Ces lésions les plus graves et les plus dangereuses susceptibles de survenir lors d’un accouchement et pourtant presque entièrement évitables, touchent environ 20 000 femmes au Cameroun.
« 20 ans après : des progrès insuffisants ! Agissons maintenant pour éliminer la fistule d’ici 2030 ! ». C’est le thème de cette édition de la journée internationale pour l’élimination de la fistule obstétricale (FO) célébrée le 23 mai de chaque année. Au Cameroun, d’après l’enquête à indicateurs multiples par grappe conduite en 2014, la prévalence de la fistule obstétricale est de 20 000 cas avec une incidence estimée à 2000 nouveaux cas chaque année. Cette enquête révèle également qu’environ 6000 femmes meurent par an au cours de leur grossesse ou en donnant la vie. Et pour chaque femme qui meurt, au moins 20 autres survivent, avec des complications, dont une des plus graves et humiliantes est la fistule obstétricale. La grande majorité des femmes affectées par la fistule obstétricale sont très jeunes et issues des familles démunies. Outre le manque des ressources pour payer les frais médicaux, elles sont victimes de stigmatisations, de violences et autres pratiques culturelles néfastes qui les contraignent parfois à l’isolement, voire à l’exclusion sociale. Pour la plupart de ces femmes affectées, la fistule obstétricale n’est ni plus ni moins qu’une vie détruite, physiquement, économiquement, socialement et émotionnellement.
La fistule obstétricale est une perforation entre le vagin et la vessie et/ou le rectum, due à un travail prolongé, et qui se produit en l’absence de soins obstétricaux rapides et de qualité. Elle provoque chez les femmes et les filles concernées une fuite d’urine et/ou de matières fécales, et entraîne souvent à plus long terme des problèmes médicaux chroniques, une dépression, un isolement social et une pauvreté accrue. 90 % des grossesses impliquant une fistule se terminent par une mortinaissance. En plus des nombreuses campagnes menées sur le terrain, en tant que problème majeur de santé publique, le Minsanté a mis en place une stratégie nationale de l’élimination de la FO au Cameroun. Cette stratégie est sous-tendue par plusieurs actions notamment la réparation de 100 femmes au moins par an, la poursuite de la capacitation des professionnels de santé dans la prise en charge de la maladie, la détection et la référence des cas pour ne citer que cela.
Covid-19
« Parce que nous pouvons agir, nous devons agir et nous allons agir pour que d’ici 2030, la fistule obstétricale soit un lointain souvenir. Parce que chacun mérite une vie digne, le moment est plus que jamais venu pour redonner le sourire à ces victimes qui en voulant donner la vie, se retrouvent en marge de la société », avait déclaré le Dr Manaouda Malachie, ministre de la Santé publique à la dernière célébration de cette journée au sein de son département ministériel. Les femmes atteintes de cette maladie font face à la dépression et à l’isolement social. D’où l’importance de la redéfinition de la stratégie de lutte face à la menace du Covid-19 pour leur redonner du sourire. D’après la plateforme de coordination mise sur pied, une réponse multi-sectorielle et pluridisciplinaire s’avère nécessaire pour éliminer cette pathologie. L’UNFPA a ainsi impliqué les relais communautaires dans la recherche de nouveaux cas.
Divine KANANYET
Réactions
« De nos jours on a déjà opéré plusieurs femmes
Elle s’exprime sur la situation de ce malaise au Cameroun et se prononce sur les moyens de prise en charge des femmes atteintes.
Dans la prise en charge des fistules obstétricales, où intervenez-vous concrètement ?
