Dr Théodat Manga, ophtalmologue : « Notre stratégie consiste aussi à organiser des concertations interdisciplinaires avec d’autres spécialités »

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Le Président de la Société camerounaise d’ophtalmologie donne les détails de leur Congrès qui débute  ce jeudi  29 février 2024, ainsi que certaines difficultés liées à la profession…

La société camerounaise d’Ophtalmologie (SCO) commence son 29è congrès ce jeudi 29 février 2024. Quels seront les grands axes de cette rencontre ?

Nous organisons notre congrès annuel toutes les dernières semaines du mois de février. C’est le 29è congrès ce qui est quand même remarquable.  Cette année, le congrès aura lieu du 29 février au 2 mars. Le congrès est toujours couplé avec l’Assemblée générale de la Société camerounaise d’ophtalmologie. C’est une rencontre d’échanges, d’expérience scientifique et puis de perfectionnement qui réunit les ophtalmologues du Cameroun, les ophtalmologues d’Afrique centrale (Tchad, RCA, Gabon…), d’Afrique de l’Ouest (Côte d’ivoire, Nigéria…). Cette année les visiteurs viendront de l’Inde, d’Italie, de Suisse, etc. Au menu de ce congrès, il y aura des présentations scientifiques, des échanges préparés par des professionnels. Le but est de nous ajuster dans nos pratiques et toujours produire les meilleures prestations possibles. D’échanger également sur les problèmes que nous rencontrons dans la pratique de notre profession qui ne sont pas diagnostics, mais qui sont administratifs, financiers et liés à  l’organisation au sein de notre organisation.

Quelles sont les attentes du Bureau de la Société camerounaise d’Ophtalmologie  au regard de cette édition du congrès ?

Cette édition, le thème principal c’est : « la cornée et les pathologies de la surface oculaire ». La Cornée c’est la partie antérieure de l’œil, celle qu’on voit qui est sombre et puis la partie blanche. Donc il y a des pathologies spécifiques dont on va débattre pendant tout le congrès  et faire une mise à jour de nos connaissances et essayer de trouver les consensus. A la fin du congrès, il est prévu que l’on fasse un document de consensus qu’on appelle le cahier de préconisation  sur la sécheresse oculaire, un syndrome qui est de plus en plus fréquent dans notre environnement.

Quel est le bilan des deux dernières éditions du congrès de la SCO ?

L’avant dernière édition, celle de 2022 à Yaoundé, est celle où j’ai été portée à la tête de la SCO. La dernière édition  en 2023, mon premier congrès en tant que président, est celle qui s’est déroulée ici à Douala, elle a rassemblé plusieurs professionnels, beaucoup plus que par le passé, on était environ 350 participants. C’était un congrès très riche, avec des conférences et des tables rondes. Et à la fin de ce congrès on a produit un cahier de préconisation sur les prescriptions des lunettes, les vices de réfraction. Il est comme un document pour l’harmonisation des pratiques et des recommandations de la SCO  par rapport aux prescriptions.

Quelle est la situation des ophtalmologues au Cameroun ?

Nous sommes dans un pays à faible revenu où les populations n’ont pas les moyens de se soigner. Il  y a environ 1% de la population qui bénéficie d’une assurance maladie. En même temps, l’équipement des ophtalmologues coûte cher, c’est un équipement de pointe qu’il faut pouvoir rentabiliser. Ça fait que le coût de la prestation n’est souvent pas abordable pour la majorité de la population. C’est souvent le principal problème que nous avons. Ca fait que parfois on n’ose pas investir sur des équipements haut de gamme. Quand vous prenez une chirurgie de la cataracte et que vous voulez faire la chirurgie avec le laser, la facture sera entre 600 et 650 000 Fcfa, parce que les appareils  coûtent énormément chers.  Il y a beaucoup de consommables, il y a beaucoup de choses qui sont importées. Alors, il y a très peu de gens qui peuvent s’offrir cette chirurgie donc parfois on est obligé de proposer des options antérieures qui marchent toujours.

Est- ce que cette situation d’une part ne limite pas votre champ d’action ?

