Frédéric, 29 ans: Le « comptable des ordures »

Licencié en comptabilité depuis cinq ans, il fouille chaque jour les poubelles à la recherche de bouteilles en plastique. Faute d’emploi, ce jeune diplômé a troqué la cravate contre un sac de recyclage pour subvenir aux besoins de sa famille. Rencontre avec un homme qui refuse de céder au découragement, et qui puise dans les ordures la force de survivre avec dignité.
Il est un peu plus de 10 heures, ce samedi matin 07 juin 2025 à Ngousso, lieu-dit Tradex Éleveur. Le soleil commence à taper, les klaxons s’entremêlent au chant des motos, et la vie suit son cours dans ce quartier populaire de Yaoundé. C’est là, devant un grand bac à ordures débordant de sachets plastiques et de restes de nourriture, que nous l’apercevons.
Il est penché, concentré, une pince dans une main, un sac en bandoulière. Il fouille méthodiquement les poubelles, sans prêter attention aux regards autour. Un geste presque routinier. Par curiosité, nous l’approchons. Il nous jette un regard surpris, un peu méfiant, puis accepte de nous parler. Il s’appelle Frédéric, 29 ans, licencié en comptabilité depuis cinq ans.
« J’ai déposé des dossiers partout », commence-t-il, le ton calme mais ferme. « Banques, microfinances, ONG, entreprises privées… On m’a toujours dit: « On vous rappellera ». Je suis encore en attente. Honnetment…le pays ci ù’a déjà dépassé.»
Son regard se perd un instant sur une bouteille de plastique qu’il vient de ramasser. Il la secoue, la vide d’un reste de jus, puis la glisse dans son sac déjà à moitié plein. « J’aurais pu rester à la maison, croiser les bras et attendre que le destin me sourie. Mais à la maison, on a faim. Ma mère est malade, mon petit frère est au collège, et ma sœur rêve de devenir enseignante. Je ne peux pas les laisser tomber. »
A lire aussi: Economie circulaire durable: La Bourse Nationale des Déchets officiellement lancée
Alors Frédéric a choisi de se battre. De transformer la honte en ressource. Chaque jour, il parcourt les rues de Yaoundé, de Ngousso à Mballa II, à la recherche de bouteilles en plastique abandonnées. Il les lave soigneusement à la maison, puis les revend à de petits centres de recyclage au niveau du quartier Elig-Edzoa. Avec quelques kilos de plastique, il gagne entre 1000 et 2000 FCFA par jour. « Ce n’est pas grand-chose, mais ça fait une marmite de riz, un comprimé, un cahier… »
Lorsqu’on lui demande s’il a honte de ce qu’il fait, Frédéric sourit. Un sourire triste, mais digne. « Non, la honte, c’est de regarder sa famille souffrir quand on peut faire quelque chose. J’ai une licence en comptabilité, oui. Mais aujourd’hui, je suis comptable d’un autre genre: je compte les bouteilles pour équilibrer notre survie. »
En le quittant, on réalise que ce jeune camerounais n’est pas un échec du système, mais le produit d’un pays où les diplômes dorment pendant que les ordures nourrissent. Il n’attend pas la pitié, ni même la gloire. Il espère juste une chance. Une vraie.
Et en attendant, c’est au fond des bacs à ordures qu’il puise chaque jour la force de garder sa famille debout.
Mireille Siapje