Interview   Lilie Carolle Dongmo Temgoua

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« Absence de données sur les violences sexuelles sur les femmes en situation de handicap »

Selon la sociologue, administrateur principal de santé publique et titulaire d’un master professionnel en population et santé, la forte exposition des femmes handicapées aux violences après les résultats du projet Handivih au Cameroun et une expérience vécue par une personne handicapée mentale, l’a amenée à s’intéresser à la problématique du handicap féminin et de la violence sexuelle à Bujumbura.

Bonsoir Docteur. Est-ce d’entrée de jeu, vous pouvez vous présenter ?

Lille Carolle Dongmo Temgoua est sociologue, administrateur principal de santé publique et titulaire d’un Master professionnel en population et santé.

Présentez-nous votre sujet et les motivations qui vous ont amené à choisir cette thématique ?

Mes deux principales motivations sont entre autres : une curiosité scientifique d’explorer le pourquoi de la forte exposition des femmes handicapées aux violences après les résultats du projet Handivih au Cameroun et une expérience vécue par une personne handicapée mentale proche de moi qui n’est malheureusement plus de ce monde.

Quel est l’intérêt de la recherche de ce jour, pour la communauté nationale, internationale et les chercheurs ?

Pour la communauté scientifique, nous avons la méthodologie utilisée ainsi que les outils de collecte permettant de mesurer la prévalence du handicap et d’analyser la violence sexuelle en prenant en compte les limites des études antérieures. Il y a un gap criard de données entre les pays du Nord et les pays du Sud dans la recherche sur le handicap et les violences sexuelles qui interpellent la recherche. Cette absence de données peut justifier par ailleurs l’inertie ou le peu d’action publique observé dans la prise en charge des violences basées sur le genre, notamment les violences sexuelles sur les femmes en situation de handicap, victimes qui subissent pourtant une double relégation sociale après ce choc.

Est-ce que de manière succincte tu peux résumer ta thèse ?

Mon sujet de thèse porte sur « Handicap féminin et violence sexuelle à Bujumbura : une analyse sociodémographique des facteurs d’exposition et du vécu des victimes ». C’était devant un jury constitué de : Professeur EVINA AKAM, Démographe, Président (IFORD), Professeur Marie-Thérèse MENGUE, Sociologue, Directeur de thèse (UCAC), Professeur Gervais BENINGUISSE, Démographe, Co-Directeur de thèse (IFORD), Professeur Laurent VIDAL, Anthropologue, Rapporteur (IRD), Professeur Désiré MANIRAKIZA, Sociologue, Rapporteur (UCAC) et Professeur Fadimatou MOUNSADE KPOUNDIA, Anthropologue, Membre (UCAC).

Le présent travail étudie le lien entre la violence sexuelle et les femmes en situation de handicap à Bujumbura, au Burundi. Au-delà de la complexité de la notion de handicap, il existe des données sur la réalité du handicap au Burundi. Ce travail analyse la violence sexuelle dont subissent les femmes à partir d’une attention portée sur le handicap comme élément favorisant la vulnérabilité de ces dernières. Il y aurait, pour ainsi dire, un lien existant entre la situation de handicap dans laquelle certaines jeunes filles sont plongées et la possibilité d’être victimes de violences sexuelles.

L’enquête réalisée dans la ville de Bujumbura s’adosse sur une approche mixte (quantitative et qualitative) pour mesurer de prime abord la prévalence des violences sexuelles au sein de la population féminine ayant connu précocement une situation de handicap par rapport aux femmes sans situation de handicap. Par la suite, l’analyse est centrée sur les facteurs individuels, socio-culturels et économiques agissant en faveur de la vulnérabilité des femmes en situation de handicap aux violences sexuelles. Enfin, l’intérêt de ce travail se porte sur le vécu des femmes en situation de handicap et victimes de violences sexuelles, afin de comprendre les modifications identitaires ainsi que les stratégies de reconstruction favorables à la résilience face à de nouveaux chocs.

L’analyse statistique bivariée et multivariée permet d’établir que la prévalence de la violence sexuelle chez les femmes en situation de handicap est deux fois supérieure à celle des femmes sans handicap. Aussi, la faiblesse du niveau d’éducation, les limitations fonctionnelles dues au handicap lui-même, les représentations socio-culturelles à son égard – dont l’érotisation – ou les processus d’isolement des personnes en situation de handicap sont autant de facteurs d’explication de cette vulnérabilité. Par ailleurs, si le vécu psychologique des femmes en situation de handicap victimes de violences sexuelles révèle l’existence manifeste de stress post-traumatique, leur vécu social montre que les représentations sociales renforcent leur stigmatisation. Cette stigmatisation est d’autant plus forte que les auteurs de ces violences font partie de l’entourage des victimes, ce qui constitue bien souvent un obstacle aux recours judiciaires. Pour finir, la thèse montre que les femmes en situation de handicap se construisent une identité différente à partir des représentations sociales négatives autour du handicap. Malgré l’expérience traumatique des violences sexuelles auxquelles font face ces dernières, le soutien social, l’accès à une relation amoureuse, la mobilité géographique, la maternité et le recours plus important aux convictions religieuses sont autant de stratégies de résilience leur permettant de se reconstruire une nouvelle identité.

Pourquoi le choix des personnes handicapées ?

Dans les violences basées sur le genre, il y a des sous-groupes qu’il faut disséquer comme étant les plus exposés. Les rapports de l’OMS de 2002 et 2005 montrent que les femmes sont plus exposées que les hommes. En 2012, la revue systématique de Hughes montre que parmi les femmes, celles en situation de handicap sont plus sujettes aux différents types de violences, y compris les violences sexuelles. Ce qui justifie le choix de cette cible dans notre recherche.

Quelles sont les différentes pathologies qui les affectent après le viol ?

Il y en a plusieurs. On peut être confronté aux issues défavorables de la santé sexuelle et reproductive (IST, VIH, grossesses non désirées, lésions de l’appareil génital…). Il y a aussi des perturbations émotionnelles telles que la peur, la honte, la culpabilité qui favorisent un repli sur soi, un isolement plus marqué ainsi que des envies suicidaires chez les victimes. Par ailleurs, plusieurs représentations sociales négatives entourant à la fois le handicap et les violences sexuelles jouent en faveur de la stigmatisation des victimes.

Quel est le suivi ou alors la prise en charge de ces personnes vulnérables victimes de viols ?

Il y a en principe une prise en charge médicale, psychologique et judiciaire. Mais l’effectivité reste à questionner, notamment quand il s’agit des femmes en situation de handicap.

Quelles sont les difficultés que vous avez rencontrées pendant la recherche et comment ces difficultés ont été surmontées ?

La langue, notamment le kirundi, a été notre principal obstacle, car notre recherche s’est faite à Bujumbura au Burundi. Pour le surmonter, nous avons fait appel à un interprète. Une autre difficulté était liée au fait que certaines victimes n’ont pas voulu faire un récit sur l’expérience du viol vécue. Le viol reste un événement traumatique qu’il faut remuer avec tact et délicatesse et dont plusieurs victimes désirent oublier.

Pour terminer, quelle est la situation de ces personnes handicapées aujourd’hui victimes de viols ?

Plusieurs ont trouvé des mécanismes de reconstruction leur permettant de se réinsérer autant que possible dans la vie sociale.

Propos recueillis par Elvis Serge NSAA

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