Cela freine énormément et c’est pour cela que parfois on est confronté à des situations ou les patients nécessiteux n’ont pas les moyens de se payer les soins et ils partent se faire prescrire les lunettes au marché, sans prescription médicale. Et comme ce n’est pas issu d’une consultation ophtalmologique, ils développent  des pathologies qui se révèlent plus tard comme le glaucome. Quand vous allez chez l’ophtalmo, il fait un examen ophtalmologique complet en regardant s’il n’y a pas des maladies cachées sur lesquelles il peut intervenir rapidement. Mais si vous allez chez un vendeur de lunette au marché  ou directement chez l’opticien pour vous faire prescrire vos lunettes, vous n’avez pas cette consultation et donc ils ne peuvent pas détecter les maladies qui sont silencieuses et parfois plus dangereuses.

Comment la SCO envisage travailler avec l’Ordre national des médecins afin que l’activité des médecins en général et des ophtalmologues en particulier puissent être  plus reluisante ?

L’Ordre des médecins est l’organe régulateur de la profession en général, mais l’Ordre des médecins n’a pas de fichier de spécialistes. Cela est de la responsabilité des sociétés savantes. Nous sommes forcément obligés de travailler avec l’Ordre si on veut mettre en place certains dispositifs. Nous sommes  obligés de travailler avec l’Ordre. On a un problème de limitation du nombre d’années minimum pour que les jeunes médecins  puissent s’installer. Il est de 5 ans. On a engagé des négociations avec l’Ordre des médecins pour que l’on puisse baisser cette  période de pratique pour que les médecins qui veulent s’installer plus tôt s’installent parce qu’il y a une demande et l’offre n’est pas tellement importante.

Quels sont les grands axes sur lesquels repose votre mandature à la SCO ?

Il y a plusieurs axes que j’ai essayé de mettre en place depuis que je suis élu. D’abord, renforcer l’harmonisation des pratiques au sein de notre société, regrouper les ophtalmo, essayer de regrouper tout le monde pour que l’on soit un groupe fort. Ça été fait parce qu’on est passé de 150 participants au congrès à bien  plus. Pour ce congrès,  on attend 500 participants.  Le deuxième axe sur lequel  nous travaillons entre nous les ophtalmologues, c’est ce livre de recommandations, qui a pour but d’harmoniser les pratiques, parce que nous venons de différentes écoles, parce qu’il y a des gens qui ont été formés au Sénégal qui emmènent  les protocoles  de là, et ceux formés en Suisse qui emmènent des protocoles de suisses, il faut qu’on ait des protocoles  nationaux et des consensus nationaux. Le troisième axe  c’est que pendant le congrès on a des ateliers pratiques pour des jeunes ophtalmos qui veulent apprendre une technique particulière.

Il faut aussi savoir que la société camerounaise d’ophtalmologie ce n’est pas seulement les ophtalmos, mais il y a aussi les infirmiers spécialistes en ophtalmologie. Ils sont aussi membres de la SCO et ces infirmiers spécialisés sont certes très compétents, mais ils ont aussi besoin qu’on leur donne un guide de pratique pour certaines pathologies et qu’ils puissent voir comment on travaille en équipe. Même dans notre profession, il y a ceux qui sont spécialisés dans la rétine, le glaucome, la cataracte, certains sont spécialistes ophtalmo-pédiatrique, donc il y a  cette tendance à ce qu’il ait des supers spécialités.

Combien de membres compte la SCO ?

Nous sommes environ 400 membres. Dont 200 ophtalmos  et 200 ISO, qui sont des techniciens ou infirmiers diplômés d’Etat spécialisés en ophtalmologie.

Pouvez-vous nous expliquer une fois de plus le partenariat signé avec une banque locale pour permettre aux ophtalmologues d’être indépendants ?

On a signé un partenariat avec une banque citoyenne (Banque atlantique, ndlr)  qui permet que les jeunes ophtalmos qui le souhaitent puissent avoir recours à des financements sans avoir besoin  des garanties habituelles qu’on demande. Ça permet un peu de booster l’auto-entreprenariat jeunes.  

En tant que Président de la SCO, est ce que vous avez l’impression d’être écoutée par le gouvernement ?

