Planification familiale au Cameroun : La baisse de la sensibilisation inquiète
Les avancées réalisées ces dernières années en matière de planification familiale sont indéniables : politiques publiques favorables, augmentation de l’offre de services, etc. Cependant, cette dynamique positive semble marquer le pas. Les derniers chiffres révèlent une stagnation, voire une baisse du taux d’utilisation des méthodes contraceptives modernes. Qu’est ce qui justifie cela ? On en parle avec Le Dr EBONGO Zacheus NANJE, le Directeur de la Santé Familiale au Ministère de la Santé Publique
Le sous-groupe de la planification familiale de la direction de la santé familiale du ministère de la Santé publique a récemment tiré la sonnette d’alarme sur la baisse de la sensibilisation à la planification familiale au Cameroun. Les jeunes filles, en particulier, sont les plus touchées par ce manque d’accès à l’information et aux services de contraception.
Les statistiques sont alarmantes : 31% des adolescentes âgées de 15 à 19 ans et 35% des jeunes femmes de 20 à 24 ans ne disposent pas d’un moyen de contraception moderne. Cette situation est due à plusieurs facteurs, notamment l’insuffisance de la demande et de l’offre de services, ainsi que des ruptures fréquentes de produits contraceptifs dans certaines régions du pays.
Pourtant, les enjeux sont considérables. Une bonne planification familiale permet aux femmes de mieux espacer leurs grossesses, de réduire les risques pour leur santé et celle de leurs enfants, et de contribuer au développement socio-économique du pays.
Face à cette situation, le gouvernement camerounais s’est engagé dans le cadre de FP2030 à augmenter le taux de prévalence contraceptive moderne (TPCM) et à réduire les besoins non satisfaits en matière de planification familiale. Plusieurs stratégies sont mises en œuvre pour atteindre ces objectifs, notamment le renforcement des campagnes de sensibilisation, l’amélioration de l’accès aux services de planification familiale et l’intégration de la planification familiale dans les programmes de développement.
Pourquoi cette situation est-elle préoccupante ?
En ce qui concerne la santé des femmes et des enfants, les grossesses non désirées et rapprochées augmentent les risques de complications obstétricales, de mortalité maternelle et infantile. Développement socio-économique: Une population jeune et nombreuse peut freiner le développement économique d’un pays si les besoins en matière de santé et d’éducation ne sont pas satisfaits. Égalité des sexes: L’accès à la planification familiale est un élément clé de l’égalité des sexes, permettant aux femmes de prendre des décisions éclairées sur leur vie reproductive.
Quelles sont les solutions ?
La direction de la santé familiale du ministère de la santé publique souhaite renforcer la sensibilisation: Il est urgent de mener des campagnes de communication ciblées, en particulier auprès des jeunes filles et des communautés les plus vulnérables. Améliorer l’accès aux services: Il faut faciliter l’accès à des services de planification familiale de qualité, notamment en renforçant les capacités des professionnels de santé et en assurant une disponibilité régulière des produits contraceptifs. Intégrer la planification familiale dans les programmes de développement: La planification familiale doit être considérée comme un élément essentiel des programmes de développement, notamment en matière de santé, d’éducation et d’autonomisation des femmes. Impliquer les hommes: Les hommes ont un rôle important à jouer dans la promotion de la planification familiale. Il est nécessaire de les sensibiliser aux enjeux et de les encourager à soutenir leurs partenaires.
La planification familiale est un enjeu de santé publique majeur qui nécessite une mobilisation de tous les acteurs : gouvernement, société civile, secteur privé et communautés. Il est essentiel de renforcer les efforts pour améliorer l’accès à la planification familiale et de garantir à chaque femme le droit de choisir librement le nombre et l’espacement de ses enfants.
Mireille Siapje
« En permettant aux familles de mieux planifier leur avenir, la planification familiale contribue à améliorer leur qualité de vie et à favoriser le développement durable. »
Quel est le contexte et la justification de la tenue de ces travaux ?
