« Les morts subites dans le sommeil, c’est lié à cette fragilité cardiovasculaire qui, elle-même, peut être issue de ce ronflement »
Dr. Jephté Mbangue Lobe est l’un des spécialistes des pathologies du sommeil en Afrique centrale et au Cameroun qui n’en compte que trois au total. Nous avons abordé avec lui et dans son laboratoire de sommeil, la question de ronflement, qui selon les spécialistes de la santé, n’est qu’un symptôme d’une maladie appelée broncopathie chronique. Il en constitue d’ailleurs la forme la plus bénigne, il existe donc une version plus grave appelée syndrome d’apnée du sommeil.
Dr dites-nous c’est quoi le ronflement ?
Le ronflement, c’est un bruit grave, que le sujet émet lorsqu’il dort, que lui-même n’entend pas, qu’il n’entend pas, quel que soit d’ailleurs l’intensité, il n’entend pas, qui est lié à la vibration des parties molles du pharynx et du voile du palais, voilà, et donc ça crée ce bruit-là, et ce bruit-là peut revêtir un caractère de gravité, en ce sens que l’intensité peut atteindre même les 70 décibels, c’est-à-dire que ça peut empêcher complètement le conjoint, les enfants dans les chambres, de dormir.
Y a-t-il plusieurs formes de ronflement ? Parce qu’il y a souvent, quand on dit à quelqu’un qu’il est un gros ronfleur, on se moque de lui ou bien ?
Voilà, alors le ronflement on peut le distinguer par l’intensité, déjà, il y a un sujet qui dort, qui ronfle quand il respire, donc c’est un petit bruit qui accompagne la respiration qui est comme un petit concert, très agréable pour le conjoint, voilà, ça c’est le ronflement quand on respire. On peut ronfler quand on parle, c’est déjà très occupant, et on peut ronfler plus fort que la parole. On peut même définir un quatrième niveau, on peut ronfler à se faire entendre dans le couloir ou dans d’autres chambres, à ce moment-là ça devient invivable pour le conjoint, parfois il est obligé de quitter la chambre pour aller, il devient un refugié du ronflement en quelque sorte dans la maison. Voilà, donc on peut distinguer ces ronflements comme ça en termes d’intensité. (Maintenant on peut aussi voir les ronflements qui sont positionnels ou pas, il y a des gens, quand ils sont sur le dos ils ronflent, quand ils sont sur le côté ils ne ronflent pas ou ils ronflent. Donc ça dépend de la position. Voilà, on peut aussi voir des gens qui ronflent tous les jours et d’autres qui ronflent épisodiquement. Ils peuvent ronfler deux ou trois fois par semaine, d’autres qui peuvent passer un mois sans ronfler puis un jour ils ronflent, voilà, donc on peut faire beaucoup de distinctions entre les ronfleurs.
Alors on voit bien que quelqu’un qui est allé s’empiffrer d’alcool quand il rentre chez lui, il ronfle toute la nuit alors qu’il n’a pas l’habitude. Voilà, il y en a qui vous disent je ronfle quand j’ai bu, il y en a qui vous disent je ronfle quand je suis très fatigué, voilà, mais à l’expérience, ce que je sais pour avoir m’occuper de ces ronfleurs depuis un certain temps, c’est que dès qu’on évoque la notion de ronflement, il faut faire attention. Même si on l’évoque négligeablement, parce qu’on dit je ne ronfle que quand je suis fatigué, c’est comme s’il n’y avait pas de problème. Parce que quand nous prenons ces malades dans notre laboratoire, ils passent la nuit et on fait l’enregistrement de leur respiration, on se retrouve devant des apnées de sommeil alors que leur ronflement n’inspirait pas qu’il pourrait y avoir des apnées de sommeil.
À quel moment le ronflement devient donc une maladie ?
Le ronflement devient une maladie lorsqu’il s’accompagne des troubles respiratoires pendant le sommeil. Sinon ça reste une nuisance, simplement une nuisance, pas pour le sujet, mais pour le conjoint. Mais donc l’enjeu du ronflement, pour nous les médecins de sommeil, c’est de savoir est-ce que ce ronflement s’accompagne des apnées de sommeil ? Parce que si ça s’accompagne des apnées de sommeil, il peut créer une fragilité cardiovasculaire. Je sens que ça peut se terminer par des insuffisances coronariennes, ça peut se terminer par des AVC, les accidents vasculo-cérébraux, et surtout par une hypertension réfractaire, donc ça peut créer une fragilité cardiovasculaire et des morts subites. C’est pour ça qu’il ne faut pas prendre ça à la légère. Donc quand quelqu’un ronfle, contrairement du passé où on prenait le ronflement simplement comme un signe de masculinité, quand quelqu’un ronfle, ce n’est pas bien grave. On sait que c’est un homme qui est là. C’est un homme qui est là, il a une hantise d’autorité.
