Dr Laure Menguene : « On a l’impression que la violence est un divertissement au Cameroun »
Selon le médecin psychiatre, il est important que les individus cultivent l’amour sur le plan individuel, social, familial et professionnel, pour lutter contre les violences.
Qu’est-ce qui peut expliquer la recrudescence des assassinats et des crimes passionnels dans notre pays ?
Ici c’est déjà le fait que quelque verbalise son intention. Ça, c’est déjà quelque chose d’important à prendre en considération. Le fait déjà d’avoir des antécédents, que ce soit des tentatives de suicide, de maladie même mentale, c’est un facteur important. Parce que vous avez des maladies où l’individu au niveau de la pensée est dans le désespoir est dans le pessimisme. Il n’a plus d’avenir, il a l’impression qu’il y a aucune issue face à ses difficultés. Etant en proie à une douleur mentale, à une douleur accablante, donc vous avez quelqu’un qui a mal, qui a une douleur intense, et qui a en plus, aucun espoir. Pour lui, la seule solution, c’est de se donner la mort. Et quand on se donne à la mort, généralement c’est que on est en proie à une douleur intense, on est en proie à la frustration, à la colère interne. Maintenant, cette colère, toutes ces émotions-là peuvent se retourner contre cet individu, soit vers l’autre. Vers l’autre c’est quoi dans le cadre des crimes passionnels. Je retrouve mon époux ou mon épouse avec quelqu’un, alors là qu’est-ce qui se déclenche sur le plan émotionnel ? Il y a cette douleur-là, cette frustration, cette colère et comme est accablante, comme est importante, il faut qu’on puisse se soulager.
Et c’est le passage à l’acte qui soulage l’individu sur le coup. Donc, si vous avez un individu qui est impulsif, qui n’est pas capable de maitriser ses émotions, si vous avez un individu qui est d’abord dans une condition de mal être, parce qu’il déprime, parce qu’il y a des problèmes financiers, il y a des problèmes familiaux. Vous courez le risque aussi qu’il passe à l’acte. Ça ce sont des situations de mal être, parce qu’il faudrait que tu saches que dans le cadre de ce type de comportement à la violence, dont le problème de santé mentale, il y a deux situations : il y a la situation de mal être, comme celui-là qui voit son conjoint en pleine infidélité, si on peut dire, mal être, douleur, frustration, colère et faut qu’on réagisse pour lui, pour aider tout ce flot de déferlement d’émotion à tonalité négative.
A côté de ça, il y a la maladie aussi, qui est la dépression. Avec le désespoir, on peut passer à l’acte. Il y a aussi d’autres maladies, comme le trouble psychotique. L’individu est déconnecté de la réalité. Il entend des voix, des voix qui lui disent de tuer par exemple, parce que l’autre est une menace pour sa propre personne. Il passe à l’acte. On a vu des gens comme ça, qui se sentaient persécuter par ses parents, persécuter par un voisin, peut passer à l’acte. Mais heureusement, la majorité de ces violences-là, n’est pas causée par une maladie mentale, mais par le mal-être.
On observe que c’est beaucoup plus des violences conjugales, liées à l’amour, à des déceptions et aussi à un environnement un peu motivé. Vous qui êtes habituées à ce type d’environnement, décrivez nous un peu ça ?
Ce qui se passe dans les couples, c’est ce qui se passe dans toute la société. C’est la raison pour laquelle, le ministère de la Santé publique, à travers la sous-direction de la santé mentale a toujours tiré la sonnette d’alarme sur l’importance de la santé mentale, sur l’importance du bien-être dans la vie de l’individu. On a actuellement l’impression que la violence est un divertissement au Cameroun. C’est une réalité que le mal-être règne en maître dans notre société. Le mal-être commence en milieu familial, en milieu scolaire, professionnel, en milieu social. Bref, un mal-être un peu général. Malheureusement, le milieu familial est le milieu le plus toxique pour l’individu. Ce milieu qui est censé normalement inculquer les règles, les principes de vies est devenu un enfer pour les individus. Pourquoi, parce que règne-le mal-être. Il y a un manque criard d’amour en milieu familial et dans la société de façon globale.
