Selon la Directrice Exécutive de l’ONG Impact Santé Afrique ISA, les personnes qui meurent le plus de paludisme, sont des celles qui sont affectées par la pauvreté. Elles n’ont pas accès aux traitements. Ces populations sont submergées par les médicaments de la rue et les faux centres de santé. Il faudrait adresser ces inégalités sociales ; économiques, pour pouvoir aussi lutter contre le paludisme.
Est-ce que d’entrée de jeu, vous pouvez nous dire qui vous êtes ?
Je m’appelle Olivia Ngou, je suis la Directrice exécutive d’une ONG, qui s’appelle « Impact Santé Afrique » (ISA). C’est une organisation qui est coordonnée et dirigée par des femmes et donc, l’une des missions principales, c’est de contribuer aux efforts d’accélération de lutte contre le paludisme, pour adresser les besoins des communautés les plus affectées par cette maladie. Les personnes les plus affectées par le paludisme sont les femmes enceintes et les enfants de moins de cinq ans. C’est important que nous puissions apporter notre contribution pour aider à éliminer cette maladie qu’est le paludisme, première cause de mortalité dans notre pays.
L’ONG « Impact Santé Afrique, le 25 avril 2021, le Cameroun va se joindre à la communauté internationale pour célébrer la 14ème édition de la Journée mondiale de lutte contre le paludisme, sous le thème « Zéro palu-tirer un trait sur le paludisme ». D’après vous à quoi renvoie ce thème ?
Le thème cette année, c’est « Tirer un trait sur le paludisme », c’est une très bonne thématique, mais pour nous, « Tirer un trait sur le paludisme », ça nécessite l’implication des communautés affectées par la maladie et de plusieurs autres organisations de la société civile et des ONG locales, parce que, nous remarquons que, le paludisme est une maladie communautaire ; c’est-à-dire, qui se teste et se traite en communauté. Les populations malheureusement vont dans les centres de santé quand c’est déjà trop tard. Quand elles ont le paludisme, elles essaient d’abord à la maison, de trouver toutes sortes de remèdes pour atténuer la maladie. C’est vraiment une maladie communautaire. Il est important que les efforts soient faits au niveau communautaire pour que les populations soient fortement sensibilisées sur l’importance non simplement de prévenir le paludisme, avec l’utilisation correcte de la moustiquaire imprégnée à longue durée d’action (MILDA) chaque soir, ou alors, le fait qu’il faut garder son environnement propre, mais aussi informer les populations sur les méthodes de diagnostic et de traitement simple qui existent aujourd’hui pour le paludisme et qui sont disponibles dans les centres de santé. Donc, il est très important qu’on puisse tirer un trait sur le paludisme, mais ceci passera forcément par un grand impact communautaire.
Que compte faire l’ONG « Impact Santé Afrique » (ISA), pour que nous puissions Tirer un trait sur le paludisme ?
Notre contribution à « Impact santé Afrique », c’est que premièrement, nous voulons renforcer les efforts de plaidoyer de communication et de sensibilisation. Nous savons que ces efforts doivent passer comme je le disais par les communautés affectées. C’est pour ça que nous avons mis en place, le premier réseau mondial des Organisations de la Société Civile (OSC), pour l’élimination du paludisme. C’est un mouvement de près de 347 organisations, dans plus de 30 pays, qui sont donc unies aujourd’hui pour coordonner la communication, le plaidoyer et renforcer cet engagement communautaire dans la lutte contre le paludisme. L’une de nos contributions est de faire grandir et nourrir ce réseau ; c’est renforcer les capacités des organisations de la société civile, pour qu’elles soient plus actives dans la lutte contre le paludisme, comme elles le sont dans la lutte contre le VIH par exemple, comme nous les voyons également très actives dans la lutte contre d’autres maladies.
