Cameroun : Quand la paralysie cérébrale brise les rêves… et les familles

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Malgré les progrès accomplis, de nombreux défis subsistent pour les personnes atteintes de paralysie cérébrale dans le pays. Témoignages, chiffres et actions concrètes pour une meilleure prise en charge.

Yaoundé, quartier Emombo, dans le petit appartement baigné de lumière qu’il occupe avec sa mère et ses deux frères, Franck, 8 ans, s’amuse avec ses jouets. Ses yeux pétillent de malice, son sourire illumine la pièce. Pourtant, derrière cette apparente insouciance se cache un combat quotidien. Franck est atteint de paralysie motrice cérébrale, une maladie qui affecte le mouvement et la posture.

Chaque jour est un défi. Les gestes les plus simples, comme saisir une cuillère ou se tenir debout, nécessitent un effort considérable. Sa maman, Ginette, veille sur lui avec une tendresse infinie. Elle raconte : « C’est un enfant extraordinaire, plein de vie. Mais je vois aussi la fatigue dans ses yeux, la frustration quand il n’arrive pas à faire ce qu’il veut. »

Les journées sont rythmées par les séances de kinésithérapie, les rendez-vous médicaux, les adaptations à domicile. « C’est un parcours du combattant », confie la mère désemparée. « Il faut sans cesse se battre pour obtenir les soins dont Franck a besoin, pour faire reconnaître ses droits. »

Malgré les difficultés, la famille ne se laisse pas abattre. « On apprend à vivre avec cette maladie, à trouver des solutions », poursuit Ginette. « C’est d’autant plus difficile pour moi car quand son père a appris son diagnostic, il nous a abandonné. Le pire est que j’ai dû laisser le boulot que je faisais pour m’occuper de mon enfant car même dans ma propre famille nous sommes rejetés et on traite mon fils de sorcier. Je sais que le Bon Dieu existe et qu’il fera quelque chose pour nous. Je me suis rapprochée d’autres familles qui vivent la même expérience. Cela nous permet de partager nos joies et nos peines, de nous sentir moins seuls. »

Franck est un exemple de courage et de résilience. Il apprend à surmonter ses limites, à trouver des astuces pour rendre sa vie plus autonome. Il aime la musique, la peinture, et passe beaucoup de temps à jouer avec son chien. « Il nous apprend tellement sur la force de l’esprit » s’émeut sa maman.

L’histoire de Franck et de sa famille est un appel à la solidarité. Car si la paralysie cérébrale est une maladie invisible, ses conséquences sont bien réelles. Il est essentiel de sensibiliser le public à cette réalité, de soutenir les familles concernées et de développer des structures adaptées pour permettre à ces enfants de s’épanouir pleinement.

Actions des associations : cas de l’ASEIMC

L’Association de Soutien aux Enfants Infirmes Moteurs Cérébraux (ASEIMC) œuvre depuis 2011 pour améliorer la qualité de vie de plus de 157 enfants et de leurs familles au Cameroun. Comme le souligne Flore Ngassa Kamdem, la Présidente-Fondatrice de l’association, « En 2011 nous avons démarré avec 2 enfants : mon propre fils et un autre enfant, celui d’une maman avec qui j’allais souvent aux consultations à l’hôpital. » Aujourd’hui, l’ASEIMC accompagne ces familles dans leur quotidien en proposant des activités d’éveil, des soins et en luttant pour l’inclusion scolaire.

Cependant, de nombreux défis persistent : les coûts des traitements, la stigmatisation et le manque de moyens financiers mettent à rude épreuve les familles. « Les mères de ces enfants subissent une double peine : elles doivent non seulement faire face à la maladie de leur enfant, mais aussi à des accusations de sorcellerie et à des difficultés financières liées aux traitements », déplore Flore Ngassa Kamdem.

Quelles sont les contributions du gouvernement camerounais ?

À l’occasion de la sixième journée internationale de la paralysie motrice cérébrale, le ministère de la Santé publique du Cameroun souligne l’importance d’une action concertée pour améliorer les conditions de vie des personnes touchées par cette pathologie. « Le ministère, par le biais de sa sous-direction dédiée, s’engage à coordonner les efforts de l’ensemble des parties prenantes, notamment les organisations de la société civile et les secteurs concernés, afin de redonner le sourire aux enfants et adultes affectés. » Indique le Dr Fidèle DEMA, Sous-Directeur de la Lutte contre les maladies chronique non transmissible au ministère de la Santé publique.

