Dr Laure Justine Menguene Mviena : « Plus de 2 ans d’activités, nous sommes satisfaits de pouvoir aider nos frères et sœurs »
Selon la psychiatre et présidente du Comité d’organisation de la prise en charge des personnes atteintes de maladies mentales et errantes (PAMMEs), à l’hôpital Jamot de Yaoundé, malgré les difficultés, elle est personnellement très satisfaite des résultats enregistrés en deux ans.
Quelle appréciation personnelle faites-vous des activités menées en 2023, au Village de l’Amour (VDA), de l’Hôpital Jamot de Yaoundé ?
Pour moi, c’est vraiment une satisfaction générale. C’est vrai qu’aucune œuvre humaine n’est parfaite, il y a beaucoup de difficultés, mais, nous devons toujours nous rappeler qu’une activité qui a été lancée en mai 2021, avec la sensibilisation et les descentes effectives dans les rues, pour la prise en charge de nos frères et sœurs, qu’on appelle fous ou folles, qui sont en fait atteints d’une maladie mentale appelée schizophrénie, le 07 août 2021, le Village de l’Amour a été particulièrement ouverte le 27 novembre 2021.
Aujourd’hui, nous sommes déjà à plus de 2 ans d’activités. Pour nous, c’est un succès, c’est une réussite. Nous pensons que beaucoup de personnes ne s’attendaient pas à ce qu’on mette autant de temps. Donc, malgré les difficultés, nous sommes satisfaits de pouvoir aider nos frères et sœurs, de pouvoir savoir également que le système a déjà intégré le Village de l’Amour dans la prise en charge de ces personnes-là, parce qu’on voit les forces de l’ordre, les sapeurs-pompiers, les autres structures et même les familles nous amener les leurs, qui sont atteints de maladies mentales qu’on appelle fou ou folle, pour la prise en charge au Village de l’Amour. Pour nous, c’est une marque de confiance également, ça nous fait comprendre que la population est satisfaite du service rendu. Donc, nous sommes personnellement très satisfaits des résultats.
Quelles sont les associations qui vous accompagnent au quotidien, dans la prise en charge holistique des Personnes atteintes de maladies mentales et errantes (PAMME) ?
En premier lieu, nous avons la Présidence de la République du Cameroun, à travers un décret signé en août 2022, et qui fixait un peu les missions de la police municipale. Spécialement, il a été noté le rôle un peu de la police municipale, qui est de prendre en charge les personnes atteintes de maladies mentales et errantes et de les amener dans une formation sanitaire compétente pour la prise en charge.
Ça a été un moment très fort et décisif pour un encrage administratif de cette activité. Nous allons citer et remercier le Premier-Ministre Chef du Gouvernement, en l’occurrence le Président de la République, pour ce décret qui nous a permis de mettre cet encrage sur le plan administratif, d’attribuer les missions formelles des uns et des autres, remercier cette Présidence de la République, à travers la décoration des personnels du Village de l’Amour, lors de la fête du 20 mai 2023, de Chevalier de l’ordre de la valeur.
Ce sont les moments forts de reconnaissance du travail effectué. Il faut toujours rappeler que ce sont des travailleurs bénévoles, qui n’ont pas de salaire, et qui donnent leur temps un peu, pour pouvoir aider ceux qui sont la couche la plus vulnérable de la société. Ceux que l’on doit aussi remercier, c’est le ministère de la Santé publique, pour son accompagnement permanent dans la prise en charge des PAMME. La communauté urbaine de Yaoundé, qui a initié cette activité et surtout nous accompagne sur tous les plans : logistique et autres.
Nous remercions également tous ces bienfaiteurs, parce qu’au quotidien, nous recevons des dons de ces populations qui se mobilisent pour venir en aide à nos frères et sœurs. Nous avons des associations religieuses, des associations professionnelles, des associations de tous ordres qui se mobilisent pour faire des dons, chacun à son niveau. Ça fait comprendre à nos PAMME, qui sont déjà stables, qu’ils ne sont pas seuls. Pas ces gestes, ils se sentent soutenues, valorisées par la société.
Les personnes que nous devons également remercier, ce sont ces familles-là, qui nous accompagnent au quotidien, qui n’abandonnent pas les leurs, ils sont présents sur le site avec les leurs. Elles viennent les donner à manger, parfois certains achètent des médicaments. Ces familles qui acceptent de les reprendre à domicile dans le cadre de la réinsertion et nous aident pour le suivi médical.
Et enfin, nous ne pouvons finir sans remercier le personnel soignant, essentiellement constitué des bénévoles ; des infirmiers spécialistes en santé mentale, psychologues, voilà pour donner de leur temps, afin d’aider nos frères et sœurs, qui sont dans le besoin.
À côté d’eux, il y a aussi d’autres spécialistes qui nous assistent parce qu’on a beaucoup de cas de problèmes organiques, il y a des plaies infectées ; il y a des doigts avec ce problème de bague, qui peut nous conduire à des amputations des doigts, quand le pronostic vital du doigt est déjà engagé. Ces spécialistes-là qui acceptent d’aider bénévolement : les neurologues, les chirurgiens et autres, nous disons merci. Vous voyez qu’à la fin, c’est à toute la société camerounaise que je dis Merci. Parce que, si tous ces acteurs, chacun à son niveau, ne mettaient pas la main à la patte, nous n’enserrions pas là aujourd’hui, 02 ans après.
