Interview « Sur les 100 patients que je reçois, il y a 4 ou 6 femmes par mois, elles ne sont pas nombreuses. Mais les statistiques montrent que par rapport au début, j’avais 0 par mois maintenant je commence à avoir 6 ou 7. »
Dr OKOTO MVONDO Nelly, médecin addictologue, chef de centre de Soins d’Accompagnement et de Prévention en Addictologie, en agrégée SAPA de l’hôpital Jamot de Yaoundé.
La journée du 26 juin, nous célébrons la journée internationale contre l’abus et le trafic de drogue. Particulièrement cette année, le thème choisi c’est « les faits sont là, investissons dans la prévention »
Quel est le message que ce thème renvoie ?
Ce thème renvoie à : prévenir, éviter, amener ceux- là qui n’ont pas encore eu à consommer les stupéfiants, de ne pas penser à toucher à une seule substance. Donc, dès le bas âge les enfants qui n’ont pas encore eu a touché, ceux qui sont adolescents qui entrent dans la société active et qui n’ont pas encore eu a consommé doivent être sensibilisés.
Quels sont les moyens humains, logistiques que vous utilisez pour empêcher ceux qui ne prennent pas encore la drogue à ne pas s’y adonner ?
Oui les moyens mis en place, c’est la sensibilisation dans les milieux scolaires, la sensibilisation par les médias, leur parler des effets de la drogue et de ses conséquences. Même ici à l’hôpital, tous les jours la sensibilisation est primaire.
Aujourd’hui vous avez organisé deux activités pour cette journée parmi lesquels une campagne de dépistage pourquoi avez-vous organisez une campagne de dépistage ?
La première phase c’était les consultations gratuites. Parce qu’il faut motiver ceux-là , qui sont déjà en situation de consommation de stupéfiants à venir à l’hôpital. Il faut les encourager à venir parce qu’ils ont peur, parce qu’ils se sentent stigmatisés, parce qu’ils veulent se cacher et parce que certains ne savent pas qu’il y a la solution à l’hôpital. Donc pour nous, c’était un moyen de les encourager, de les motiver et de les appeler dans nos structures pour qu’on leur apprenne qu’il y a une solution à leur problème et qu’ils ne sont pas perdus.
Quel bilan faites-vous de cette campagne de sensibilisation ?
Aujourd’hui le nombre de patient que nous avons enregistré, n’est pas vraiment ce à quoi on s’attendait. Parce qu’on a eu au maximum 20 patients qui sont arrivés aujourd’hui. On met cela aussi sur le fait que, la sensibilisation pour la journée n’a pas été vraiment effective en amont et pour se rattraper on s’est dit qu’on va prolonger les consultations pour donner la chance aux autres jusqu’à vendredi de 8h à 14h, sachant le degré de consommation car les statistiques en parlent. Donc on s’attendait à plus pour la journée et espérons que les jours à venir il y aura plus de patients.
Quel est le bilan du Centre Jamot, du service de psychiatrie concernant le nombre de personnes qui se donnent au caillou dur à la drogue ?
Sur le plan national, les dernières données dates de 2022 avec le CNLD, qui estime à 21% le pourcentage de ceux qui ont déjà eu à toucher à la drogue. A l’hôpital Jamot, je ne peux pas vous dire les statistiques en pourcentage mais ce que je peux vous dire, c’est qu’en moyenne nous recevons à l’hôpital entre 60 et 100 demandeurs de soins par mois.
Est-ce que ce n’est pas inquiétant ?
C’est inquiétant ! Si seulement l’hôpital Jamot seul enregistre 100 personnes par mois pour la consultation de stupéfiants, c’est dire que le mal est profond. Mais la difficulté que l’on a aussi est que beaucoup de personnes pensent que, quand ils viennent à l’hôpital Jamot, ils seront confondu avec des patients de psychiatrique, donc quand on leur dit de venir à l’hôpital Jamot parce qu’ils ont un problème de consommation de stupéfiants cela veut dire qu’ils sont fou comme on dit au quartier ce n’est pas vrai. Il y a une certaine unité de prise en charge qui s’occupe uniquement de ceux-là qui n’ont pas besoin d’aller voir le psychiatre. Sauf si on estime, que cette personne a une comorbidité psychiatrique associée à sa consommation de stupéfiants, là on peut vous envoyer consulter par un psychiatre. Mais, vous pouvez venir pour un problème de consultation de consommation de stupéfiants, je veux voir l’addictologue, je veux être suivi pour mon problème et vous serez suivi pour votre problème. Comme vous pouvez venir avec une autre complication comme un problème de cœur, on vous envoi chez le cardiologue, sur le plan cérébrale AVC on vous envoi chez le neurologue. Si vous venez donc avec un autre problème en dehors de votre maladie de stupéfiants, qu’il y a aussi peut être une dépression on verra comment vous envoyer chez le psychiatre. Donc, ce n’est pas forcement parce que vous venez qu’on va vous traiter comme un « fou ». Et autre chose : ce n’est pas toute personne qui a un problème de stupéfiants qu’on va hospitaliser à l’hôpital Jamot.