L’inclusion des personnes souffrant de paralysie motrice cérébrale ne repose pas uniquement sur le ministère de la Santé. « En effet, environ 70 écoles inclusives ont été mises en place, permettant ainsi d’adapter l’enseignement aux besoins spécifiques des élèves handicapés. De plus, des centres de réinsertion sociale, comme celui d’Étoug-Ebé à Yaoundé et à Maroua, fournissent des technologies d’appareillage et des soins adaptés. » Souligne le Dr Fidèle DEMA. Il rajoute que :« Les universités camerounaises participent également à cette dynamique en développant des technologies d’assistance qui visent à améliorer la qualité de vie des personnes vivant avec cette condition. Ces initiatives sont le fruit d’actions concertées, témoignant d’une volonté commune de favoriser une société plus inclusive. »

Cependant il est à noter que, le système d’information sanitaire, bien que protégé, peine à refléter la réalité de la paralysie motrice cérébrale au sein de la population. Le logiciel mis en place à cet effet, qui compile les rapports mensuels d’activités et les données des patients, révèle une sous-déclaration des cas. Environ deux naissances sur mille sont diagnostiquées avec cette pathologie, souvent parce que les cas n’atteignent pas les hôpitaux ou que les diagnostics sont insuffisants.

Pour remédier à cette situation, des actions sont mises en place pour harmoniser les diagnostics au niveau communautaire, afin de mieux comprendre l’impact et l’incidence des maladies chroniques, notamment la paralysie motrice cérébrale.

Enfin, le ministère de la Santé publique continue d’encourager les innovations en recherche, notamment à travers la division de la recherche opérationnelle en santé, qui vise à poser des questions pertinentes pour améliorer les conditions de vie et l’inclusion des personnes touchées.

Le Cameroun s’engage ainsi à bâtir un avenir où chaque individu, quelle que soit sa condition, puisse mener une vie épanouissante et intégrée dans la société. Toutefois, de grands efforts restent à faire.

Mireille Siapje

 

 

« La stigmatisation envers les enfants atteints de paralysie cérébrale persiste dans le système éducatif. Malgré les lois en faveur de l’inclusion »

Flore Ngassa Kamdem, la Présidente-Fondatrice de l’Association de soutien aux enfants infirmes moteurs cérébraux(ASEIMC)

  • Pouvez-vous nous présenter l’ASEIMC et sa mission principale ?

L’Association de Soutien aux Enfants Infirmes Moteurs Cérébraux « ASEIMC », est une association qui a pour objectif, la prise en charge des enfants vivants avec la paralysie motrice cérébrale et l’accompagnement des familles. Nous existons depuis 2011 mais nous l’avons légalisé en 20217 et nous avons un accord de collaboration depuis 2020 avec le ministère de la santé publique.

À ce jour nous pouvons compter sans risque de nous tromper, 157 enfants que nous avons encadré sur l’ensemble du territoire national camerounais avec une majorité d’environ 58 enfants dans la région du centre. En 2011 nous avons démarré avec 2 enfants : mon propre fils car je suis moi-même parent d’un enfant infirme moteur cérébrale et un autre enfant, celui d’une maman avec qui j’allais souvent aux consultations à l’hôpital. En 2012 nous étions 5 et nous avons beaucoup plus axé notre démarche sur la sensibilisation dans l’ombre. En 2017, nous avons légalisé l’association et nous avons commencé avec la sensibilisation médiatique par laquelle nous passions nos informations et c’est ainsi que nous avons commencé à avoir des effectifs pléthoriques.

  • Quelles actions menez-vous pour favoriser l’inclusion scolaire et sociale des enfants atteints de paralysie cérébrale ?

L’année scolaire 2023-2024 nous avons lancé une initiative dénommée « ASEIMC Back to school » qui consistait à scolariser au moins s15 enfants de notre association. Il faut noter que, dans notre association les enfants sont dépendants par pourcentage : il y a ceux qui sont complètement dépendants et ceux qui sont modérément dépendants. Alors, nous avions en vue de scolariser 15 enfants. Nous avons donc jeté comme une bouteille à la mer, nous avons tendu la main à nos proches et à nos contacts, c’est ainsi que, chacun donnait quelque chose, du moins ce qu’il pouvait : une barre de craie, un stylo, 2000 FCFA …C’est cet ensemble d’argent que nous avons rassemblé qui a donné la somme de 375.000 FCFA.

Par la suite, nous avons effectué des descentes dans les établissements scolaires ou on sensibilisait le corps enseignant et il nous permettait d’entrer dans les classes et nous parlions en langage simplifié aux enfants pour les amener à accepter les enfants atteints de paralysie motrice cérébrale en tant que camarade de classe. C’est ainsi que sur les 15 enfants initialement prévu, nous avons pu scolariser 9 enfants et de ces 9 nous avons pu scolariser pour la première fois 4 enfants qui n’avaient jamais été à l’école. En fin d’année scolaire nous avons obtenu de beaux résultats : 1 BEPC, 1 CEPE et deux enfants qui ont été admis dans des cycles de formation en informatique chez un de nos partenaires qui est un handicapé moteur et nous avons une autre qui a été prise par une autre de nos partenaires ou elle fait de la customisation et le perlage. Voilà comment nous avons aidé les parents à insérer progressivement les enfants dans les établissements scolaires.

