
Le professeur Jean-Marie KASIA, administrateur directeur général du centre hospitalier de recherche et d’application en chirurgie endoscopique et reproduction humaine (CHRACERH), nous livre son expertise sur le cancer de l’ovaire, une maladie qui touche de plus en plus de femmes et qui est souvent diagnostiquée à un stade avancé. Dans cet entretien, il nous explique les causes, les symptômes et les moyens de prévention de cette maladie, et nous livre des conseils pour réduire les risques de développer un cancer de l’ovaire.
Professeur Jean-Marie KASIA, vous prenez en charge au centre hospitalier de recherche et d’application en chirurgie endoscopique et reproduction humaine (CHRACERH) plusieurs types de cancers gynécologiques, notamment celui de l’ovaire. Quelle est sa particularité ?
Les cancers gynécologiques, tout le monde en parle, et ceux que l’on connaît le plus sont le cancer du col de l’utérus et peut-être le cancer du sein et le cancer de l’endomètre. Mais le cancer de l’endomètre et le cancer de l’ovaire sont des cancers rares gynécologiques dont on parle très peu, et le cancer de l’ovaire encore moins, car c’est un cancer qui est très grave, qui se développe aux deux ovaires et qui fait partie des cancers gynécologiques les plus graves, car il est asymptomatique, donc il n’y a pas trop de symptômes, et les symptômes sont non spécifiques.
Et le diagnostic est très souvent fait lorsque la maladie est très avancée, dans 75 % des cas. On peut quand même arriver à imaginer que ça peut être un cancer de l’ovaire, mais, dans 75 % des cas, le diagnostic se fait lorsque la maladie est devenue très avancée et très peu curable.
Quelles sont les causes et les manifestations du cancer de l’ovaire ?
Avant de parler des manifestations de l’ovaire, je voulais vous donner l’ampleur du problème. Dans le monde en général, on dépiste 325 000 cancers par an, et sur les 325 000 cancers, il y a 207 000 décès. Si vous prenez un petit exemple, au Cameroun, j’ai vu une petite étude qui a été faite à l’hôpital gynéco-pédiatrique : on a eu 31 cas de cancers qui ont été enregistrés dans l’année sur 424, donc vous avez une prévalence de 7,4 %. Et c’est le quatrième cancer de la femme et le troisième cancer gynécologique.
Autant on connaît déjà à peu près certaines causes ou certains facteurs favorisant les autres cancers, que je viens de vous citer, par exemple le cancer du col de l’utérus, on sait qu’il est causé par un virus qui s’appelle HPV. Il y a aussi le cancer de l’endomètre avec les phénomènes hormonaux. Mais quand vous regardez bien le cancer de l’ovaire, il est très difficile d’identifier la cause. Par contre, il existe des facteurs de risque liés à la survenue de cancer de l’ovaire. Et là, il y a des cancers qui sont liés à la femme elle-même et des cancers qui sont liés à son environnement. En plus de cela, parmi les facteurs de risque, il y a des facteurs non modifiables et des facteurs modifiables.
Prenons d’abord les facteurs non modifiables du cancer de l’ovaire. C’est souvent la race, très fréquent chez les femmes blanches. C’est la puberté ; chez une femme qui a eu une puberté avant huit ans, elle est à risque de cancer de l’ovaire. Ou bien celle qui a eu une ménopause tardive après 55 ans. Bien sûr qu’il y a des prédispositions, qui sont les prédispositions génétiques ou familiales du cancer du sein. C’est pour ça qu’on dit que, si vous êtes une fille et que vous avez eu un cancer du sein, il faut absolument aller regarder dans votre lignée, c’est du côté de la mère, et du côté de la mère, certainement vous allez trouver qu’il y a beaucoup de gens là-bas qui ont eu un cancer de l’ovaire.
Donc, si chez votre maman il y a une personne qui a eu un cancer de l’ovaire, vous êtes une personne à risque. Et même le cancer de l’endomètre et le cancer du côlon sont aussi des facteurs de risque. Il existe des facteurs de risque modifiables, là vous pouvez agir dessus. C’est par exemple la femme en surpoids ou obèse, il faut donc que les femmes évitent d’être en surpoids ou encore qu’elles soient obèses. Les femmes qui n’ont jamais eu d’enfant sont des facteurs de risque, même pour celles qui sont en période ménopausique. Nous avons aussi des grossesses tardives après 35 ans, le traitement hormonal substitutif, le tabagisme, dont les femmes ne fumaient pas beaucoup. Il y a des femmes aussi, sur le plan professionnel, qui ont été exposées à l’amiante.
La question qu’on pourrait se poser, c’est de savoir s’il y a des signes d’alerte de cancer de l’ovaire. Pour le col, vous voyez qu’il y a souvent des saignements, donc ça peut vous alerter très vite. Vous avez pas mal de choses que vous pouvez constater dans votre sphère génitale, qui peuvent vous alerter. Mais pour le cancer de l’ovaire, est-ce qu’il existe vraiment des signes d’alerte ? Alors, c’est que d’une part, vous commencez à présenter une fatigue intense, une perte de poids, ou quand vous avez des douleurs abdominales et pelviennes. Mais c’est surtout quand tout cela est accompagné d’une perte de poids et d’une grande fatigue, ça, ce sont des signes d’alerte. Autre signe d’alerte, si vous constatez que votre ventre commence à prendre du volume, donc une distension abdominale, cela doit vous faire consulter rapidement. Parfois, il peut y avoir un saignement per vaginal en dehors des règles.
Comment s’effectue la prise en charge du cancer de l’ovaire au CHRACERH ? Peut-on parler d’un taux de guérison, si possible le taux de prévalence ?