Pour le paludisme, il est important de mobiliser d’autres organisations parce que « Impact Santé Afrique » à nous tout seul, on ne peut pas atteindre l’objectif qu’on veut, d’avoir zéro paludisme d’ici 2030. Pour atteindre cet objectif, il faut que les autres organisations soient fortement impliquées, et ce que nous faisons, c’est de sensibiliser les leaders politiques, pour qu’ils aient des changements de politique, afin que la lutte contre le paludisme soit une priorité, pour que la lutte contre le paludisme soit suffisamment financée, pour que les pays puissent honorer leur engagement à temps de fonds de contrepartie des subventions, comme les subventions du Fonds mondial, pour qu’aussi nous sensibilisions les communautés, afin qu’elles adoptent les méthodes de prévention, parce que prévenir vaut mieux que guérir.
C’est important, ça va permettre de réduire le nombre de décès liés au paludisme, sensibiliser, engager les communautés pour qu’elles puissent mettre l’accent sur la prévention de la maladie, mais aussi, sur la prise en charge adéquate, en cas de fièvre, allez dans un centre de santé pour se faire tester, parce que toutes les fièvres ne sont le paludisme. Certaines fièvres peuvent être la fièvre typhoïde, la covid-19…etc, donc, c’est important de toujours faire un test, il ne faut pas toujours assumer que c’est le paludisme et prendre les médicaments. Il faut faire un test d’abord, pour une prise en charge adéquate. Pour nous, la sensibilisation des leaders politiques, ainsi que des communautés est très importante si on veut faire reculer la maladie.
Comment est-ce que « Impact Santé Afrique » se déploie au quotidien sur le terrain, pour sensibiliser les communautés sur le paludisme ?
En communication, on utilise les canaux les plus adaptés. Maintenant, aujourd’hui, la plupart des camerounais sont sur les réseaux sociaux, sur les plateformes comme WhatsApp. On utilise ces plateformes pour communiquer. On passe par les organisations de la société civile, qui sont dans les régions, en proximité avec ces communautés. On les forme, on leur donne des outils. On passe également à travers des médias, comme vous et d’autres qui peuvent nous aider à passer l’information à des milliers de personnes.
Les faiblesses de notre système de santé ne favorisent pas toujours la prise en charge des personnes à risque, notamment les femmes enceintes et les enfants de moins de cinq ans. Quel type de plaidoyer menez-vous pour renverser cette situation ?
La gratuité du traitement du paludisme chez les enfants de moins de cinq ans et l’absence de médicaments dans certaines formations sanitaires n’est pas partout. Parce qu’il y a des endroits où ça marche et il y a des endroits où il y a ce problème. Effectivement, nous faisons du plaidoyer pour qu’il y ait un renforcement du système de santé. On ne peut pas renforcer le système de santé si on ne met pas les moyens qu’il faut. Le Cameroun malheureusement au jour d’aujourd’hui, est l’un des pays en Afrique qui dépense le moins pour la santé de ses populations, contrairement aux engagements pris lors de la conférence d’Abuja en 2001, qui était d’allouer au moins 15% du budget de l’Etat à la santé. Actuellement nous sommes entre 3 et 5% chaque année. Avec une telle faiblesse budgétaire, comment voulez-vous qu’on puisse adresser ce problème ?
Nous pensons qu’il faut que nos leaders politiques augmentent suffisamment les budgets alloués à la santé au moins à 15% du budget de l’Etat, ce qui va permettre d’avoir les systèmes de santé forts, ce qui va permettre d’avoir aussi des réformes en milieu hospitalier, ce qui va permettre que le personnel de santé soit motivé, cela va faire que le pays soit prêt pour les pandémies comme la covid-19. Si on avait commencé à investir suffisamment il y a 20 ans, en 2001, je pense qu’on serait aujourd’hui mieux préparé pour les pandémies comme la covid-19. Nous vivons avec l’épidémie du paludisme depuis très longtemps, des milliers de personnes meurent chaque année. C’est une épidémie que nous avons. D’après l’OMS, le paludisme a pris la vie de 11000 personnes, les décès liés au covid-19, nous sommes à 919 décès. Vous voyez que nous sommes en plein épidémie depuis des années. Il est urgent d’investir suffisamment pour avoir les moyens qu’il faut pour adresser ces problèmes que vous avez cité et en même temps, sensibiliser encore les communautés, le personnel de santé pour qu’il ait une meilleure gestion et une meilleure utilisation des ressources qui vont être mobilisées et qui sont déjà mobilisées.