Nous avons le directeur d’école publique de Nkolfoulou groupe1, dans la Mefou-et- Afamba qui effectue des descentes sur le terrain avec nous pour parler à ses confrères, directeur d’autres école quant à la plus-value de nos actions. De ce fait, pour la rentrée scolaire 2024-2025, nous avons relancé l’initiative « ASEIMC Back to school » où nous avons encore tendu la main parce que nous n’avons pas de partenaires financiers qui accompagnent nos actions.

  • Quels sont les principaux défis auxquels sont confrontées les personnes atteintes de paralysie cérébrale et leurs familles ? Comment l’ASEIMC les aide-t-elle à surmonter ces obstacles ?

Au-delà de la stigmatisation, le coût et la logistique du transport scolaire représentent un obstacle majeur pour de nombreux parents. Même lorsque les frais de scolarité sont abordables, la distance et la fréquence des trajets peuvent rendre l’accès à l’éducation difficile, voire impossible.

Nous croyons fermement que l’inclusion scolaire est essentielle pour le bien-être et le développement de tous les enfants, y compris ceux ayant des besoins spécifiques. En fréquentant des écoles ordinaires, ces enfants peuvent bénéficier de l’effet miroir, un phénomène d’apprentissage par imitation qui leur permet de progresser en observant leurs camarades. À l’inverse, une scolarisation spécialisée risque de renforcer leur sentiment de différence et de limiter leurs aspirations.

La stigmatisation envers les enfants atteints de paralysie cérébrale persiste dans le système éducatif. Malgré les lois en faveur de l’inclusion, ces enfants sont souvent victimes d’exclusion sous la pression d’enseignants et de parents. Les mères de ces enfants subissent une double peine : elles doivent non seulement faire face à la maladie de leur enfant, mais aussi à des accusations de sorcellerie et à des difficultés financières liées aux traitements. L’inclusion scolaire des enfants atteints de paralysie cérébrale reste un combat quotidien. La stigmatisation et les pressions exercées sur les établissements scolaires empêchent souvent ces enfants de bénéficier d’une éducation égale.

Les familles d’enfants atteints de paralysie cérébrale sont confrontées à un fardeau financier considérable. Les coûts des thérapies, des médicaments et des équipements spécialisés sont souvent exorbitants, mettant à mal leur budget. Par ailleurs, les mères de ces enfants sont particulièrement touchées, tant sur le plan psychologique que social. Elles doivent faire face à un isolement, à des difficultés financières et à un épuisement émotionnel. L’impact se fait également ressentir sur les frères et sœurs qui subissent les conséquences de la maladie, tels que les moqueries, le rejet social et les limitations dans leurs propres activités.

  • Quelles sont les actions prévues par l’ASEIMC à l’occasion de cette journée ?

Du 1er au 15 octobre 2024, nous avons organisé une série d’activités de sensibilisation et de soutien aux enfants, notamment une journée de Ludo thérapie le 5 octobre. Cette journée a permis aux enfants de bénéficier d’activités ludiques, de psychomotricité et d’ergothérapie, encadrées par des spécialistes des neurosciences. Nous avons également eu le plaisir d’accueillir la CAMERJ qui a collaboré avec nos experts pour offrir un accompagnement personnalisé aux enfants.

Conscients de l’impact de la paralysie cérébrale sur les parents, nous avons organisé des ateliers éducatifs, de la psychothérapie et de la sophrologie pour les accompagner dans leur parcours. Nous avons également mis en place des activités d’autonomisation, comme la fabrication de savon liquide, afin de renforcer leur estime de soi et de générer des revenus. Ces initiatives ont été particulièrement mises en valeur lors de la Journée mondiale de la paralysie cérébrale.

  • Quel message souhaitez-vous faire passer à l’occasion de cette journée mondiale ? Public, Autorités et autres organisations internationales ?

Le thème de notre édition 2024, “Célébrons la résilience, unis pour l’inclusion”, met en lumière le potentiel extraordinaire des personnes atteintes de paralysie cérébrale. Malgré leurs défis, elles sont capables d’accomplissements remarquables. Notre association a d’ailleurs le plaisir de présenter un de ses membres, un jeune homme à 96% dépendant qui excelle dans le montage vidéo. Ce témoignage vivant démontre que la résilience et l’inclusion sont les clés pour libérer tout leur potentiel.

Nous sommes convaincus que si les autorités reconnaissaient et soutenaient nos activités, nous pourrions créer un cercle vertueux. En capitalisant sur nos initiatives, nous pourrions non seulement assurer notre autonomie financière, mais aussi offrir de meilleures conditions de vie à nos enfants et les aider à s’épanouir.

Interview réalisée par Mireille Siapje

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