On n’en guérit pas très souvent. Je crois qu’il est important, avant d’aborder tout cela, de parler des moyens de dépistage du cancer. Est-ce que ces moyens existent vraiment ? La réponse est non, vous voyez, très mauvaise nouvelle pour les femmes. Autant le cancer du col, on vous dit qu’il faut aller faire le dépistage, et nous faisons beaucoup de campagnes de dépistage, et on peut assez vite, en faisant des frottis, dépister que vous avez un début de transformation de cellules normales en cellules malignes, c’est plus facile à avoir. Mais, pour le cas du cancer de l’ovaire, il n’existe pas de moyens de dépistage. Malheureusement, à ce jour, pour le cancer de l’ovaire, comme pour les autres cancers, le sein, le col et l’utérus, il n’existe pas de moyens de dépistage.
Alors, quant à la prévention, je crois qu’il y a un certain nombre de choses que vous pouvez utiliser, que vous pouvez respecter afin d’éviter le cancer de l’ovaire. Premièrement, il faut lutter contre la surcharge pondérale, donc, les femmes trop fortes, faites attention ; les femmes obèses, essayez de lutter contre l’obésité, ça va vous rendre service. Deuxième chose, il faut faire une activité physique, deux à trois fois par semaine pour les femmes, toujours faire l’activité physique, trois fois par semaine. L’échographie, tous les trois mois au moins, faites votre échographie, parce qu’on peut vous dépister une masse, et cette masse peut avoir une consistance un peu bizarre. Ça peut parfois nécessiter qu’on fasse une coloscopie, qui est le seul moyen qui peut vous permettre de voir, de faire la biopsie tout de suite, de façon orientée, on envoie dans la patte, on vous dit si vous avez un début de transformation maligne. En ce moment-là, vous avez la chance, on peut vous traiter maintenant et vous pouvez guérir.
Ensuite, maintenant, vous avez une autre chose qu’il faut faire, si vous faites une chirurgie, beaucoup de chirurgiens et de gynécologues n’ont pas cette notion, parce qu’elle est récente, donc beaucoup peuvent enlever certaines choses et laisser l’ovaire et la trompe, dans certaines pathologies utérines, à un certain âge, les gens enlèvent toujours l’utérus, mais on laisse l’annexe, c’est-à-dire la trompe et l’ovaire, parce qu’on ne veut pas mettre ces femmes en ménopause précoce, mais grosse erreur, c’est que très souvent aujourd’hui, si vous pouvez jouer sur la fonction de l’ovaire, puisqu’il y a encore beaucoup d’hormones à sécréter, mais surtout pas ne pas laisser le moyen de la trompe à côté de l’ovaire, parce qu’il est démontré aujourd’hui que le cancer de l’ovaire proviendrait des franges de la trompe, puisque les franges de la trompe balaient souvent la surface de l’ovaire, et si vous laissez cette trompe, vous la laissez, les franges sont là et les franges touchent l’ovaire, si vous laissez ça, ça va donner un cancer de l’ovaire par la suite, ce qui fait qu’aujourd’hui, quand on doit laisser la trompe et l’ovaire, la question c’est pour faut-il laisser la trompe ou pas, généralement, il faut enlever la trompe et demander préventive, et ça va aider à ce qu’il n’y ait pas un cancer de l’ovaire. Alors, professeur, les nouvelles que vous donnez sur le cancer de l’ovaire font peur aux femmes, mais il y a un message quand même à l’endroit de toutes les femmes.
Je crois qu’il faut suivre les conseils des médecins, et en particulier, moi, j’exhorte toutes les femmes à se faire dépister, que ce soit le cancer du col, de l’utérus, le cancer de l’endomètre, le cancer du sein, tous ces cancers sont maintenant guérissables, le petit bémol se tourne au niveau du cancer de l’ovaire, mais le cancer de l’ovaire aussi, si on suit les consignes que je vous ai données tout à l’heure, et qu’on se fait faire des échographies, au moins une échographie tous les trois à six mois, on va voir le médecin, et dès qu’il y a une masse, et si en plus vous êtes une femme d’un certain âge, automatiquement, vous devez voir votre gynécologue, qui va vous demander une échographie, et qui devrait demander certaines investigations par rapport au cancer de l’ovaire, et si c’est diagnostiqué très tôt, vous avez de fortes chances, parce que lorsque le cancer n’a pas encore dépassé la coque, vous avez des chances qu’on enlève juste l’ovaire, et vous pouvez vivre normalement, donc je pense qu’il est important de comprendre ces principes, et c’est à vous de jouer, moi, je ne serai pas dans votre assiette pour voir ce que vous mangez, et si vous mangez de la graisse tout le temps, vous comprenez que ça va vous poser des tas de problèmes.
A lire aussi: Cancer de l’ovaire : Le tueur silencieux qui frappe les femmes
Justement, professeur, est-ce qu’il y a une alimentation à respecter pour ces femmes qui sont exposées à ce cancer de l’ovaire ?
« Il faut manger beaucoup de fruits, et manger moins de graisse. En fait, il faut avoir une alimentation équilibrée, riche en fibres, et d’aucun ajout même en soja. Vous voyez que c’est très difficile de vivre, nous sommes tous exposés par rapport à ce que nous mettons dans notre ventre, et c’est dommage qu’il y ait tellement de choses bonnes que les femmes aiment, mais elles sont tellement bonnes, suffisamment bonnes, pour pouvoir nous déclencher aussi des problèmes très regrettables. »
Propos retranscrit par Elvis Serge NSAA