Kambélé – Les orpailleuses infectées au mercure

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Batouri est une ville du Cameroun située dans la région de l’Est et chef-lieu du département de la Kadey. Depuis plus d’une décennie, l’exploitation minière fait payer un lourd tribut aux femmes de la région de l’Est. Entre maladies hydriques, infections pulmonaires et maladies de la peau, eau polluée au mercure…, elles n’ont que leurs yeux pour pleurer.

À Batouri, petite commune de l’est du Cameroun, les orpailleuses souffrent dans un silence absolu, peut-on lire sur site internet du journal français en ligne Reporter. Augustine partage ses peines loin des regards. « J’ai eu des blessures tout autour de mon sexe. Je ne comprenais pas ce qui se passait. Dans mon ménage, je n’étais plus en mesure de satisfaire mon mari. Je me sentais mal pendant les rapports sexuels. Quand il était emporté de joie, moi, je coulais des larmes, parce que je me sentais mal. C’était un cauchemar ! Il ne me comprenait pas, mais j’étais la seule à mesurer ma douleur, une douleur atroce. À force de revenir travailler à la mine, j’étais en contact avec ces eaux, et ces petites blessures se multipliaient et s’aggravaient. J’avais des démangeaisons partout au bas ventre. À l’hôpital, le médecin m’a demandé de quitter la mine, car il a retrouvé les traces de mercure dans ma vulve. »

Depuis plus d’une décennie, l’exploitation minière fait payer un lourd tribut à la région de l’est du Cameroun. Entre maladies hydriques, infections pulmonaires et maladies de la peau, les communautés n’ont que leurs yeux pour pleurer. La société civile ne cesse d’alerter sur le désastre environnemental et sanitaire. Mais également sur les multiples accidents causés par les trous non restaurés. Entre 2014 et 2020, au moins 150 morts ont été enregistrés dans les mines de la région. Dans les bidonvilles, chaque orpailleuse ou presque a une histoire avec les produits chimiques. Des blessures qui peinent à guérir, des enfants de moins de cinq ans entraînés dans la mine par leurs parents qui suffoquent. Certains vieux orpailleurs ont perdu la vue à force de manipuler les produits toxiques.

À cause de l’extrême pauvreté dans laquelle les orpailleuses croupissent, ces maladies de la honte freinent à peine leur élan vers les sites miniers. Tamis à la main, trempée dans une eau boueuse pendant des heures, les populations, des femmes en majorité, malaxent la terre molle sans protection. L’argent engrangé après la vente de quelques pépites d’or permet de s’occuper des charges familiales. À l’hôpital catholique de Batouri, un jeune médecin a fait du mercure sa spécialisation. Le docteur Betsalel Ndifo reçoit régulièrement les « accidentées du mercure », comme il les appelle. Pour lui, « il est inévitable qu’une femme qui passe du temps dans un liquide lui arrivant au niveau de son nombril ait, avec une dermatite de contact, des lésions au niveau de la peau ou du sexe. Évidemment, des femmes qu’on reçoit ici ont ces problèmes d’allergies vaginales causées par le mercure ». Il dit aussi recevoir des enfants qui, accidentellement, ont avalé du mercure.

Des blessures au corps, parce qu’ils utilisent le mercure

Toujours selon ce médecin, l’utilisation ou la manipulation du mercure à forte dose peut causer des affections neurologiques, des maladies auto-immunes ou encore des malformations congénitales. L’inhalation de ses particules provoque des maladies respiratoires. Les orpailleuses seraient d’ailleurs les plus sujettes à des problèmes de coordination musculaire, de perte de mémoire, de tremblements des membres et d’hallucinations, selon le Dr Ndifo. À cela s’ajoutent des cas de brûlures chez les mineurs artisanaux travaillant à mains nues. Contacté, par les journalistes de Reporterre à Kambélé, Ndorman Nico Landry, le représentant local à Batouri du ministre des Mines, dément l’utilisation du mercure par les exploitants chinois, pourtant mis à l’index par la population. Pour ce délégué départemental, « aucun Chinois n’utilise le mercure. Au contraire, ce sont les orpailleurs artisanaux [camerounais et centrafricains] qui manipulent ce produit pour capter l’or sans mesures de protection ».

Un témoignage en contradiction avec ce que les communautés locales nous ont confié. « Quand vous travaillez dans les mines appartenant aux Chinois, vous tombez malade. Vous avez des blessures au corps, parce qu’ils utilisent le mercure », nous expliquait une orpailleuse, ancienne malade de lésions vaginales. Il n’a pas été possible de rencontrer les entreprises chinoises sur le terrain, les agents de sécurité ne nous ayant pas laissés passer. L’exploitation industrielle de l’or dans l’est du Cameroun provoque régulièrement de fortes tensions entre populations locales et les exploitants asiatiques, accusés de pollution, d’assassinat, d’accaparement des terres et de corruption dans un pays où l’industrie aurifère n’est pas encadrée légalement. Le secteur minier contribue à peine à 5 % du PIB. En novembre 2017, selon l’ONG Forêts et développement rural (Foder), un employé de l’entreprise Lu et Lang avait abattu un orpailleur camerounais qui cherchait de l’or sur la parcelle dont la société revendiquait la propriété. Les villageois, ce jour-là, se sont révoltés et ont tué le Chinois.

Elvis Serge NSAA

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