Dr Patrick Ngou : « Un paludisme simple peut rapidement devenir un paludisme grave »
Pendant le mois d’avril, la communauté internationale célèbre la journée mondiale de lutte contre le paludisme. Quelle appréciation faites-vous des diverses actions menées au niveau local pour lutter contre le paludisme ?
Beaucoup d’efforts sont fournis par le Gouvernement camerounais, les décideurs et les bailleurs de fonds pour aider à l’éradication du paludisme. Surtout la réduction de la mortalité du paludisme chez l’enfant, principalement l’enfant de moins de 5 ans, parce que c’est lui le plus vulnérable. Et également la prévalence chez les femmes enceintes dont les manifestations peuvent être néfastes pour elles et le nouveau-né à venir. Le programme national de lutte contre le paludisme est là, on a la gratuité du diagnostic et du traitement qui n’est pas toujours accessible par tous et on rappelle que le paludisme représente près de 60% des dépenses de santé par ménages. La population cependant paie le lourd tribut autant sur le plan financier que sanitaire. On rappelle encore que les deux couches les plus vulnérables sont les femmes enceintes et les enfants de moins de 05 ans.
Quels sont les signes du paludisme chez l’enfant ?
De nombreuses personnes connaissent dans leur entourage les signes du paludisme. Et beaucoup de gens ne font pas la différence entre le « palu » et la fièvre. Quand quelqu’un a de la fièvre il dit qu’il a le « palu » pourtant ce n’est pas la même chose. Il y a plusieurs maladies qu’on traite on pense être le paludisme et il y a beaucoup de cas de paludisme qu’on ne traite pas et qu’on pense être d’autres maladies. Alors les symptômes les plus classiques du paludisme chez l’enfant sont : la fièvre, les frissons et c’est la transpiration (hypersudation). Ces trois signes se suivent généralement. Mais les signes peuvent être bien divers, variés et trompeurs, surtout chez l’enfant de moins de cinq ans. Chez l’enfant de moins de 5 ans, le premier signe que le parent peut noter est une convulsion. Un enfant qui était calme subitement et qui se met à convulser. Cette situation peut conduire rapidement vers un coma ou vers la mort. Donc, les signes les plus fréquents du paludisme nous avons la fièvre, les frissons, l’hypersudation, un mal de ventre, des courbatures, des vomissements. Pour des formes graves on peut avoir des convulsions, une fatigue intense, les yeux qui peuvent devenir jaunes, une incapacité a boire ou s’alimenter, les urines qui deviennent noires ou une absence totale d’urines, une prise de poids subite, vous comprenez donc que les signes et les symptômes du paludisme, ne sont pas spécifiques au paludisme. Aussi, on ne peut pas s’arrêter aux signes et symptômes pour parler du paludisme, il faut un examen. Et l’examen idéal c’est la goutte épaisse. Depuis pratiquement une dizaine d’années, on a des tests rapides de paludisme qui se font comme des glycémies au bout du doigt et en cinq minutes, on a un résultat. Donc pour la communauté, il est plus facile et plus aisé de réaliser un test rapide de paludisme qui lui aussi ne peut pas être analysé séparément. Donc c’est un faisceau d’arguments cliniques et d’arguments biologiques qui nous font dire qu’il y a un paludisme.
Quelles sont les dispositions à prendre pour lutter efficacement contre le paludisme chez l’enfant ?
Au Cameroun, on a plusieurs représentations du paludisme. On a le paludisme endémique pour les zones chaudes et humides comme les régions du Littoral, du Sud et du Centre. On a le paludisme saisonnier dans le grand Nord qui fait beaucoup de décès. Le traitement et la prise en charge préventive ne peuvent pas être faits de façon homogène et universelle dans toute l’étendue du territoire. On tient compte donc de ces présentations qui dépendent du climat, du niveau éducatif, financier, sociologique, culturel des différents ménages. Le paludisme à première vue semble être managé et pris en charge simplement, mais quand on tient compte de ces diversités et spécificités, la prise en charge du paludisme devient très complexe. Donc on rappelle que la prise en charge du paludisme a deux volets essentiels. Un volet communautaire (préventif) qui est le plus important et un volet hospitalier où médicamenteux. Le volet communautaire c’est tout ce que nous savons déjà à savoir l’entretien et l’assainissement de l’environnement, la moustiquaire imprégnée, ne pas construire dans les zones marécageuses, nettoyer autour de la maison, etc. et puis il y a la prise en charge clinique pour le paludisme simple et pour le paludisme grave. Ensuite les autres mesures préventives comme les vaccins qui sont annoncées et le traitement intermittent pour les femmes enceintes, pour les enfants vivants dans les zones d’épidémie comme le grand Nord. Le traitement préventif chez l’enfant est entré dans le programme élargi de vaccination au Cameroun, dès 6 mois on donne une dose de traitement préventif aux enfants…
Quels sont les critères de gravité du paludisme chez l’enfant et quel constat faites-vous au niveau local ?
