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Elle aurait pu choisir le silence, comme tant d’autres. Mais face à l’indicible, elle a préféré se battre et briser l’omerta. Victime d’un viol sexuel collectif dans son enfance, elle a longtemps porté seule le poids de cette souffrance, un fardeau d’autant plus lourd dans une société où la parole des victimes est souvent niée ou réduite au silence.
Ingénieure en génie mécanique au sein d’une multinationale, cette Camerounaise jongle entre sa carrière florissante et une mission personnelle : aider les victimes de violences sexuelles à trouver leur voix et à guérir. Dans un monde où le silence entoure souvent les blessures.
L’histoire de Charlotte n’est pas une histoire de réussite ordinaire. À 13 ans, alors qu’elle brillait académiquement, elle a été victime d’une agression sexuelle orchestrée par des camarades de classe. Ce traumatisme l’a plongée dans une dépression profonde, la laissant se débattre avec des souvenirs douloureux et un sentiment de solitude. « J’ai vécu en silence pendant plus de cinq ans », se souvient-elle. « À l’époque, je ne savais pas que je pouvais parler, que je pouvais demander de l’aide. »
Malgré la douleur, Charlotte a trouvé refuge dans ses études. Son indépendance financière acquise, elle a commencé à ressentir un vide en elle. C’est alors qu’elle a décidé de retourner au Cameroun et de fonder l’association « La Pour Toi », une initiative visant à offrir un espace d’écoute et de soutien aux jeunes victimes de violences sexuelles. « Je veux que les enfants puissent avoir une oreille attentive, même si leurs parents ne le sont pas », explique-t-elle.
Charlotte partage son histoire avec une sincérité touchante, mais elle sait que le chemin vers la guérison est long et semé d’embûches. Aujourd’hui, elle utilise son expérience pour sensibiliser les jeunes et les parents à la réalité des violences sexuelles, un sujet souvent tabou dans la société camerounaise. « Nous devons éduquer non seulement les jeunes, mais aussi les parents. Ils ne peuvent donner que ce qu’ils ont appris », souligne-t-elle.
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L’initiative de Charlotte inclut également l’utilisation de la télémédecine pour surmonter le manque de professionnels de la santé mentale dans les zones rurales. « Nous voulons offrir un accès à des psychologues qualifiés, même dans les régions les plus éloignées », dit-elle.
Charlotte ne se contente pas d’être une survivante ; elle est devenue une porte-parole. Elle se souvient des visages de ses agresseurs, des jeunes de Yaoundé, et même aujourd’hui, certains d’entre eux lui envoient des messages troublants. Mais au lieu de se laisser abattre, elle transforme sa colère en action. « Ma réussite est la meilleure des réponses », affirme-t-elle avec détermination.
L’impact de son travail commence à se faire sentir. Au sein de son association, près de 60 bénévoles collaborent pour sensibiliser et soutenir les victimes. « Nous ne sommes pas dans quelque chose d’hiérarchique, mais dans un véritable esprit de collaboration », explique-t-elle. Grâce à cette approche, Charlotte espère changer les mentalités et créer un environnement où les jeunes se sentent en sécurité pour parler de leurs expériences.
Charlotte Fotso incarne la résilience et l’espoir. Son histoire est un puissant rappel que, même dans les ténèbres, il est possible de trouver la lumière et de redonner une voix à ceux qui en ont besoin. Son engagement pour la cause des violences sexuelles au Cameroun est un parcours inspirant qui continue de toucher de nombreuses vies, prouvant que chaque voix compte dans la lutte contre l’injustice.
La santé mentale des victimes mineures de violences sexuelles : Une urgence au Cameroun
Au Cameroun, la santé mentale des enfants victimes de violences sexuelles est devenue une priorité de santé publique. L’association « Là Pour Toi » s’engage à briser le silence et à offrir un soutien aux mineurs touchés par le harcèlement et les abus sexuels. Dans un pays où le tabou entoure souvent ces sujets, l’heure est à l’action.
Un constat…
« Entre 2021 et 2023, le Cameroun a enregistré des chiffres préoccupants concernant la santé mentale de sa population. Selon les données fournies, 41 631 cas de psychose et 18 773 cas de dépression ont été répertoriés, tandis que 10 151 cas étaient liés à la consommation de drogues. Ces chiffres illustrent l’ampleur de la crise de santé mentale dans le pays, touchant particulièrement les mineurs, qui sont souvent les plus vulnérables. » Indique le Dr Din-ba Bello, médecin généraliste au CMA de Tsinga, Yaoundé, œuvrant également pour l’association « Là Pour Toi »
Les statistiques sont d’autant plus alarmantes concernant les violences faites aux enfants. On estime qu’1 enfant sur 3 a subi une forme de violence ou de négligence. Parmi les victimes d’abus sexuels, 30 % sont des mineurs, et 20 % des femmes déclarent avoir été forcées à avoir leur premier rapport sexuel à un âge très jeune. En outre, 55 % des femmes camerounaises ont subi une forme de violence depuis l’âge de 15 ans, témoignant d’une réalité préoccupante.
« Là Pour Toi », une mission essentielle
L’association « Là pour toi », fondée par Charlotte Noëlle Fotso, a officiellement lancé ses activités le 11 février à Yaoundé. L’association vise à offrir un soutien psychologique et juridique aux victimes mineures d’abus sexuels et de harcèlement. L’association a pour slogan « Osons en parler ! » et propose un ensemble de services, notamment un numéro vert pour les victimes, une redirection vers des professionnels de la santé mentale, et des subventions pour les séances de thérapie.
Leurs actions incluent aussi des campagnes de sensibilisation dans les établissements scolaires, abordant des thèmes tels que le harcèlement, les abus sexuels et l’importance de la santé mentale. L’association s’engage à former un réseau de soutien pour aider les jeunes à se reconstruire après un traumatisme.
L’association prévoit 24 séances de thérapie individuelle et 24 autres en groupe pour permettre aux victimes de se reconstruire ensemble. En plus de l’accompagnement psychologique, des soins médicaux spécialisés (urologues, gynécologues) et un soutien juridique sont offerts aux victimes.
Les enjeux juridiques
Maître Jordan Wambo, avocat au barreau du Cameroun, présent lors d’une récente conférence organisé par l’association « Là Pour Toi », sur la santé mentale des victimes, a souligné les défis juridiques auxquels font face les victimes. « Les procédures judiciaires sont souvent longues et complexes, ce qui décourage de nombreuses victimes de porter plainte », a-t-il expliqué. Il a également évoqué l’importance de sensibiliser la société sur la nécessité de soutenir les victimes et de les protéger des représailles.
Les textes juridiques en vigueur au Cameroun, bien qu’ils existent pour protéger les droits des enfants, souffrent d’une application inégale. La loi sur la protection des enfants contre les abus sexuels nécessite une attention accrue pour garantir que les victimes reçoivent le soutien et la protection dont elles ont besoin.
La santé mentale ne peut être négligée, surtout chez les jeunes. Les conséquences d’un traumatisme non traité peuvent être dévastatrices, tant sur le plan physique que psychologique. Il est impératif que les parents, les éducateurs et la société dans son ensemble prennent conscience de ces enjeux et œuvrent ensemble pour créer un environnement sûr et favorable à l’épanouissement des enfants.
Mireille Siapje
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