
Professeur Bertrand Hugo Mbatchou, pneumologue.
Le Professeur Bertrand Hugo Mbatchou, pneumologue de renom et président de la Société camerounaise de pneumologie, a pris la parole à l’occasion du 5e congrès de la société, qui s’est tenu à Douala du 31 juillet au 2 août 2025. Il a mis en lumière les thèmes centraux de l’événement, notamment le syndrome d’apnée du sommeil et l’oncologie thoracique, des problèmes de santé majeurs et souvent sous-diagnostiqués en Afrique. Le Pr Mbatchou a insisté sur l’importance de la sensibilisation des professionnels de santé et du grand public pour un meilleur dépistage. Il a également souligné la nécessité de la collaboration internationale et l’intégration de la pharmacopée africaine, dont les bienfaits sont de plus en plus reconnus, pour adapter les traitements au contexte local et améliorer la prise en charge des patients.
La Société camerounaise de pneumologie tient son cinquième congrès. L’un des axes majeurs, c’est le syndrome d’apnée du sommeil et l’oncologie thoracique. On veut bien savoir pourquoi ces thèmes ?
Oui, nous avons choisi ces deux thèmes parce qu’ils constituent des problèmes de santé réels sur notre continent. Le syndrome d’apnée du sommeil, parce que c’est une maladie qui n’est pas connue depuis très longtemps, donc qui est sous-diagnostiquée même par les professionnels de santé. Certains ne connaissent pas très bien de quoi il s’agit. C’est pour cela qu’il était important qu’on puisse réunir l’ensemble de ces professionnels de santé pour leur parler du syndrome d’apnées du sommeil.
Il est donc question de savoir : comment est-ce qu’on peut, après une consultation, suspecter que le malade souffre de cette maladie ? Et comment poser le diagnostic ? Et enfin, quels sont les éléments de la prise en charge du syndrome d’apnées du sommeil ?
Le deuxième thème porte sur le cancer du thorax, parce qu’il y a plusieurs cancers qui peuvent toucher le thorax. Mais le principal, c’est le cancer du poumon. Et c’est aussi une maladie qui est évitable.
C’est une maladie qui est aussi peu diagnostiquée par les professionnels de la santé. Donc, ce sont des raisons pour lesquelles nous avons choisi ces deux thèmes. D’autant plus que pour le cancer du poumon, nous avons le tabagisme qui est quelque chose de fréquent, d’évitable, donc qui peut permettre de réduire les risques de cette maladie.
Prof. : Est-ce que les troubles du sommeil sont si importants pour mériter tout un congrès ?
Oui. Je vous dis que c’est une maladie qui n’est pas très bien connue, très peu connue du public et même des professionnels de la santé. C’est une maladie qui se manifeste par des petits arrêts respiratoires au cours du sommeil, du ronflement au cours du sommeil, parfois un sommeil qui est très agité. Et la répercussion au courant de la journée, c’est une somnolence excessive. Vous avez des gens, quand ils sont en réunion, même quand ils font partie du panel de la réunion, quelquefois, ils somnolent devant tout le monde.
Ou alors vous avez quelqu’un assis dans une salle d’attente et il ne somnole pour rien. Quelquefois, ce sont des malades qui souffrent de ce syndrome d’apnée du sommeil.
Pourquoi ?
Parce que pendant la nuit, le sommeil est agité, il ronfle, le sommeil s’arrête quelquefois et donc le sommeil n’est pas profond. Et en journée, ils ont besoin de dormir un tout petit peu pour récupérer le sommeil qu’ils n’ont pas pu avoir dans la nuit. Alors les conséquences de cette maladie sont importantes, notamment sur les maladies cardiovasculaires. Parce que quand on ne dort pas dans la nuit, en journée, on est irrité et la tension artérielle va être élevée.
D’autres maladies comme les accidents vasculaires cérébraux, les crises cardiaques sont souvent le fait du syndrome d’apnées du sommeil. Parce que quand on ne dort pas, bien qu’au cours du sommeil, la respiration s’arrête, il y a un manque d’oxygène dans l’organisme qui stresse le cerveau, qui stresse le cœur, qui peut donc provoquer des problèmes circulatoires. Allant jusqu’aux accidents vasculaires cérébraux.
Mais je vous dis, c’est méconnu. C’est pour cela qu’il est important d’insister là-dessus. Et dans un premier temps, au niveau des professionnels de la santé et secondairement, des campagnes de sensibilisation envers les populations pour qu’ils soient alertés.
C’est important de le savoir. Vous voyez, dans nos cultures, quand vous avez votre frère ou votre ami qui ronfle, on se moque souvent en se disant qu’il ronfle trop. Alors que dans la plupart des cas, ce ronflement est lié à une maladie.