Il s’agit de la deuxième réunion de notre sous-groupe familial à la direction de la santé familiale au ministère de la Santé publique. C’est une réunion qui regroupe des partenaires et les sectorielles, toutes les parties prenantes comme le MINESUP, le MINESEC, le MINAS, le MINJEC qui sont parties prenantes dans l’implémentation des différentes stratégies de la planification familiale au Cameroun. Et ça nous sert aussi de plaidoyer pour la mobilisation des ressources multiformes. Ici, on partage les idées, on élabore les stratégies et les priorités en matière de planification familiale au Cameroun. C’est une réunion qu’on tient tous les trois mois et là dans cette réunion nous évaluons toutes les activités qui ont été menées pendant le trimestre précédent, et ça nous sert aussi de plateforme pour planifier les activités pour les mois à venir. Aussi, c’est pendant cette réunion que nous arrivons à élaborer les messages pour les sensibilisations de nos communautés en matière de planification familiale.
Alors…quels sont les résultats du premier semestre de l’année 2024 ?
Les résultats du 1er semestre sont palpables. D’abord, nous nous sommes attelés à la sécurisation des produits de contraception, la sécurisation des produits de la santé de la reproduction en générale et de la planification familiale en particulier. Comme vous avez vu pendant la projection des différentes présentations, il y a quand même de plus en plus dans les régions pilotes du centre et du littoral une augmentation de la sensibilisation, il y a des formations sanitaires qui offrent de plus en plus des prestations en planification familiale. Il y a quand même la distribution de nos produits de la santé de la reproduction au dernier kilomètre : c’est-à-dire que ça arrive à la formation sanitaire et à la communauté où les différents bénéficiaires peuvent venir se servir. Ça veut dire qu’il y a des besoins exprimés en matière de planification familiale, et il y a des produits pour satisfaire ces besoins-là. Nous voyons de moins en moins les mauvaises pratiques donc ça veut dire que les gens connaissent un peu plus les différents points où ils peuvent trouver ces produits-là. Donc nous sommes en train de faire renaitre la planification familiale qui a sombré pendant un certain temps à cause de différents facteurs dont la Covid. Aujourd’hui, nous pouvons constater la prise de conscience accélérée de toutes les parties prenantes comme vous l’avez vu, du fait de notre sensibilisation, de notre plaidoyer et bien d’autres. C’est dire que, tous les partenaires et toutes les parties prenantes reviennent, sur la plateforme pour que nous puissions faire chemin ensemble pour la réussite de la planification familiale au Cameroun.
- le Directeur, comment définissez-vous le planning familial ?
La planification familiale, c’est tout simplement le choix pour chaque couple de décider quand avoir des enfants, combien d’enfants avoir, et dans quelles conditions. Il s’agit de pouvoir espacer les naissances pour assurer le bien-être de la mère et des enfants, et pour permettre à chaque famille de construire un projet de vie adapté. Les méthodes contraceptives et les conseils médicaux sont mis à disposition pour aider les couples à faire ces choix en toute connaissance de cause.
La planification familiale n’est pas la limitation des naissances. Non ! C’est une approche de santé qui offre aux couples la possibilité de choisir librement le nombre d’enfants qu’ils souhaitent avoir et l’espacement entre les naissances. Ce choix est essentiel pour préserver la santé de la mère et des enfants, en réduisant les risques liés aux grossesses rapprochées ou non désirées. En permettant aux familles de mieux planifier leur avenir, la planification familiale contribue à améliorer leur qualité de vie et à favoriser le développement durable.
Dans le passé, il y avait de grandes campagnes de sensibilisation autour du planning familial. Mais depuis quelques années on se rend compte que celles-ci ont chuté .Que s’est-il passé ?
Les facteurs sont multiples. D’abord, il y a une résistance socioculturelle importante à surmonter. Les idées reçues, les tabous et les croyances limitantes concernant la planification familiale sont profondément ancrés dans certaines communautés. Il faut donc mener des campagnes de communication efficaces pour modifier les comportements et les attitudes. La pandémie de Covid-19 a également exacerbé cette situation en interrompant l’accès aux services de santé et en renforçant les craintes liées à la santé reproductive.
Par ailleurs, le manque de ressources financières a freiné les efforts de sensibilisation et de mise en œuvre de programmes de planification familiale. Les partenaires techniques et financiers ont un rôle crucial à jouer pour combler ce déficit.
