De la honte à l’engagement : L’histoire de Julienne
A 11 ans, Julienne a vécu une expérience traumatisante lors de ses premières règles. Aujourd’hui, elle transforme cette épreuve en une mission : briser le tabou des menstruations et défendre les droits des jeunes filles.
Un jeudi de mars 2016, à 11 ans, la vie de Julienne bascule. Ses premières règles, vécues comme une trahison, la plongent dans l’embarras et la moquerie. Une expérience qui aurait pu la marquer à vie, mais qui l’a au contraire poussée à agir.
C’était une matinée de son année scolaire en classe de cinquième. Julienne se réveilla comme d’habitude, mais quelque chose semblait différent. Ce jour-là, elle allait faire face à sa première menstruation, un moment qu’elle n’était pas tout à fait prête à vivre. En classe, alors qu’elle se levait pour aller à la cantine avec ses camarades, elle fut raillée par des élèves garçons assis au fond de la salle. Ignorant leurs moqueries, elle continua son chemin, jusqu’à ce qu’une amie s’exclame : « aie Julienne attends, tu t’es salie !!! ». Elle lui faisait alors remarquer qu’elle avait une tache de sang au niveau du fessier de sa tenue. La confusion et l’embarras envahirent alors Juliette.
« Je la regardais, perplexe. Je ne comprenais pas de quoi elle parlait et, étonnée, je lui ai demandé comment j’avais pu me salir. J’avais déjà suivi des cours sur les règles et les menstruations en classe, mais je n’avais pas encore vécu cette expérience et je ne savais pas comment cela se passait. En me tournant, je tirai sur ma robe, et elle me tira vers la lumière et montra cette tache rouge vif qui avait maculé le bas de ma robe. Je senti la chaleur monter à mes joues. Les yeux ronds de surprise, je lui demandai ce que c’était. Elle commença à m’expliquer et, pour m’aider, elle me donna son pull que j’attachai à ma taille. »
Une fois le pull bien noué, son amie l’accompagna à la salle d’eau. « Elle m’entraîne aux toilettes. Perdue, je lui demande ce que je dois faire. Comment pourrais-je retourner en classe dans cet état ? Elle me propose d’aller à l’infirmerie. Soulagée, je la suis, incapable de rester seule avec ma honte. Avec le pull noué autour de ma taille, je me sens bizarre, exposée. À chaque pas, je vérifie si tout est en place, si quelqu’un me regarde. Je me sens si vulnérable. »
Accompagnée de son amie, elle se rendit par la suite à l’infirmerie. Malheureusement, l’infirmier ne fit qu’aggraver la situation en la réprimandant pour sa demande de serviette hygiénique. Désemparée, Julienne souhaita rentrer chez elle, ne se sentant pas à l’aise dans un endroit où elle croyait être le sujet de moqueries.
Heureusement, sa copine qui lui tenait compagnie connaissait une camarade qui gardait toujours des serviettes dans son sac. Grâce à cette solidarité féminine, elle apprit à gérer sa situation. Elle réalisa que, malgré la gêne initiale, elle pouvait compter sur ses amies pour surmonter cette épreuve. Cependant, elle comprit aussi que toutes les filles n’avaient pas cette chance.
Fortifiée par cette expérience, la jeune fille milite aujourd’hui pour que les parents et les éducateurs abordent ouvertement le sujet des menstruations avec les jeunes filles, avant qu’elles ne vivent leur première fois. Elle souligne l’importance d’un dialogue franc et ouvert, afin de réduire la stigmatisation et la honte qui entourent ce processus naturel.
En tant que membre du Conseil consultatif des adolescentes (AGAB), Julienne s’engage à garantir que les voix des adolescentes soient entendues et que leurs besoins soient pris en compte dans les programmes de l’UNICEF. Elle se bat pour un avenir où chaque jeune fille pourra aborder ses premières règles sans peur ni honte, soutenue par une communauté prête à en parler. Son histoire est un puissant rappel que l’éducation et le soutien peuvent transformer des moments de gêne en opportunités de résilience et de solidarité.
Mireille Siapje
Interview
« Il est impératif de travailler pour garantir un accès équitable à ces produits essentiels à l’hygiène menstruelle pour toutes les femmes du pays, quel que soit leur lieu de résidence. »
Quels sont les défis auxquels fait face l’hygiène menstruelle au Cameroun ?
L’hygiène menstruelle au Cameroun, comme dans de nombreux pays, fait face à des défis majeurs. Tout d’abord, le manque d’information est un obstacle considérable. Les femmes et les filles ne disposent pas toujours des connaissances nécessaires pour gérer leurs règles de manière saine et hygiénique. Cette méconnaissance entraîne souvent des pratiques qui peuvent nuire à leur santé.
Par ailleurs, l’accès aux produits d’hygiène menstruelle est limité, en particulier en milieu rural. Les serviettes hygiéniques, indispensables pour une bonne gestion des règles, sont souvent coûteuses et difficiles à trouver. Ce manque d’accès contraint de nombreuses femmes à utiliser des matériaux de fortune, parfois dangereux pour leur santé.
L’absence d’eau potable et d’installations sanitaires adéquates constitue un autre défi majeur. Le lavage régulier des mains et le nettoyage des protections hygiéniques réutilisables sont essentiels pour prévenir les infections. Or, de nombreuses femmes et filles n’ont pas accès à de l’eau potable en quantité suffisante ni à des toilettes propres.
