Industrie pharmaceutique : le poids insoutenable de la dépendance pharmaceutique

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Alors que le Cameroun célèbre la Journée mondiale du pharmacien ce 25 septembre 2025, les chiffres officiels révèlent l’ampleur d’un paradoxe alarmant : une dépendance massive aux importations (95,7 milliards FCFA au premier semestre 2021) cohabite avec l’émergence timide d’une industrie locale qui ne couvre que 2 % du marché national. Un déficit structurel qui grève la souveraineté sanitaire et l’économie du pays, selon les données de la DPML et de l’INS.

En ce 25 septembre 2025, à l’occasion de la Journée mondiale du pharmacien, la question de la souveraineté pharmaceutique camerounaise s’impose avec une acuité particulière. Le constat est sévère, mais porteur d’espoirs : si le pays dépend encore massivement de l’étranger pour ses médicaments, une filière locale structurée autour de pharmaciens entrepreneurs et de partenariats stratégiques commence à dessiner les contours d’une future autonomie. Les chiffres, implacables, témoignent de l’ampleur du défi. Selon les dernières données de la Direction de la Pharmacie du Médicament et des Laboratoires (DPML), seulement 2 % des produits pharmaceutiques disponibles sur le marché national étaient produits localement il y a quelques années.

Bien que cette part soit en légère progression, elle reste marginale. En 2020, le Cameroun a importé 22 123 tonnes de produits pharmaceutiques pour un montant vertigineux de 133,083 milliards de FCFA. Sur le seul premier semestre 2021, les importations s’élevaient déjà à 11 894 tonnes pour 95,686 milliards de FCFA. Cette dépendance, analysée par Marie Claire ASSINA dans son mémoire de master 2, s’explique par un cocktail de facteurs structurels : l’importation des matières premières, les lourdeurs administratives pour les autorisations de mise sur le marché (AMM), l’accès difficile au financement et les défis liés à l’exportation.

La France demeure un fournisseur historique, mais sa part de marché est en fluctuation. En 2018, elle fournissait 38,2 % des importations camerounaises de médicaments (évaluées à 202,6 millions d’euros), contre 64 % en 2016. Cette baisse reflète la montée en puissance des génériques produits par des laboratoires indiens et chinois, comme Ajanta et Strides, désormais présents parmi les dix premiers fournisseurs du Cameroun.

Un système d’approvisionnement dual et déséquilibré

L’approvisionnement du pays repose sur un système à deux vitesses. Le secteur public s’appuie sur la Centrale nationale d’approvisionnement en médicaments et consommables médicaux essentiels (CENAME), tandis que le secteur privé dépend d’une quarantaine de grossistes-répartiteurs. Or, la CENAME, en proie à des difficultés financières, a vu son volume d’importations chuter de 16 à 8 milliards de FCFA entre 2014 et 2018. Dans le même temps, les grossistes privés ont réalisé 78,7 % des importations totales, avec une concentration notable : deux acteurs français à eux seuls représentaient 57,5 % des importations en 2018. Cette structure favorise les importations massives, parfois frauduleuses, qui étouffent la production locale dans l’œuf.

Le potentiel inexploité et l’émergence de champions locaux

Pourtant, le potentiel pour une industrie nationale existe. Le ministère de la Santé publique identifie des atouts majeurs : une main-d’œuvre qualifiée, l’accès privilégié au marché de la CEMAC, et la volonté affichée de l’État de soutenir le secteur via des mesures fiscales incitatives. Le paysage pharmaceutique local compte aujourd’hui sept fabricants, dont quatre ont atteint une taille critique : Africure Pharmaceuticals, Afripharm, SIPP et Cinpharm.

Cinpharm, inaugurée en 2010, incarne cet espoir avec sa mission de « produire des médicaments de qualité accessibles à tous et adaptés aux enjeux locaux de santé ». Ces laboratoires, souvent nés de partenariats avec des groupes indiens, se sont spécialisés dans la production de génériques et commencent même à exporter vers des pays voisins comme le Tchad, la Centrafrique ou la Côte d’Ivoire. Mais leur développement est freiné par des obstacles de taille : « les coûts élevés des facteurs de production », la concurrence déloyale et le fait que la plupart des unités de production « fonctionnent à peine à 20 % de leur capacité », selon une étude de la DPML.

Les pharmaciens, pivots de la mutation du secteur

En cette Journée mondiale, le rôle des pharmaciens camerounais apparaît plus crucial que jamais. Ces professionnels sont en première ligne pour assurer la gestion des stocks, garantir la qualité des médicaments et promouvoir les produits locaux auprès du public. Leur expertise est vitale dans un contexte de « fardeau de maladies divergent », où le paludisme, le VIH/sida et la tuberculose côtoient désormais une croissance des pathologies chroniques. Ils sont les garants de la sécurité sanitaire dans une période de transition.