Donc il est important de se faire dépister quand on ronfle, de se faire dépister du syndrome d’apnée du sommeil. Quand on ronfle, et là, en voyant un médecin pneumologue, il a tous les moyens pour poser le diagnostic du syndrome d’apnée du sommeil. Alors pour ça, on a constaté qu’on a cité beaucoup de pays, africains même, d’Europe, qui assistent à ce congrès.
Quel est l’objectif de réunir tout ce beau monde ?
Vous savez, la connaissance n’a pas de limite. Nous sommes des médecins spécialistes qui venons de plusieurs pays. Des médecins qui ont des expériences qui peuvent être différentes, qui viennent même de l’Europe, parce qu’il y a des collaborations avec les pays européens. Quand on se retrouve, c’est pour le partage d’expériences par rapport à la prise en charge de ces malades.
Donc il y a des observations que je peux faire au Cameroun qui ne sont pas les mêmes faites en France ou au Mali. Et quand on se retrouve, on échange, on parle des nouveautés, parce que la science évolue, il y a des choses qu’on découvre, on discute de tout cela, et ensuite on voit comment adapter toutes ces trouvailles-là à notre contexte. Comment est-ce qu’étant en Afrique, malgré nos moyens limités, on peut quand même poser le diagnostic de l’apnée du sommeil ? On peut bien prendre en charge l’apnée du sommeil ou le cancer du poumon ?
Est-ce qu’il y a des mécanismes pour s’assurer que les échanges que vous faites ont un impact sur le terrain ?
Oui, les sociétés savantes, la Société camerounaise de pneumologie, pour ce qui me concerne, à la fin du congrès, nous émettons des recommandations, et soyez rassurés, nous transmettons les rapports de nos activités aux décideurs politiques. Pour nous, c’est le ministre de la Santé qui reçoit nos rapports d’activités annuelles de façon régulière, et je pense que ses collaborateurs lisent ces rapports et lui font l’économie pour que, sur le plan national, si c’est possible, des choses soient faites pour améliorer l’état de santé de nos populations.
Quel est le rôle d’un psychologue dans la prise en charge d’apnée du sommeil et de la tuberculose par exemple ?
L’individu habite dans un cadre social, socioculturel, et on a des habitudes culturelles qu’il faut prendre en compte quand on soigne un malade. Et on a des croyances africaines dont il faut prendre en compte. Et ensuite, la santé, dans sa définition, c’est le bien-être physique, social et mental.
Vous voyez comment les sciences sociales ont une place capitale dans notre système de santé. C’est pour cela que nous avons, en conférence inaugurale, invité un spécialiste des sciences sociales qui est venu nous parler de comment on peut voir l’interaction entre ces sciences sociales et la santé humaine.
Est-ce que vous rêvez d’éradiquer les troubles de sommeil ?
Ce qui est important, c’est déjà de connaître ce que c’est que l’apnée du sommeil, d’être informé.
Si les populations connaissent les symptômes du syndrome d’apnée du sommeil, elles peuvent consulter un spécialiste pour que l’on fasse des examens pour diagnostiquer la maladie. Maintenant, quand la maladie est diagnostiquée, on peut la prendre en charge. Le malade va éviter les complications de la maladie qui peuvent être mortelles.
C’est ce qu’on va voir. Il y a aussi la connaissance et la prévention de toutes ces maladies. Quand les populations sont au courant de comment faire pour éviter une maladie, ils peuvent appliquer ces mesures pour éviter d’être malades.
C’est notre rôle de former les professionnels de santé qui sont en première ligne dans la prise en charge des malades, mais aussi de former les populations, d’éduquer les populations, de sensibiliser les populations pour qu’elles soient au courant des symptômes de certaines maladies qui peuvent les pousser à aller consulter un médecin.
Quelle est la position de la pharmacopée africaine dans la prise en charge des maladies respiratoires ?
La pharmacopée africaine est très riche, nous le savons tous, et a certainement des effets bénéfiques pour notre santé de façon générale. C’est pour cela qu’il existe même au niveau du ministère de la Santé une direction qui s’occupe de la médecine traditionnelle.
Et je pense que la collaboration entre la médecine conventionnelle et la médecine traditionnelle est croissante dans notre pays. On l’a vu pendant la pandémie du covid-19. Cette pratique a été reçue par le ministère de la Santé publique et leurs solutions ont été étudiées dans des laboratoires.
Certaines de ces solutions ont même été recommandées par le ministre de la Santé. Notre pharmacopée africaine est très riche et on a besoin de cette collaboration et surtout de beaucoup de travaux de recherche pour pouvoir identifier les principes actifs que l’on a dans nos plantes.
Entretien mené par Alphonse JENE