Comme bienfaiteurs, nous avons des cas individuels qui prennent de leur temps, non seulement pour venir les soutenir, mais aussi ; ils les gardent quelque chose. C’est bien sûr tout ce monde-là qui se mobilise pour le bien-être de nos frères et sœurs.
Quelles sont les activités que le Village de l’Amour a menées au courant de l’année 2023 ?
C’était essentiellement des activités de descente dans la rue pour prendre les personnes atteintes de maladies mentales et errantes (PAMME), deuxièmement, nous avons la prise en charge des PAMME sur le site. Il s’agit de la prise en charge médicale, avec des médicaments pour les stabiliser, ne l’oublions pas, ce sont d’abord des personnes malades, atteintes d’une maladie appelée schizophrénie, qu’on prend en charge et on stabilise.
Les activités, c’est la prise en charge médicale, la prise en charge psychologique, parce qu’après, ce sont des personnes qui ont vécu des situations difficiles et il faut que les psychologues les aident enfin qu’ils puissent avancer, faire face à la stigmatisation, la marginalisation, la culpabilité que certains ont d’avoir posé des actes.
Nous avons également le travail de psychoéducation, sensibilisation déjà au sein du site, parce que quand les familles arrivent, il faut leur donner la bonne information. C’est une maladie qui n’est pas due à la sorcellerie, à la possession et autres.
C’est à travers ces échanges qu’ils acceptent de les accompagner dans la réinsertion en société. Il y a une prise en charge psychosociale également. C’est-à-dire que les familles acceptent que ces derniers soient pris en charge à domicile. Les familles les sortent du site avec notre aide dans la prise des médicaments et autres, parce que ce personnel bénévole se déploie une fois tous les deux mois en communauté pour le suivi de ceux qui sortent du Village de l’Amour, ou de ceux dont les familles ont accepté d’assurer la prise en charge à domicile.
Au cours de cette descente-là, il y a des activités de sensibilisation dans le quartier, la zone, sensibilisation pour expliquer aux familles ce que c’est que la santé mentale, différence entre maladie mentale et santé mentale.
Ceci dans le but de permettre la réinsertion sociale de ces derniers. Sur le site, nous avons des activités d’ergothérapie. Parce que ces derniers font déjà le ménage, lavent leurs habits, font la cuisine, confectionnent des bijoux. Parce que, si vous venez sur le site du VDA, vous allez voir ce que ces derniers confectionnent. Ils font de l’agriculture. Vous allez voir un petit champ que ces derniers ont cultivé. Nous sommes dans cette optique de faire d’eaux des hommes qui sont capables d’apporter une pierre à l’édifice de notre pays.
Nous avons des sorties thérapeutiques. Parfois, ils ont les sorts pour les connecter à la société, sans oublier les activités sportives, notamment des matches de football avec les gardiens de l’Hôpital Jamot. Nous avons aussi la musicothérapie. Quand vous arrivez sur le site, ils chantent et ils dansent.
Cette activité des PAMME est importante parce que, au cours de cette activité, nous menons des activités de sensibilisation en santé mentale. Dans cette activité de prévention, nous menons des campagnes de prévention et de promotion de la santé mentale.
À côté de ça, nous menons des descentes dans les rues. Dans cette prévention, nous menons des activités de prise en charge des PAMME, que ce soit en milieu hospitalier, au Village de l’Amour, ou dans les communautés, dans les 7 arrondissements de la ville de Yaoundé, et nous menons des campagnes de réinsertion sociale des PAMME.
Donc, on les prend dans la rue, on les amène au Village de l’Amour et après, on les prend en charge et on les réinsère à domicile. Ça c’est le premier cas de figure. Ou alors, on les prend dans les rues, les familles se montrent volontaires pour la prise en charge à domicile et on les accompagne. On les prend dans les rues pour les domiciles.
Premier cas de figure : rue, VDA Domicile, ou alors ; rue-domicile.
Vous avez entamé le processus de socialisation des PAMMEs. Parlez-nous un peu de cette socialisation deux ans après ?
Les personnes atteintes de maladies mentales et errantes (PAMME). C’est eux qu’on appelle fous ou folles. C’est une spécificité. Ce ne sont pas des personnes atteintes de maladies mentales normales que l’on prend en charge. Ici, c’est celles ou ceux qu’on a abandonnés, qu’on appelle fou ou folle. Ils mangent dans la poubelle, la couche la plus vulnérable de la société.
Leur socialisation commence par la prise en charge. Une fois que la prise en charge est effective, nous commençons par les occuper sur le site. C’est entre autres faire le ménage, laver leurs habits, pratiquer l’agriculture ; faire à manger, c’est aussi participer à l’accueil de ces PAMME qu’on amène au Village de l’Amour. Quand on les amène de la rue, ils sont accueillis par les anciens, qui les coiffe, les lave, les habille et les introduisent sur le site.