Enfin, les facteurs économiques ne sont pas négligeables. Même si la plupart des méthodes contraceptives sont gratuites, certaines barrières financières subsistent, notamment pour l’achat de produits d’hygiène intime ou pour se rendre dans un centre de santé.
Pour remédier à ces difficultés, il est essentiel de renforcer les campagnes de communication, d’adapter les messages aux réalités locales et de mobiliser l’ensemble des acteurs de la santé reproductive. Il faut également travailler en étroite collaboration avec les communautés pour lever les obstacles socioculturels et renforcer la confiance dans les services de planification familiale.
Parlant de sensibilisation, quelles stratégies comptez-vous adopter pour vous déployer sur le terrain ?
Pour déployer notre stratégie de communication, nous allons nous appuyer sur la structure existante de notre système de santé. Cela implique une collaboration étroite entre les niveaux central, régional et local. Au niveau central, nous élaborerons des messages clés et des outils de communication (affiches, vidéos, etc.) qui seront adaptés aux différentes régions et groupes de population. Au niveau régional, ces messages seront diffusés à travers divers canaux : médias (radio, télévision), événements communautaires (réunions, églises), et interactions directes avec les populations. Au niveau local, les agents de santé et les organisations de la société civile joueront un rôle essentiel dans la sensibilisation des communautés, en particulier des jeunes. Nous mettrons en place des groupes de discussion pour mieux comprendre leurs besoins et leurs préoccupations, et nous formerons des pairs éducateurs pour toucher un public plus large.
Nos objectifs sont multiples : Modifier les attitudes et les comportements en matière de planification familiale en luttant contre les idées reçues et les tabous. Renforcer l’accès à l’information sur les méthodes contraceptives et leurs avantages. Améliorer l’accès aux services de planification familiale en réduisant les barrières géographiques, financières et socioculturelles.
Pour mesurer l’impact de nos actions, nous suivrons des indicateurs clés tels que: Le taux d’utilisation de méthodes contraceptives modernes Le nombre de consultations prénatales. Le nombre d’accouchements assistés par un personnel qualifié En impliquant tous les acteurs concernés et en adaptant nos messages aux spécificités de chaque région, nous sommes convaincus de pouvoir atteindre nos objectifs et d’améliorer la santé reproductive des populations.
Quelles sont les indicateurs qui vous permettront d’évaluer vos actions sur le terrain ?
Nos objectifs en matière de planification familiale sont les suivants :
Réduire les besoins non satisfaits en contraception moderne: Nous visons à faire passer ce taux de 23% à 10% d’ici 2030. Cela signifie que nous voulons que toutes les femmes qui souhaitent utiliser une méthode contraceptive moderne puissent y accéder facilement.
Augmenter la prévalence contraceptive: Nous souhaitons porter le taux de femmes utilisant une méthode contraceptive moderne de 15,5% à 35% d’ici 2030.
Réduire la mortalité maternelle: Notre objectif est d’aligner nos efforts sur les recommandations de l’OMS et de faire passer le taux de mortalité maternelle de 405 à 140 décès pour 100 000 naissances vivantes d’ici 2030.
Ces indicateurs nous permettront de mesurer l’impact de nos actions et d’ajuster nos stratégies si nécessaire. En d’autres termes, nous voulons que chaque femme ait le choix de planifier sa famille et de bénéficier de services de santé reproductive de qualité. En atteignant ces objectifs, nous contribuerons à améliorer la santé maternelle et infantile, à renforcer l’autonomisation des femmes et à favoriser le développement socio-économique.
Un mot pour la fin ?
Je lance un appel à tous les acteurs impliqués pour qu’ils soutiennent nos efforts visant à promouvoir la planification familiale au Cameroun. Cette approche est essentielle pour réduire de manière significative la mortalité maternelle, en contribuant à hauteur de 33 à 40% à sa diminution. En investissant dans la planification familiale, nous améliorons la santé des femmes, la qualité de vie des familles et, par conséquent, le développement de notre pays.
Interview réalisée par Mireille Siapje
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