Quand on parle ici de manque d’amour, nous pensons beaucoup plus à la bonne communication, la bonne interaction, la solidarité, prendre soin de soi et de l’autre. Ça manque beaucoup dans notre société, surtout en milieu familial. A ne pas confondre avec amour qui est pris dans le sens populaire : sexualité génitalité non. Ici quand on parle d’amour c’est le bien-être. Il n’y a pas cet amour, l’individu, les parents qui y vivent sont dans un état de mal être, ou un problème de santé mentale avec des répercutions, non seulement sur la santé physique, quand on est dans un état de mal-être, on peut développer les céphalées, des insomnies l’hypertension, le diabète, tout sorte de maladies. On a des problèmes de maladies mentales, la dépression, on a sur le plan social, cette agressivité. Nous sommes dans un milieu où règne le mal-être, tant chez les parents, que chez les enfants.
Voilà encore quelque qui est vraiment déplorable parce que ces enfants-là vont baigner dans un environnement où règne ce mal-être, ou règne cette violence qui est soit passive, parce qu’on ne se parle pas, parce qu’il y a pas d’amour, où la violence est active parce qu’il y a des maltraitances sur le plan physique, par conséquent, l’enfant qui baigne dans cette atmosphère ne sera que abreuvé de la violence, de la négativité. Par conséquent, il y a des fortes chances, que lui aussi reproduise ce qu’il a entendu, ce qu’il a vu. Les réseaux sociaux ne nous distillent qu’au quotidien, la négativité. Cette négativité est pleine de violence. Violence au niveau du visuel. Une fois de plus, nous sensibilisons ici, les responsables de la communication en les faisant comprendre que : regarder, c’est vrai, c’est passif, mais sur le plan cérébral, le cerveau enregistre les messages, surtout quelque qui est traumatisant, et le risque est donc la pérennisation de ce comportement violent. Ça fait que fasse ça cette violence-là, on a des individus qui de plus en plus sont insensibles à cette violence. On a déjà l’impression que la violence est un divertissement au Cameroun et par conséquent, c’est au quotidien que les individus sont abreuvés de violence. Il ne reproduira que cette scène de violence parce que c’est ça qu’on voit, c’est ça qu’on attend. L’important ici, c’est de mettre l’amour au centre de notre existence.
Est-ce qu’il existe encore cet amour dans notre société ?
Oui. C’est parce qu’on a choisi de médiatiser, de valoriser la violence. En médiatisant la violence, ça veut dire qu’on valorise cette violence, cette négativité. C’est pourquoi on a l’impression que dans notre société, il n’y a pas d’amour, que tout est dans la négativité, obscurité, le pessimisme. C’est complètement faux, c’est important que sur le plan individuel, social, familial, que l’on puisse remettre l’amour qui existe parce que c’est l’une des compétences que nous avons tous. On parle ici, d’amour qui veut tout simplement dire, comme communication, bonne interaction, solidarité, prendre soin de soi et de l’autre. Cet amour-là, nous permet de faire face aux difficultés. Les difficultés sur le plan professionnel, les difficultés sur le plan affectif et autres.
On peut également s’aimer dans le cadre professionnel Dr Laure Menguene ?
Oui. Parce que dans notre contexte aussi, le milieu professionnel devient de plus en plus aussi, un milieu où règne le mal-être. Mal-être pour plusieurs raisons, la charge de travail, les heures qui ne sont pas conformes aux heures de travail, la difficulté de concilier la vie familiale et la vie professionnelle, les harcèlements de toutes choses. Tous ces facteurs-là, qui contribue au mal-être et parce que l’individu vit ce mal-être chronique, ce mal-être au quotidien, va finir, soit dans la consommation des substances, parce que ces substances-là le met dans un état de bien-être, il va faire une dépression, parce qu’il est dans un état de mal-être, parce que mal-être, il pourra passer à l’acte.
La problématique de mal-être interpelle toute la société entière. Ça interpelle le politique, le milieu médical, le social y compris la famille, l’école, la société. Tout le monde est concerné. Sur le plan social, surtout sur les réseaux sociaux, il faudrait qu’on sache que quand je partage une image ou une vidéo de violence, que quand je relais les propos violents, je suis aussi un acteur qui contribue à la pérennisation de cette violence. C’est pour ça que la vérité nous incombe tous. De grâce, replaçons cet amour au centre de notre vie. Il faut que les populations sachent qu’elles ne sont pas seules, qu’elles ne sont pas abandonnées. Le ministère de la santé publique, qui a à cœur le problème de la santé physique que mentale des populations a mis sur pied, un numéro vert, le 1510, disponible 24H/24, gratuit. Les populations peuvent appeler et demander un personnel spécialisé en santé mentale. Ce personnel pourra nous écouter, nous orienter, soit dans la prise en charge psychologique ou médicale.
Propos retranscrits par Elvis Serge NSAA