Les anciens PAMME donnent à manger aux nouveaux, ils servent de gardien sur le site. Ils aident dans l’administration des médicaments. Vous voyez que c’est toute une organisation dans laquelle le PAMME lui-même est au centre de la prise en charge et de la réinsertion. Et bien évidemment, quand ils sont stables, beaucoup se souviennent un peu de là où ils viennent. Beaucoup sont hors de la ville de Yaoundé et peuvent-nous accompagner chez eux, nous aider à retrouver le chez-eux.
C’est comme ça que la réinsertion de beaucoup d’entre eux se fait. On fabrique des bijoux ; des colliers, des sacs avec des perles, si vous venez sur le site, vous aurez l’occasion de découvrir un peu ce que ces derniers font. L’information à savoir, c’est que, ce sont des personnes qui sont simplement malades. Dès qu’on les stabilise par la prise régulière et quotidienne des médicaments, ces personnes se comportent tout à fait normalement comme vous et moi.
Le Village de l’Amour a reçu combien de PAMME en 2023 ?
En deux ans, le VDA (Village de l’Amour) a reçu environ 613 PAMME, environ 350 ont été réinsérés et sont pris en charge gratuitement par la Communauté urbaine de Yaoundé, sous la supervision vigilante du ministère de la Santé publique. Ces derniers viennent des différentes régions du Cameroun, mais les 95 % du Centre. On a eu des décès, des fugues, des pertes de vues, etc.
Quelles sont les difficultés que vous avez rencontrées au cours de la prise en charge des personnes atteintes de maladies mentales et errantes (PAMME), au Village de l’Amour cette année 2023 ?
Les difficultés sont à tous les niveaux bien évidemment, parce que c’est une activité qui se veut un peu pionnière. Quand on parle de pionnier, cela veut dire qu’il y a des difficultés qu’on découvre sur le terrain et qui vont valoir régler. La première des choses, c’est d’abord la logistique, c’est le site. Le site est maintenant réduit et nécessite un peu d’être agrandi, parce que là, nous avons des chiffres d’environ 150 personnes sur le site et ce n’est pas facile de les maintenir dans le site actuel qui s’avère être un peu étroit.
Nous avons encore comme problème l’approvisionnement en nourriture, en médicaments, et autres. Certes, la Communauté urbaine de Yaoundé que nous remercions ici, qui est l’initiatrice un peu de cette activité, ainsi que les bénévoles s’en chargent, nous devons relever que la gestion quotidienne de plus de 150 personnes ce n’est pas évident.
La logistique : l’hygiène : nous avons besoin d’un appui supplémentaire encore. Ces éléments sont déjà présents, mais ils nécessitent encore d’être appuyés encore. Les difficultés au niveau de la prise en charge de l’organicité. Parce que ce sont des personnes qui ont beaucoup de problèmes physiques : les problèmes hépatiques, des plaies chroniques, des problèmes de fractures, d’anémies et autres. Dont tous les problèmes et autres que nous avons dans une formation sanitaire normale, on les retrouve au Village de l’Amour. Tout ça, c’est extrêmement lourd et difficile et nous avons besoin d’un appui.
Nous avons un personnel bénévole, s’ils peuvent être soutenus, motivés en fait. Jusqu’à présent, ils sont bénévoles. Concernant la logistique, si on pouvait mettre à notre disposition, des véhicules, un ou deux véhicules, qui nous permettraient de faire des descentes en communauté, dans les 7 arrondissements de la ville de Yaoundé. C’est assez lourd, pour le moment, les bénévoles le font avec leur moto, leur voiture et vraiment c’est lourd.
Si on pouvait avoir des véhicules mis à notre disposition pour faire ce travail-là, ça serait quelque chose d’important. Cette logistique, pour la réinsertion des personnes en famille, ça sera aussi important. Un peu plus de moyens pour sensibiliser, la communication pour le changement de comportement. Que ces personnes puissent être considérées comme tous les malades, être soutenues et accompagnées pour que l’on ne puisse plus les trouver dans les rues.
Quels sont les grands chantiers du VDA en 2024 ?
La pérennisation de l’activité. Déjà, conserver les acquis et améliorer ce qui doit être amélioré. Ça c’est un peu les grands chantiers. Également, que ce chantier puisse s’étendre dans les autres villes comme celle de Douala, par exemple, qui souhaiterait suivre les pas de Yaoundé.
C’est un grand chantier. Cet encrage sur le plan administratif. Les Grands Chantiers, c’est aussi la promotion de la santé mentale, c’est-à-dire du bien-être, en d’autres termes la promotion de l’amour… L’amour de soi, l’amour de l’autre, l’amour de notre beau pays, le Cameroun. Amour qui veut seulement dire bonne communication, bonne interaction, solidarité, prendre soin de soi et de l’autre. Si nous faisons de l’amour une priorité dans nos vies, nous verrons les problèmes de santé mentale (mal-être, maladie mentale) régresser dans notre société… S’il y a amour, il y aura soutien, accompagnement, prise en charge des PAMME, par conséquent régression voire disparition de ce phénomène.
Propos recueillis par Elvis Serge NSAA