C’est vrai que nous avons un pays où tout est centralisé. Souvent les fonctionnaires pensent qu’ils ont solution à tout et il n’y a pas beaucoup de dialogue. Mais il faut avouer qu’il y a au sein du ministère de la Santé publique un programme national de lutte contre la cécité qui est dirigé par un ophtalmologue. Donc il y a une passerelle pour faire passer nos recommandations à travers ce programme qui est un programme au sein de la tutelle.

Quelles sont vos perspectives au sein de la SCO ?

Je profite pour vous annoncer que l’on a créé un journal scientifique  qui s’appelle Cameroon of Ophthalmology qui permet que tous les médecins ophtalmo qui ont des publications, qui ont fait des découvertes puissent les publier dans ce journal. Ce journal sort trois fois par an et il sera disponible lors de ce congrès.

Quel est le fonctionnement de la SCO ?

C’est une société savante qui a des démembrements au niveau des régions. Toutes les dix régions ont un regroupement qui est des démembrements de la SCO. Tous ces démembrements tiennent des webinaires.  Ça aussi c’est une innovation qui date de deux ans. Et puis il y a un bureau qui est composé d’un secrétaire général et d’une trésorière, et ce bureau là est renouvelé tous les trois ans.

Un jeune ophtalmo peut-il intégrer la SCO sans passer par l’ONMC ?

Non. Pour exercer au Cameroun, il faut être inscrit au tableau de l’Ordre et avoir l’autorisation d’exercice délivrée par l’Ordre. Tout spécialiste confondu doit absolument avoir son autorisation d’inscription. C’est un passage obligatoire.

Parlez-nous de la cerisaie ?

C’est un cabinet qui existe depuis 2003. Il a pignon sur rue. On essaye de travailler selon les règles d’éthique et de déontologie. On essaye de travailler avec beaucoup de professionnalisme. Nous sommes constitués de trois ophtalmologues, un médecin généraliste et un technicien spécialiste en ophtalmologie. Donc c’est un cabinet qui essaye de travailler selon les standards internationaux 

D’autres ajouts ?

Toute société savante a plusieurs objectifs. J’ai évoqué ce qui est fait au niveau des ophtalmologues, mais je n’ai pas parlé suffisamment des autres aspects de notre stratégie. Et ces aspects de notre stratégie sont orientés vers les autres médecins non ophtalmologues et vers le public. Les yeux appartiennent à un organisme. Et cet organisme peut avoir plusieurs maladies qui impactent sur la vue. A l’exemple, le diabète qui est une maladie métabolique a un impact énorme sur la vue. Or on doit faire des concertations interdisciplinaires pour l’ophtalmologie  et la Société camerounaise de diabétologie pour les sensibiliser sur les complications oculaires du diabète et faire en sorte qu’on établisse des protocoles de prise en charge et de dépistage de ces troubles visuels chez les diabétiques.  En pédiatrie, il y a le strabisme des enfants, parfois il y a des enfants qui ont des cataractes congénitales, des complications de la rougeole. Il faut que nous en tant que société savante, qu’on outille les autres spécialistes pour leur dire quand vous avez un cas comme ça voilà ce qu’il faut faire. Nous avons déjà fait ça avec les pédiatres, il faut étendre celà vers d’autres spécialités. On vise aussi les pharmaciens… Cette concertation avec les autres spécialistes est importante pour nous. En plus, il faut informer le public sur les pathologies, les risques de ne pas se faire  consulter.  La SCO ne peut pas rester fermer. Elle réfléchit sur ce qu’il faut faire pour diminuer cette cécité. On envisage aussi une discussion sur les soins ophtalmologiques à l’ère de la CSU (Couverture santé universelle), des descentes dans les lycées, les collèges ; à la journée mondiale de la Vue, comment on organise des campagnes de chirurgie gratuite ; on doit aussi être réaliste et se dire qu’on aura un certain nombre de patients qui n’aura pas les moyens de venir chez l’ophtalmologue. Et donc, en tant que citoyen et en tant que société citoyenne qu’est ce qu’on fait ?  Voilà aussi une autre question qu’on doit se poser.

Propos recueillis par Ghislaine DEUDJUI

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