. » La vielle dame en question lui avait laissé entendre fermement, qu’elle ne gèrerait jamais le trône hors du royaume où se trouve sa réelle place tout en lui rappelant que : « ici c’est la langue diola et non le français »

 Toutefois, grace à la force de l’ espoir et de sa vision, son parcours a pris un tournant décisif grâce à son engagement avec ONU Femmes, une organisation qui lui a permis de voyager à travers l’Afrique et de défendre les droits des femmes et des filles.« Ces voyages m’ont appris le français et m’ont permis de m’exprimer, de résoudre des problèmes et de défendre les droits des femmes et des filles », a-t-elle déclaré devant un public captivé.

Les débuts des voyages de la reine Alysse Oumoy, en 2016, n’ont pas été sans heurts. Des doutes ont été émis quant à la compatibilité de ces déplacements avec ses fonctions royales. Cependant, l’acquisition d’une nouvelle langue et le développement de compétences en communication grâce à ces voyages ont rapidement dissipé ces réticences. La cour royale, reconnaissant l’importance de l’éducation et du leadership féminin, a finalement autorisé ces déplacements, soutenus par ONU Femmes.

C’est ainsi que, Alysse, qui a elle-même été victime de mariage précoce, est devenue l’ambassadrice de la lutte contre les violences faites aux femmes, y compris les mariages précoces et les mutilations génitales. « Ces pratiques créent de nombreux problèmes pour les filles », déclare-t-elle avec conviction. Son expérience personnelle l’a poussée à militer pour un changement radical, car elle sait que la violence physique et verbale peut avoir des conséquences dévastatrices.

Sous son leadership, le royaume d’Oussouye a vu naître des initiatives pour sensibiliser les populations sur les violences domestiques et encourager l’éducation des jeunes filles. « Nous encourageons aussi l’éducation des jeunes filles, leur scolarisation afin qu’elles puissent trouver un emploi décent et prendre soin d’elles-mêmes. Nous voulons que les mariages précoces, les violences faites aux femmes cessent vraiment. Parce que la femme est sacrée et les hommes doivent prendre soin d’elles. Ils ne doivent pas les violenter, les violer. », insiste-t-elle.

Alysse a partagé son expérience personnelle en tant que victime de mariage précoce, une pratique qui continue de causer des ravages dans sa communauté. « Ces mariages créent des problèmes profonds pour les filles, les privant de leur enfance, de leur éducation et de leur liberté », a-t-elle ajouté. Son époux, le roi Sibilumbaï, soutient avec fierté son engagement. Pour lui, si la Reine fait le tour de l’Afrique, c’est pour apporter la bonne nouvelle et défendre les causes de notre royaume Oussouye. Grâce à ONU Femmes, Alysse a eu l’opportunité de voyager au Nigeria, en Éthiopie et en Zambie, où elle a partagé son message d’espoir et de changement.  « Mon époux, Sa Majesté le roi, est un fervent soutien de mon travail au sein d’ONU Femmes. Bien qu’il préfère rester en retrait, sa présence est essentielle. C’est un homme simple et bienveillant qui encourage mes initiatives. Il est fréquent qu’il invite nos hôtes à venir me rencontrer. »

Au cours du forum, Alysse a rappelé l’importance de l’éducation des jeunes filles. « Nous devons encourager les parents à scolariser leurs filles, car l’éducation est la clé de l’émancipation », a-t-elle affirmé. La reine dénonce ainsi l’exploitation des jeunes filles comme domestiques au sein des familles. Elle s’inquiète de voir des filles, souvent très jeunes, surchargées de tâches ménagères au détriment de leur éducation. Selon elle, il est essentiel de trouver un équilibre entre les responsabilités domestiques et la scolarité pour assurer un avenir meilleur à ces jeunes filles. Il est donc aisé de comprendre que, le combat d’Alysse Oumoy ne se limite pas à son royaume au Sénégal. Elle aspire à un avenir où chaque fille aura la chance d’aller à l’école, de réaliser ses rêves et de vivre sans la peur des violences. Son engagement est une lumière d’espoir pour de nombreuses femmes et filles, et elle continue de briser le silence autour des abus et des injustices.

Elle a également souligné le rôle crucial des hommes dans cette lutte. « Les hommes doivent prendre soin des femmes, les protéger et ne pas les violenter. La violence à l’égard des femmes est inacceptable », a-t-elle martelé. Selon cette dernière, la violence verbale, bien qu’invisible, peut avoir des conséquences dévastatrices. Elle met en avant la difficulté de régler les conflits au sein des couples, où les femmes hésitent souvent à parler par peur ou par honte. La reine rappelle que la violence, qu’elle soit exercée par un homme ou par une femme, est inacceptable et qu’elle doit être sanctionnée. Elle encourage les victimes à briser le silence et à dénoncer les violences dont elles sont victimes. Elle insiste également sur l’importance de la prévention et de la résolution pacifique des conflits.

Alysse Oumoy est plus qu’une reine ; elle est un symbole d’espoir et de résilience. Son combat pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes et des filles, ainsi que son engagement envers l’éducation, en font une figure essentielle dans la lutte pour les droits humains en Afrique. Elle conclut son intervention avec une note d’espoir : « Tant que nous n’avons pas brisé le silence, nous ne pourrons pas avancer. Ensemble, nous pouvons changer les choses. »

Mireille Siapje

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