Pourquoi est-ce que vous organiser la table ronde et quelle est la cible, les personnes que vous avez invitées pour cet échange ?
La table ronde c’était pour réunir en même temps les patients, leur famille et tout ce qui ont un besoin d’information en ce qui concerne les problèmes d’addiction à la consommation des stupéfiants. Quand on prend en charge un patient, ce n’est pas seulement lui qu’on prend en charge mais aussi, il faut parfois faire venir la famille parce que la famille c’est la base. Quand vous finissez de prendre en charge le patient, pour le récupérer il va falloir l’envoyer en famille. Mais quand les familles ne comprennent pas que l’addiction n’est pas une maladie cérébrale qui est chronique cela veut dire que ce n’est pas quand il va sortir que la maladie va finir. Il va falloir continuer le suivie de celui-là qui va rentrer au quartier, dans la famille. Le suivie peut être biaisé donc il faut que la famille, l’entourage comprennent exactement de quoi est-ce qu’il s’agit pour pouvoir aider la personne c’est pour ça qu’on a invité tout ce monde
Quel est le message que vous avez voulu transmettre ?
Notre discussion était basée sur la prévention, mais il y a une question qui rôde autour de ceux qui consomment les stupéfiants, pourquoi est-ce qu’il a consommé alors qu’il a tout ? Je lui ai tout donné, je lui ai donné une bonne éducation, on a eu un bon encadrement, je lui donne de l’argent. Si vous ne savez pas ce qu’il y a autour de ça vous ne pouvez pas comprendre. Donc notre message qui a été véhiculé sur cette table ronde c’était d’aider ces gens- là à comprendre pourquoi est-ce que telle ou telle situation arrive.
Est-ce qu’on peut avoir un chiffre sur le nombre de patients que vous suivez actuellement ?
Nous avons 60 à 70 patients, mais il faut également savoir que de ces 60 à 70 , vous allez trouver que pratiquement 50% sont parfois des démunis. Mais, dans le suivie on a beaucoup de fuite des patients parce qu’ils se disent que quand ils viennent ici ils sont stigmatisés, d’autres quand ils viennent, ils voient qu’ils sont nombreux se disent qu’ils ne peuvent pas être pris en charge ainsi de suite.
Est-ce que vous remarquez que les femmes se donnent déjà à la prise de drogue ?
Oui, il y a celles qui prennent les stupéfiants en connaissance de cause
Il y a combien sur les 100 que vous pouvez avoir ?
Sur les 100 patients que je reçois, il y a 4 ou 6 femmes par mois, elles ne sont pas nombreuses. Mais les statistiques montrent que par rapport au début, j’avais 0 par mois maintenant je commence à avoir 6 ou 7. Et il faut aussi savoir qu’elles commencent déjà à se manifester, ce n’est pas qu’elles ne consomment pas, mais elles commencent à beaucoup se faire consulter. Elles se sentent plus stigmatisés encore par rapport à d’autres et la plupart de ces femmes ont beaucoup de traumatismes psychologiques en arrière que parfois elles n’arrivent pas à s’exprimer et à venir ici .Je peux déjà dire que je suis quand même fier parce que j’ai eu une femme qui consommait le caillou ou crack donc cocaïne , en même temps la morphine, le cannabis que j’ai sevré, elle est à 3mois de sevrage aujourd’hui et elle se porte bien ; il y a une autre dame qui est venue pour l’alcool. Il faut aussi noter que la plupart des femmes qui viennent ici pour des problèmes d’addiction c’est souvent pour l’alcool. Donc, il y a aussi l’alcool dedans ; il y a aussi celles qui consomment les stupéfiants sans savoir les femmes qui prennent la prise. Cette prise-là est contrefaite. C’est des mélanges de substances, ce n’est pas du tabac pur comme on le fait au village c’est mélangé. Parfois quand tu fais les tests de drogue à ces femmes je me rends compte qu’elle a du cannabis, de la morphine dedans, du tramol, du diasépend dans son organisme. Parfois, quand vous faites même le test, la cigarette ne sort pas, donc ça veut dire que le tabac cru qui est la nicotine ne sort pas ce sont ces autres substances- là qui sortent. Raison pour laquelle je disais qu’il y a des femmes qui consomment sans savoir. Et comme elles ont l’habitude de prendre soit la prise par voie basse donc tout ce qu’elles prennent sont souvent nocif.
Interview réalisée par Audray NDENGUE Stg