La route vers l’autosuffisance est encore longue, mais des pistes concrètes se dessinent. Les professionnels appellent à une synergie d’actions, plaidant pour un « dialogue franc entre les grossistes et les industriels » et la « définition de quotas de commandes » en faveur des produits locaux par les grossistes. La « promotion des matières premières locales » et la « réduction du délai de délivrance des agréments » font partie des mesures correctives envisagées par les autorités. Alors que le Cameroun a investi près de 50 milliards de FCFA dans le secteur pharmaceutique au cours des quarante dernières années, la volonté politique et l’engagement des pharmaciens pourraient bien constituer le remède à cette dépendance chronique. En cette Journée mondiale du pharmacien 2025, le Cameroun montre que, malgré les défis immenses, l’émergence d’une industrie pharmaceutique résiliente et innovante n’est plus une utopie, mais un objectif à portée de main, essentiel pour la santé publique et le développement économique national. La célébration de ce 25 septembre est ainsi l’occasion de saluer le travail essentiel de ces acteurs de santé, qui œuvrent dans l’ombre pour bâtir l’autonomie de demain.

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 Elvis Serge NSAA

Interview

« Notre rôle va bien au-delà de la dispensation des médicaments »

Dr Mboto Audrey

À l’occasion de la Journée mondiale du pharmacien, pouvez-vous nous expliquer l’importance du pharmacien hospitalier au sein de votre établissement ?

Le pharmacien hospitalier est un acteur central de la qualité et de la sécurité des soins. Il garantit que chaque patient reçoive des médicaments adaptés et de qualité, dans les bonnes conditions, au bon moment et à moindre coût. Il est également un conseiller scientifique indispensable pour l’ensemble des équipes médicales et paramédicales.

Au-delà de la gestion des médicaments, comment décririez-vous le rôle et les responsabilités du pharmacien au quotidien ?

Notre rôle va bien au-delà de la dispensation. Nous participons aux vigilances sanitaires, à l’élaboration et au suivi des protocoles thérapeutiques, à la formation des soignants et à l’éducation thérapeutique des patients. Nous sommes aussi impliqués dans la gestion des dispositifs médicaux et la pharmacie clinique pour un usage rationnel des ressources.

Quels sont les défis majeurs auxquels votre service est confronté, en particulier concernant l’approvisionnement en médicaments ?

Les principaux défis concernent les ruptures de stocks, l’instabilité des prix et la dépendance aux importations. Nous devons aussi composer avec la circulation de produits de qualité douteuse sur certains marchés parallèles.

Comment faites-vous face aux défis de la chaîne d’approvisionnement des produits médicaux pour assurer leur disponibilité ?

Nous avons développé une planification rigoureuse des commandes, une diversification de nos fournisseurs agréés et un suivi informatisé des stocks. Nous travaillons aussi en étroite collaboration avec les centrales d’achat et les autorités de santé pour sécuriser les approvisionnements.

Quelle est la stratégie de l’hôpital pour lutter contre les médicaments de mauvaise qualité et la contrefaçon ?

Tous nos achats se font auprès de distributeurs agréés ; nous nous assurons que les produits de santé que nous utilisons sont homologués. Nous sensibilisons aussi nos équipes et nos patients aux risques de la contrefaçon et sécurisons le circuit du médicament jusqu’au patient, ce qui permet d’éviter les circuits parallèles.

Comment la collaboration entre le pharmacien et les autres professionnels de santé est-elle gérée au sein de votre hôpital ?

Cette collaboration est structurée par des réunions pluridisciplinaires, des comités thérapeutiques et pharmaceutiques. Cela nous permet d’harmoniser les pratiques, de valider les protocoles conjointement et d’assurer un meilleur suivi des patients.

Quel impact direct l’action du pharmacien a-t-elle sur la qualité des soins fournis aux patients ?

Le pharmacien contribue à réduire les erreurs médicamenteuses, à optimiser les traitements et à améliorer la sécurité des soins. Concrètement, cela se traduit par des hospitalisations plus courtes, moins d’effets indésirables et un meilleur confort pour les patients.

Pouvez-vous nous parler des programmes ou des initiatives que votre hôpital a mises en place pour optimiser le rôle du pharmacien ?

Nous avons introduit un système de traçabilité informatisée des médicaments, des audits réguliers des prescriptions et des formations continues. Nous avons également mis en place la dispensation au lit du malade en mettant les produits de santé dont le patient a besoin auprès des majors des services.

Quel message souhaiteriez-vous adresser aux futurs pharmaciens et aux autorités de santé à l’occasion de la Journée mondiale du pharmacien ?

Le pharmacien est un maillon essentiel du système de santé. J’invite les autorités à renforcer la formation clinique et logistique des pharmaciens et à leur donner les moyens d’agir pleinement. Aux jeunes pharmaciens, je dirai que c’est un métier passionnant et stratégique pour l’avenir de nos systèmes de soins.

Y a-t-il un dernier mot que vous aimeriez partager avec nos lecteurs sur l’importance de cette profession ?

Être pharmacien hospitalier, c’est être à la fois scientifique, gestionnaire et garant de la qualité. Dans un contexte de défis sanitaires croissants, notre rôle est plus que jamais essentiel pour offrir aux patients des soins sûrs, efficaces et accessibles.

Propos recueillis par Elvis Serge NSAA

 

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