Les causes et les décès chez les enfants de moins de 5 ans sont la complication des symptômes graves que sont les convulsions, le coma, la détresse respiratoire, l’anémie sévère, les atteintes rénales, digestives et cardiaques. Ce sont les complications graves qui permettent de classer le paludisme en paludisme grave. Le paludisme également mime beaucoup d’autres maladies, comme la fièvre-typhoïde, les simples grippes, la drépanocytose. Donc il y a beaucoup de patients qui se retrouvent à l’indigène alors qu’ils devraient être pris en charge en milieu hospitalier pour un paludisme grave. Le paludisme grave peut avoir des complications comme la cécité, la paralysie, le retard mental, les troubles du comportement, une insuffisance rénale qui aboutit à la dialyse.
Les dispositions prises jusqu’à présent sont-elles suffisantes pour limiter les dégâts ?
Les dispositions prises pour le moment ne peuvent pas être suffisantes. Elles sont loin d’être suffisantes parce que la prise en charge du paludisme ne concerne pas que le Ministère de la Santé. Le paludisme est une pathologie qui nous donne de bons indicateurs sur le niveau de développement d’un pays. Dans la prise en charge du paludisme, on inclut les ministères de l’Environnement, de l’Habitat, les Finances, l’Economie, les mairies et l’administration territoriale. Vous voyez donc que c’est une maladie qui est transversale. On ne peut pas attendre que la solution pour l’éradication du paludisme ne soit que la responsabilité et le devoir du Ministère de la Santé publique. Il est difficile dans notre contexte de dire qu’on avance vraiment malgré les projets et les programmes. La grosse difficulté dans notre contexte c’est de faire comprendre que le paludisme n’est pas une maladie hospitalière, mais une maladie communautaire et un bon indicateur de développement. Une fois qu’on intègre cela, ce sera très facile de faire intégrer les différents acteurs. Parce que pour le moment les différents acteurs sont limités au Ministère de la Santé, aux bailleurs de fonds pour le financement des intrants et supports de communications. On n’a pas encore vraiment intégré le rôle des élus locaux et des collectivités territoriales décentralisées et des autres départements ministériels dans la prise en charge intégrale du paludisme.
Quel est d’après vous, le traitement le plus efficace contre le paludisme ?
Le meilleur traitement est préventif (il faut dormir sous la moustiquaire). Au niveau curatif, c’est le médecin qui juge du traitement qui est bon pour le patient.
Faut-il négliger la médecine traditionnelle dans la lutte contre le paludisme chez l’enfant ? Si oui ou non, pourquoi ?
J’ai un peu du mal à parler de la médecine traditionnelle, parce qu’on y met beaucoup de choses. Et certains connaissent les recettes de grand-mère. Est-ce que cela est considéré comme la médecine traditionnelle ? Parce que chez l’enfant c’est très délicat. L’administration des médicaments chez l’enfant est dose dépendante. Je préfère m’abstenir de faire les commentaires sur la médecine traditionnelle, je reste très cartésien et très rigoureux sur la prise en charge du paludisme chez l’enfant ; parce que un paludisme simple peut rapidement devenir un paludisme grave surtout que les enfants ne parlent pas, alors on se demande comment le tradi-thérapeute va reconnaître aisément les signes de gravité.
Quels sont les bons gestes que doivent adopter les parents pour protéger l’enfant contre le paludisme ?
Les bons gestes c’est éviter les spirales et les pastilles anti-moustiques, qui sont très dangereuses. Ce sont des choses qu’on utilise de façon occasionnelle et ponctuelle. On ne peut pas les utiliser tous les jours, parce que ce sont des dérivés du pétrole. Elles ont une grosse incidence sur la santé de l’enfant, et provoquent des maladies respiratoires et sur le long terme ça peut développer des cancers. Donc il faut éviter tout ce qui est spirale, insecticides au maximum. L’idéal c’est de mettre des grilles aux fenêtres, d’avoir une maison qui a un plafond et de dormir sous la moustiquaire imprégnée. D’éviter également les habitations qui sont proches des zones marécageuses. Les pédiatres proscrivent l’utilisation des pastilles, des spirales et des insecticides. Si vous mettez les pastilles dans une chambre, il faut attendre au minimum deux à trois heures de temps après que les pastilles soient éteintes pour entrer dans la chambre. Donc on ne dort pas avec les pastilles allumées dans la chambre.
Propos recueillis par Ghislaine DEUDJUI