Enfin, le manque d’infrastructures adaptées est un problème récurrent. Les écoles, les lieux de travail et les communautés ne disposent pas toujours d’espaces propres et sécurisés où les femmes et les filles peuvent gérer leurs règles en toute discrétion. Ce manque d’intimité peut entraîner une gêne et une stigmatisation.
Ces défis ont des conséquences importantes sur la santé, l’éducation et l’autonomisation des femmes et des filles. Il est donc essentiel de mettre en place des actions pour améliorer l’accès à l’hygiène menstruelle et réduire les inégalités.
Parlant de tabous, qu’avez-vous déjà vu ou entendu autour de l’hygiène menstruelle ?
Il y a beaucoup de tabous autour de l’hygiène menstruelle. Cela concerne principalement les filles et les femmes. Il y a des moments où, lorsqu’elles ont leurs règles, elles sont exclues de certaines activités de la vie quotidienne. Or, la menstruation est un processus biologique normal qui ne devrait pas être considéré comme une maladie ou une raison d’isolement.
Il existe également de nombreuses superstitions liées à l’hygiène menstruelle. Certaines croyances considèrent que les femmes qui ont leurs règles sont impures ou porteuses de mauvais sorts. Ces idées reçues peuvent entraîner une stigmatisation et une discrimination à l’égard des filles et des femmes.
De plus, la menstruation est souvent associée à la transition vers l’âge adulte. Certaines cultures considèrent qu’une fille devient une femme dès ses premières règles. Cette vision peut être néfaste pour l’éducation des jeunes filles, car elle peut les contraindre à assumer des responsabilités d’adultes trop tôt.
Ces tabous et ces pratiques ont des conséquences négatives sur la santé, l’éducation et le développement des filles et des femmes. Il est essentiel de les combattre et de promouvoir une meilleure compréhension de la menstruation.
Y a-t-il une différence de traitement entre les jeunes filles des zones urbaines et celles des zones rurales ?
Comme dans la plupart des pays africains, le Cameroun connaît de fortes inégalités entre les zones rurales et urbaines. L’accès aux produits d’hygiène menstruelle est particulièrement problématique pour les jeunes filles et les femmes vivant en milieu rural. Cette disparité flagrante nous interpelle tous et toutes. Il est impératif de travailler pour garantir un accès équitable à ces produits essentiels à l’hygiène menstruelle pour toutes les femmes du pays, quel que soit leur lieu de résidence.
Quel message adressez-vous à la société civile et au autorités gouvernementales du Cameroun ?
Nous souhaitons faire passer le message suivant : l’accès aux produits d’hygiène menstruelle, notamment les serviettes hygiéniques, n’est pas un luxe, mais un droit fondamental. Il est de notre devoir, à tous – gouvernement, secteur privé et partenaires – de garantir que ces produits soient accessibles à toutes les femmes et filles.
Nous devons également lutter contre les tabous qui entourent les menstruations afin de favoriser une éducation adéquate et de permettre à chaque femme et fille de gérer son hygiène menstruelle avec dignité. Il est indispensable d’assurer un accès universel à l’eau potable et à des installations sanitaires adaptées. Au Cameroun, nous devons tous œuvrer ensemble pour faire de l’hygiène menstruelle une réalité pour toutes.
Interview réalisée par MS
Cameroun
Les adolescentes réclament leur place
À l’occasion de la Journée internationale de la fille le 11 octobre dernier, l’UNICEF a tiré la sonnette d’alarme sur la situation des adolescentes au Cameroun. Malgré leur potentiel, ces jeunes filles font face à de nombreux défis qui entravent leur développement.
« Les adolescentes au Cameroun représentent 12 % de la population, mais elles sont souvent les plus marginalisées », souligne Nadine Perrault, représentante de l’UNICEF au Cameroun. Les chiffres sont inquiétants : plus de 3 filles sur 5 n’achèvent pas le premier cycle de l’enseignement secondaire, et près de 8 sur 10 ne terminent pas le second cycle. De plus, 11 % sont mariées avant 15 ans et près d’une fille mariée sur 4 âgée de 15 à 19 ans a subi des violences.
Ces statistiques alarmantes mettent en évidence les multiples défis auxquels sont confrontées les adolescentes camerounaises : mariages précoces, violences basées sur le genre, grossesses précoces, infections à VIH, anémie… « Tous ces problèmes sont interconnectés mais ils sont également évitables », affirme Nadine Perrault.
L’UNICEF agit pour les filles
Face à cette situation, l’UNICEF met en œuvre des programmes variés pour soutenir les adolescentes et leur permettre de s’épanouir. “Les adolescentes sont des moteurs de changement“, rappelle Nadine Perrault. Pour leur donner la parole, l’UNICEF a créé des Conseils consultatifs des adolescentes (AGAB), qui permettent aux jeunes filles de participer activement à la conception et à la mise en œuvre des projets.
Dans les zones touchées par les crises, l’UNICEF propose des programmes d’apprentissage, des clubs de filles et des espaces sûrs pour permettre aux adolescentes de discuter de leurs problèmes et de développer leurs compétences. De plus, l’UNICEF lutte contre le VIH/SIDA, l’anémie et favorise l’accès à l’hygiène menstruelle.
Un appel à l’action
« En cette journée dédiée aux filles, l’UNICEF appelle tous les partenaires à se mobiliser pour libérer le potentiel des adolescentes au Cameroun et faire entendre leurs voix », conclut Nadine Perrault.
Les défis sont nombreux, mais les solutions existent. En investissant dans l’éducation, la santé et la protection des filles, nous pouvons leur donner les moyens de réaliser leurs rêves et de contribuer à un avenir meilleur pour le Cameroun.
Mireille Siapje
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