Mais aujourd’hui, on sait que ce n’est pas du tout ça. Quand un homme ronfle de façon intense, de façon régulière, et surtout s’il fait des pauses respiratoires dans son ronflement, s’il fait des réactions d’éveil, s’il fait des suffocations, il ne faut pas prendre ce ronflement à la légère, il faut absolument l’explorer pour s’assurer qu’il n’est pas pathologique et s’il est pathologique, de prendre ça pour éviter cette fragilité cardiovasculaire qui est dans son signe.
On a dit que lorsqu’on a bu, on peut rentrer à la maison et on ronfle parce qu’on est saoul. Maintenant, le ronflement de la maladie est causé par quoi ? Qu’est-ce qui cause ce ronflement qui se transforme en maladie ?
Alors ce qui cause ça, c’est une faiblesse du muscle dilatateur du pharynx C’est-à-dire que nous avons un muscle dans le pharynx qu’on appelle le génioglosse qui dilate le forage à l’inspiration pour que le forage ne se collapse pas et n’empêche pas le flux d’air de passer.
Donc, c’est quand ce muscle faiblit, en ce moment-là, quand on inspire, le pharynx se referme et ça crée donc des apnées ou des hypopnées. Voilà, donc c’est une faiblesse du génioglosse qui accompagne souvent le ronflement, qui fait des apnées ou des hypopnées de sauvetage.
C’est dû à quoi ?
Ça peut être lié à l’obésité. Et puis, vous savez, les ronflements, les apnées, tout ça, il y a un côté génétique. Il y a des familles de ronflements. Et on va retrouver également ce phénomène de façon récurrente chez les obèses. Dans le sexe mâle, c’est un facteur de risque. Quand on est mâle, on ronfle plus fréquemment que quand on est féminin. Donc, l’obésité et aussi la circonférence du corps. Si vous avez une circonférence du corps au-dessus de 42 cm, ça veut dire que vous avez des infiltrats de graisse dans le cou. Ces infiltrats de graisse peuvent créer des modifications anatomiques au niveau des voies respiratoires hautes et créer des ronflements et des apnées de sommeil. Aussi, on pourra mettre en cause l’alcoolisme, tabagisme, comme des facteurs favorisant, le ronflement et les apnées de sommeil.
Vous qui êtes spécialiste des pathologies du sommeil, le ronflement occupe quelle place dans vos nombreuses consultations ?
La deuxième, après les insomnies. Les insomnies, c’est notre pain quotidien.) Après ça, on a effectivement des bronchopathies, des gens qui viennent pour bronchopathie, mais pour l’instant, comme cette spécialité n’est pas encore connue, beaucoup de malades s’ignorent et beaucoup de malades se méprennent.
Dr comment est-ce qu’on va savoir que ce ronflement, lui, est un ronflement de maladie ?
Il y a des signes. Il y a des gens qui ronflent, même s’ils sont malades, ils savent que non, ils ronflent simplement, alors que c’est la maladie. Et ça, il faut contacter certainement un médecin. Donc, l’un des signes, c’est l’intensité du ronflement. Dès qu’un ronflement commence à gêner le conjoint, il est déjà préoccupant, ça, tout le monde peut s’en tenir à ça. La gêne est le premier critère.
Deuxième critère, lorsqu’on ronfle plus de trois nuits par semaine. Déjà, trois nuits, c’est déjà préoccupant.
C’est-à-dire, par exemple, lundi, mardi, mercredi ?
Oui. Lorsque le ronflement revient au moins trois nuits dans la semaine, c’est déjà préoccupant. Et puis, lorsqu’il est intense, à gêner le conjoint.
Et maintenant, des choses plus compliquées. Lorsqu’il y a des pauses dans le ronflement, c’est-à-dire qu’il ronfle et puis ça s’arrête. Et trois secondes, cinq secondes, dix secondes, puis ça reprend en trombe. Ces pauses-là qui font souvent peur au conjoint, le conjoint a l’impression que son mari va mourir, elle va devenir veuve, quelque chose comme ça. Ces pauses-là qui font peur au conjoint sont déjà un très mauvais signe. Et ajoutons à ça des suffocations, c’est-à-dire la personne qui dort et qui se réveille dans les quintes de toux, ce n’est pas un bon signe. Voilà, il y a tous ces critères-là. Mais ce que j’observe c’est que la relation entre le ronflement et les apnées de sommeil, telle que c’est décrit dans les livres, c’est une relation de grand nombre. C’est-à-dire quand on dit que, c’est les critères que je vous donne là, par rapport aux apnées, que quand vous voyez ces signes-là, ça veut dire que le ronflement est probablement apnéique. Ces critères-là, ce sont des critères de grand nombre. Et je retrouve énormément de gens qui n’ont pas ces critères et pourtant qui font des apnées. Et c’est ça qui m’intéresse maintenant, pour faire avancer les connaissances.
Est-ce que celui qui ronfle lui reconnaît que pendant le sommeil ou alors on lui dit simplement que vous étiez en train de ronfler ?