J’interviens dans le suivi post opératoire. Les campagnes de réparation sur les fistules ont commencé, au Cameroun depuis 2006 avec le professeur Pierre Joseph Fouda Directeur de l’hôpital central qui est lui-même expert en fistule obstétricale. Nous avons débuté à Garoua, on était avec les étrangers, les maliens notamment le professeur Ouattara et son équipe. Ce sont eux qui nous ont formé, parce qu’avant Garoua, j’étais déjà major en service d’urologie à l’hôpital central de Yaoundé. On faisait déjà quelques cas de fistules mais qui étaient beaucoup plus des fistules simples. C’est donc avec le professeur Ouattara que nous avons reçu la formation et tout a été lancé à partir de là. Déjà à Garoua à cette époque on avait reçu 90 femmes et 84 avaient été opérées avec un succès de 87%. Après ça les campagnes ont continué via la première dame qui a organisé une à Sangmélima où on a dit opérés 14 femmes avec un succès de 90%. Nous étions toujours accompagnés du professeur Fouda et il y avait également deux médecins venus d’Europe dont un neurologue et un gynécologue. Les campagnes se sont alors multipliées et de nos jours on a eu à opéré beaucoup de femmes. J’ai eu à former plusieurs infirmières sur la prise en charge des fistules obstétricales. La campagne est souvent couplée à la formation. On opère, on suit les femmes et on forme le personnel en place à la prise en charge. Les soins infirmiers post opératoire représentent la clé du succès dans la fistule obstétricale. On répare au bloc opératoire mais quand le malade rentre en salle de suivi, si l’infirmière n’est pas compétente ça va échouer.
C’est la raison pour laquelle, dès la sortie de la patiente du bloc, c’est la surveillance. Il faut surveiller l’hydratation par les percussions quand elles sortent du bloc, respecter les horaires de perfusion. Elles doivent boire beaucoup d’eau, le lire doit être sec et drainer. Parce qu’elles sortent généralement avec les sondes de drainage. Donc les infirmières doivent veiller au bon passage des perfusions les premiers jours, que le lit est sec, qu’il n’y a pas de saignement. Elles doivent prendre les paramètres, le pouls, la tension, la température et surveiller la conscience du malade jusqu’au réveil. Dès le lendemain la patiente commence à boire de l’eau, l’infirmière doit veiller à ce qu’il y ait toujours 03 litres d’eaux au chevet du malade. Ce sont des femmes qui ont été habituées à ne pas boire. Dès qu’elles boivent un peu elles de mouillent du coup, elles n’aiment plus boire. C’est une rééducation. L’administration des soins donc les antibiotiques, les vermifuges quand elles viennent du quartier, le traitement du paludisme, les antalgiques et être auprès de la patiente. On ne doit pas les laisser sans surveillance. Pour peu qu’on les néglige même pour 30 minutes on peut trouver qu’il y a eu un problème.
Quel accompagnement psychologique avant la prise en charge de ces femmes ?
Ce sont des femmes qui vivent un drame. Elles ont perdu leurs vies Sentimentales, ne sont pas acceptées par la population même dans leurs propres familles. Elles ont eu à nous dire que ça n’allait pas. Il y a une qui s’est marié à 11 ans et elle a fait son premier accouchement à 12 ans du coup c’était la fistule. Elle a été répudiée par son mari, elle rentre en famille puis elle est mise de côté. Nous comprenons tous ces problèmes là et nous commençons toujours par le councelling. On leur parle de leur maladie en leur disant qu’ils ne sont pas tombés malades par leur faute. Certaines d’entre elles croient que c’est la malédiction, d’autres disent que c’est la sorcellerie. Y en a même qui ont tenté de se suicider. Nous essayons de les rassurer par rapport à l’intervention qu’elles doivent subir. On leur dit que même si après l‘opération elles trouvent que les urines ou les sels sortent encore ce n’est pas grave, on peut encore les opérer deux ou trois fois. C’est vrai que ça dépend des types de fistules mais on leur prépare moralement par rapport à tout ça. Chaque fois avant la sortie des patients, nous organisons une causerie éducative avec les dames opérées. On leur parle de la vie après la fistule, nous leurs donnons des recommandations. Maintenant le côté réinsertion sociale ce sont les psychologues.
Quelles recommandations aux femmes opérées après l’intervention ?
Après l’opération nous faisons des recommandations. Déjà elles doivent revenir nous voir un mois après l’opération, trois mois après, ensuite 6 mois après et un an. Elles doivent suivre la planification familiale ça commence avant même la sortie de l’hôpital. Nous mettons d’abord les femmes sous planification familiale et elles doivent attendre 6 mois pour avoir les relations sexuelles. Elles doivent attendre deux ans pour concevoir et entre temps elles doivent avoir une hygiène de vie propre. Dès qu’elles sentent un petit changement comme l’écoulement de pu par le vagin, elles reviennent à l’hôpital.
Propos recueillis par Divine KANANYET