Quel est l’impact de la Covid-19 sur la prise en charge du paludisme ? Surtout quand on sait qu’avec la survenue de cette pandémie dans notre pays, les populations ont déserté les formations sanitaires pour se faire soigner en communauté. Quelle est la stratégie communicationnelle que vous avez mise sur pied pour les amener à nouveau dans les formations sanitaires ?
La faible fréquentation des formations sanitaires a été un gros problème dans le cadre de la lutte contre le paludisme. Vous savez que pour traiter le paludisme, il faut une prise en charge adéquate et rapide dans les 48 heures, sinon ça va devenir un paludisme grave. Ça peut devenir un décès très rapidement. Donc la faible fréquentation des formations sanitaires a effectivement affecté la lutte. La campagne de distribution de la moustiquaire imprégnée n’a pas pu se faire normalement. Cependant, la campagne s’est déroulée dans la région du Littoral, pour le moment, nous attendons le lancement dans la région du Centre. Il y a encore le Sud-Ouest qui n’a pas encore reçu ses moustiquaires imprégnées. Nous avons élaboré avec nos partenaires qui sont l’OMS, le ministère de la Santé publique et le centre COUSP, un module d’information sur la lutte contre le paludisme en temps de covid-19 en milieu communautaire. Nous avons expliqué aux communautés les divergences et les points communs entre les deux maladies et ce qu’il faut faire dans le cas de la prise en charge du paludisme en contexte covid-19, ce qu’il faut faire différemment, ce qu’il faut faire, surtout si on ne sait pas si c’est le paludisme ou la covid-19. On a élaboré un manuel rapidement l’année dernière en pleine pandémie et on a organisé des formations des organisations de la société civile, certaines formations en ligne, tout en respectant les mesures barrières. On a commencé la dissémination et la distribution des manuels sur le paludisme.
Comment mener la lutte contre le paludisme en contexte covid-19 ?
Surtout ne pas oublier la lutte contre le paludisme, se réveiller au lendemain de la covid-19 et se rendre compte qu’on a eu beaucoup de morts sur le paludisme alors qu’on s’occupait de la covid-19. Contrairement à la covid-19, le traitement du paludisme est efficace, il guérit en trois jours.
Qu’est-ce qui peut expliquer depuis des millénaires que le paludisme existe, qu’il n’y a toujours pas de vaccin, alors qu’on a déjà trouvé le vaccin de la covid-19 qui a seulement un an d’existence ?
Les vaccins de la grippe et du paludisme ne sont pas les mêmes. C’est plus facile de fabriquer le vaccin d’un virus que celui de la grippe. Quand une maladie comme la covid-19 affecte les pays, ces pays mettent les moyens pour avoir les vaccins qu’il faut à temps. C’est très simple. Le paludisme affecte l’Afrique, quels sont les moyens que nous mettons pour accélérer le développement des outils innovants comme le vaccin ? On investit combien pour la recherche du vaccin en Afrique ? Ça c’est la question qu’on doit se poser. Si nous ne mettons pas les moyens qu’il faut pour une maladie qui est en train de décimer nos familles, n’attendons pas qu’une personne vienne le faire à notre place. Je salue l’OMS qui vient de lancer un test pour le vaccin chez les enfants.
Est-ce qu’on peut dire que le paludisme est une maladie de la pauvreté ?
Le paludisme est une maladie de la pauvreté parce que les personnes qui meurent le plus, ce sont celles qui sont affectées par la pauvreté. Les gens meurent encore du paludisme de nos jours alors qu’on a des traitements efficaces. C’est parce qu’ils n’ont pas accès à ces traitements efficaces. Les personnes qui sont dans les milieux les plus pauvres, sont submergées par les vendeurs de la rue. Par les faux centres de santé. Ils sont submergés par tout ça. Il faudrait adresser ces inégalités sociales ; économiques, pour pouvoir aussi lutter contre le paludisme.
Propos recueillis par Elvis Serge NSAA