En général, il ne le sait pas. Par définition, le ronfleur ne se sent pas respecté. Mais là, il y a des gens qui s’entendent ronfler aux sorties du sommet, c’est-à-dire les derniers ronflements quand il est réveillé du sommet, il peut les entendre. Mais en général, le sujet ne s’entend pas ronfler. Alors, il y a ce qui semble intéressant et qui est davantage une préoccupation pour ceux qui ronflent. Maintenant qu’on a découvert que le ronflement qui est régulier est un ronflement de maladie.
Comment ça se passe pour la prise en charge en ce moment ? D’abord, comment est-ce qu’on vit au quotidien avec ce genre de ronflement ? Surtout quand on sait déjà que c’est une maladie. Quelle est l’attitude de celui-là ?
La plupart des gens ne savent pas que le ronflement peut être sujet à une maladie. La plupart des gens qui ronflent ne savent pas qu’il y a un motif d’inquiétude à cela. La plupart des conjoints ne considèrent pas le ronflement de leur conjoint comme un problème. Nous sommes un peu dans l’ignorance. Donc il faut qu’un ronfleur vienne se faire explorer en laboratoire de sommeil pour que l’on voit si ces ronflements sont pathologiques ou pas. S’ils sont pathologiques, il faut une prise en charge. S’ils ne sont pas pathologiques, bon, ça reste une nuisance. Et ça dépend, est-ce que le conjoint supporte, est-ce que le conjoint (14:04) ne supporte pas, parce qu’à ce moment-là, on peut corriger un ronflement simplement parce qu’il est une nuisance. Et là, le partenaire ne supporte plus. Le partenaire ne supporte plus. Le partenaire veut changer de chambre. C’est là parce qu’il n’arrive pas à trouver le sommeil, parce que ça peut revenir à un caractère de gravité. Vous savez, des gens qui ronflent à 60, 70 décibels, vous ne pouvez pas dormir. Donc, ça peut devenir un motif de souci dans un couple.
Et la prise en charge se fait comment ?
La prise en charge se fait en général quand on a établi que la personne est ronfleuse, qu’il y a des apnées de sommeil. Nous avons des appareils qu’on appelle les appareils de pression positive continue qui permettent d’envoyer un coussin d’air, (une pression, sous pression pour garder, pour ouvrir la personne à ne pas faire des apnées. (14:54) Et à ce moment-là, la personne cesse de ronfler, cesse de faire des apnées, des hypopnées et des limitations de débit. Bref, on corrige sur toute la ligne les troubles respiratoires et la personne retourne à la vie normale parce que ces ronflements et apnées vont avoir une incidence et un retentissement dans la vie du jeune, c’est à dire la personne va avoir tendance à somnoler le jour.
Nous appelons la somnolence du jeune excessif, tout le temps en train de somnoler, tout le temps en train de somnoler. Elle va avoir une fatigue au matin, parfois une fatigue dans la journée et va avoir, par exemple, des céphalées au matin, des céphalées dans la journée et parfois des baisses de la performance sexuelle. Il y a une baisse de la libido. Ça peut arriver chez les gens qui sont des gros ronfleurs.
Est-ce qu’on peut mourir dans le ronflement ou après le ronflement ?
Oui, alors, il va perdre la vie. Vous avez entendu parfois que les gens meurent dans leur sommeil. Ce que nous appelons, les morts subites dans le sommeil, c’est lié à cette fragilité cardiovasculaire qui, elle-même, peut être issue de ce ronflement. Et c’est pour ça que les AVC et les morts subites viennent souvent dans la deuxième partie de la nuit, où le sommeil paradoxal est le plus dominant, avec ses atonies et donc une aggravation des apnées et donc la survenue des accidents vasculaires cérébraux et des morts subites. Voilà, donc on peut en mourir, on peut en mourir. Et puis, vous avez des apnées, nous, on voit ça au laboratoire, qui vous font pratiquement deux minutes. C’est à dire que le type ne récupère pas pendant deux minutes dans une apnée. Il est couché, mais il ne respire pas deux minutes parce qu’il fait une apnée, devenue trop longue. Donc plus les apnées deviennent longues, plus elles deviennent dangereuses. Donc on peut croire dans la première minute, on se dit il y a quelque chose qui ne va pas. La deuxième minute, on peut encore attendre. Et à la troisième, la personne revient à la vie. Il ne faut pas, quand vous faites déjà deux minutes sans respirer, ce n’est pas bon. Mais ils atteignent difficilement trois minutes. Seulement, ils peuvent approcher les deux minutes sans respirer. Des apnées comme ça, que nous, on a pu matérialiser au laboratoire.
On sait qu’on peut guérir du renflement. C’est ce que vous dites ?
Alors, guérir ? Non, on peut être pris en charge. En général, on se fait aider par un appareil. Et il y a une chirurgie qui n’est pas régulièrement pratiquée et dont les résultats ne sont pas tellement au rendez-vous. Donc, en fait chez certaines personnes qui sont très obèses. Lorsqu’elles perdent drastiquement du poids, peuvent guérir de leur ronflement.
Propos recueillis par Alphonse Jènè