
Pr Alexis NDJOLO, Directeur Général du Centre International de Référence Chantal Biya pour la recherche sur la prévention et la prise en charge du VIH/SIDA (CIRCB).
Professeur Alexis NDJOLO, le CIRCB a été désigné par l’OMS comme laboratoire national de référence pour le test génotypique de résistance du VIH pour 2025, le plaçant parmi les 13 laboratoires de ce type dans la Région africaine. Pourriez-vous nous expliquer en quoi cette reconnaissance est une avancée majeure pour le Cameroun et pour la lutte contre le VIH/SIDA en Afrique centrale ?
La désignation du CIRCB comme laboratoire de référence OMS (Organisation Mondiale de la Santé) pour les tests de résistance du VIH aux traitements antirétroviraux s’est faite en considération des performances et de la qualité des services rendus par nos laboratoires. L’OMS a évalué et apprécié positivement la qualité de nos équipements de laboratoire qui permettent la réalisation des tests génotypiques de résistance du VIH. Le niveau d’expertise de nos personnels scientifiques a également fait l’objet d’une évaluation, ainsi que la fiabilité et la sincérité de nos données produites. Par ailleurs, la contribution scientifique du CIRCB dans la maitrise et la prise en charge des résistances du VIH dans notre milieu a été prise en compte. Peu de laboratoires sont capables de réunir une telle expertise, surtout dans notre contexte africain. Vous l’avez d’ailleurs rappelé, seuls 13 laboratoires en Afrique, dont le CIRCB, ont reçu à ce jour la reconnaissance de l’OMS pour leur capacité technique à gérer les phénomènes de résistances au VIH. Cette désignation place le CIRCB au niveau des meilleurs laboratoires pouvant accompagner les services de santé et leurs acteurs dans une prise en charge optimale des PVVIH. Il s’agit donc d’une véritable avancée pour le Cameroun et pour les pays amis que nous appuyons.
En effet, avec cette désignation du CIRCB comme laboratoire de référence, nos pays peuvent désormais compter sur ces examens d’orientation thérapeutique très importants et devant être réalisés pour tout patient avant la mise sous traitement ARV. Le CIRCB avait, en son temps en juillet 2016, réduit le cout unitaire desdits examens de 100 000 FCFA à 10 000 FCFA, dans le but de les rendre accessibles au plus grand nombre.
Le Dr Meg Doherty de l’OMS a souligné que cette certification fait suite à la démonstration de votre compétence en matière de génotypage des gènes de la protéase, de la transcriptase inverse et de l’intégrale du VIH. Quelles sont les capacités techniques spécifiques du CIRCB qui ont permis cette désignation, et comment cette expertise unique en Afrique centrale va-t-elle concrètement bénéficier les pays voisins et influencer les stratégies régionales de lutte contre le VIH/SIDA ?
En nous notifiant le 8 juillet dernier la désignation du CIRCB comme laboratoire national de référence OMS pour le suivi des résistances du VIH, le Dr Meg Doherty, Directeur du Département « Global HIV, Hepatitis and STIs Programmes » dans cet organisme des Nations Unies, a en effet clairement expliqué les motivations qui ont sous-tendu ce choix. Au plan technique, la décision de l’OMS reposait sur plusieurs critères : l’existence d’équipements de génotypages fonctionnels, l’expertise avérée des personnels de laboratoire dans la réalisation des examens visés, la pratique des POS (Procédures opérationnelles standard) et un accompagnement administratif et financier dans la gestion des laboratoires. Nous avons réalisé, à l’aide des kits ThermoFischer, des tests génotypiques de résistance pour la protéase, la transcriptase inverse et les gênes d’intégrasse, à partir du plasma. Au plan stratégique, les plateformes du CIRCB offrent depuis quelques années un service unique dans la prise en charge du VIH, que ce soit pour les patients camerounais ou même pour ceux des pays voisins qui nous sollicitent. Nous organisons par ailleurs, ici même au CIRCB, des ateliers internationaux de remise à niveau des personnels de santé, comme celui du 22 juillet dernier qui a réuni une cinquantaine de participants venus de toutes les dix régions du pays. Les missions d’appui et d’enseignements sur les résistances sont régulièrement effectuées vers les autres pays africains dans le cadre de la coopération Sud-Sud.
Ce sont là des actions concrètes et visibles que porte le CIRCB. Ces actions visent naturellement à améliorer la lutte contre le VIH dans notre pays et à l’international. Il s’agit d’atteindre les objectifs des trois 95 fixés par l’ONUSIDA à l’horizon 2030 à savoir : 95% des patients séropositifs au VIH sont diagnostiqués ; 95% des patients ainsi diagnostiqués sont mis sous traitement et 95% des patients traités ont une charge virale indétectable. C’est avec cette stratégie que nous partageons avec les pays voisins que le CIRCB compte mener une lutte efficace contre la pandémie du VIH.
Le Dr Joseph Fokam a décrit cette désignation comme une « étape scientifique majeure vers l’élimination du VIH ». Comment cette capacité de surveillance et de détection de la résistance aux médicaments antirétroviraux va-t-elle directement impacter l’amélioration des résultats de traitement pour les patients camerounais et orienter les futures recherches menées par le CIRCB ?
Pour le CIRCB et pour tout son personnel scientifique d’ailleurs, cette désignation est une reconnaissance et une invitation à plus d’efforts pour le soutien et la prise en charge personnalisée des PVVIH. Notre position acquise aujourd’hui permettra sans aucun doute d’améliorer la prise en charge des patients. C’est en cela que cette désignation par l’OMS constitue une étape décisive vers l’élimination du VIH. Cette position n’est malheureusement pas définitive. Le CIRCB sera régulièrement évalué dans ses performances et pour la qualité de ses résultats. De notre capacité à surveiller l’apparition des résistances aux ARV dépendra une prise en charge améliorée des patients et en conséquence leur survie.
La lettre de l’OMS mentionne que la ré-désignation dépendra de « performances satisfaisantes continues ». Quels sont les mécanismes mis en place par le CIRCB pour assurer la pérennité de cette certification, maintenir l’excellence technique et relever les défis potentiels à venir, qu’ils soient financiers, matériels ou humains ?
Nous serons effectivement réévalués tous les ans ou tous les deux ans sur la qualité de nos services et de nos performances. Cette désignation de l’OMS n’est donc pas définitivement acquise. Elle doit se mériter au quotidien en faisant l’effort de s’arrimer aux évolutions scientifiques. Nous devons ainsi actionner sur plusieurs leviers : la formation continue des personnels, la mise en place d’un dispositif infrastructurel amélioré, ainsi qu’un cadre du travail agréable pour tous, sans oublier d’adopter en permanence de bonnes pratiques de laboratoire. Nous avons à ce jour, vous vous en doutez bien, anticiper sur la plupart de ces exigences. Nous avons ainsi signé des conventions de collaboration avec des Institutions et avec diverses Universités du Nord, notamment en Italie pour des stages et la formation des personnels. Nous avons aménagé dans nos locaux un espace technique dédié uniquement aux travaux portant sur les résistances du VIH. Nos équipements techniques bénéficient de contrats de maintenance et d’une globale assurance pour couvrir les éventuels dommages. Nous avons mis en place une plateforme d’échanges scientifiques sur les résistances du VIH appelée « Viroforum ». Cette plateforme, utilisée par les experts nationaux et internationaux, est coordonnée par le CIRCB. Elle réunit chaque mois les acteurs de santé travaillant sur le VIH, avec pour objectif d’améliorer significativement la prise en charge des PVVIH.
En tant que Directeur Général, quelle est votre vision à long terme pour le CIRCB suite à cette désignation ? Comment entendez-vous consolider le rôle de leader du Centre dans la région et au-delà, notamment en contribuant à l’élaboration des directives de l’OMS et en favorisant le partage d’expériences sur des plateformes comme le VIROFORUM AFRICA ?
Le CIRCB s’est déjà positionné comme structure de recherche leader dans son domaine. Ce leadership national et international doit s’exercer pleinement à travers le développement des programmes de surveillance génomique des résistances dans notre sous-région et à travers la formation de nos personnels de santé. Le « Viroforum » que vous citez constitue à notre sens un exemple de collaboration internationale réussi entre le CIRCB et les autres acteurs de santé. Le CIRCB doit anticiper par ailleurs sur les mécanismes de riposte en cas de survenue de nouvelles pandémies dans notre environnement. Son implication pour le diagnostic et le suivi biologique des cas de COVID-19 dans notre pays a été saluée par tous, notamment par l’OMS. Dans le cadre du projet dénommé « Expandia » qu’il a porté depuis 2022, le CIRCB s’est fortement préparé pour se mettre à la tête d’un grand réseau des laboratoires chargés du diagnostic et du suivi biologique des viroses et de certaines pathologies émergentes. Son intérêt vers les autres pathologies chroniques telles que les cancers, au moment où la pandémie du VIH est progressivement maîtrisée, est légitime et doit constituer un nouvel axe de recherche pour le CIRCB.
Interview menée par Mireille Siapje