Pr Marie Patrice Halle : « « Nous avons environ 8% de patients qui ont une assurance maladie» »
Dans cette entrevue, la Néphrologue en chef de l’hôpital général de Douala, déplore le faible pouvoir d’achat des camerounais, et donne les raisons de l’augmentation des cas des maladies rénales chroniques au Cameroun.
Le 09 mars 2023, l’hôpital général de Douala a marqué à sa façon la journée mondiale du rein à travers un ensemble d’activités, qu’est ce que l’on peut retenir aux termes de cette journée ?
Le 09 mars dernier, nous avons célébré la journée mondiale du Rein. Cette année c’est tombé le 09 mars, mais cette journée se célèbre tous les deuxièmes jeudi du mois de mars depuis 2006. C’est une initiative conjointe de la Société Internationale de Néphrologie et de la Fondation Internationale du Rein ; elle a pour objectif d’attirer l’attention de tous : des populations, des pouvoirs publics, sur le problème que constituent les maladies rénales dans le monde, plus spécifiquement la maladie rénale chronique, qui est un véritable problème de santé publique. On pense aujourd’hui qu’il y a environ 850 millions d’adultes dans le monde qui sont atteints d’une maladie rénale chronique. C’est une affection qu’on peut prévenir, et qu’on peut dépister à temps et traiter. Mais malheureusement beaucoup de patients n’en bénéficient pas et il y en a qui vont se retrouver au stade terminal de la maladie et auront besoin d’un traitement de suppléance rénale. Donc le but de cette journée, c’est vraiment d’attirer l’attention de tous sur ce fléau, organiser des événements dans le but de sensibiliser, de prévenir, de dépister afin de réduire le nombre de patients atteints. Le thème cette année, était : « la santé rénale pour tous, se préparer à l’inattendu et protéger les personnes vulnérables » et quand on pense aux personnes vulnérables c’est tout de suite nos patients et le but c’était d’essayer de les préparer aux situations inattendus comme les épidémies tel que la Covid-19, les catastrophes naturelles etc.. Donc le 09 mars dernier a l’hôpital général de Douala nous l’avons célébré, avec nos patients autour d’une danse sportive, un cours de secourisme avec les sapeurs pompiers, ensuite une causerie éducative. Dans notre service qui a le plus grand centre d’hémodialyse le plus ancien dans le Cameroun a région et l’unique centre publique de la région du Littoral, nous avons actuellement 304 malades en dialyse chronique environ 200 ont participé à tous ces événements. Tout le monde ne pouvait pas participer, beaucoup devaient continuer leur soins et d’autres pour des raisons physiques ne pouvaient pas être avec nous. Parmi le personnel une trentaine de était présente y compris les collègues des autres services.
De plus en plus de personnes sont vulnérables aux maladies rénales, qu’est ce qui justifie cette situation ?
Les maladies rénales sont un vrai problème de santé publique dans le monde et depuis quelques décennies, les chiffres ne font qu’augmenter malgré tout ce qui est fait. La principale raison c’est l’augmentation des principaux facteurs de risques. Notamment le diabète, l’hypertension artérielle… La deuxième raison, c’est que les gens vivent plus longtemps, l’âge étant un facteur de risque. Il y a l’obésité qui est la mère de l’hypertension artérielle, du diabète et qui est en même temps un facteur de risque propre de la maladie. Une particularité au Cameroun qui connaît aussi une nette augmentation de cette pathologie, c’est les comportements à risque et la consommation des nephotoxiques, et je pense ici à l’automédication, aux médicaments de provenance douteuse, aux tisanes…. On a la mauvaise hygiène de vie, la malbouffe qui est le nid de l’obésité. Autre chose, c’est la pauvreté qui est un facteur de risque. Ça été démontré que le faible pouvoir économique expose les patients à la maladie rénale chronique. Il y a aussi l’absence de dépistage et prise en charge précoce des patients. Nous avons des malades qui vont entrer en dialyse sans bénéficier au préalable d’une prise en charge adéquate, pourtant il ya des situations qu’on pourrait stabiliser pendant longtemps.
Statistiquement, quel est l’état des lieux des maladies rénales au niveau national et particulièrement à l’hôpital général de Douala ?
Au niveau national on pense aujourd’hui qu’on a environ entre 2,5 millions et 3 millions de personnes qui sont atteintes de maladies rénales chroniques. Globalement dans les papiers que nous avons publiés, la prévalence de la forme chronique se situe entre 11 et 14%. Et pour la forme aiguë, les études sont essentiellement hospitalières, on les varie entre 28 et 38%. Pour les malades en dialyse, sur le territoire national, on a au moins 1200 patients répartis dans les 10 centres publics. A l’hôpital général de Douala, la file active est de 304 malades en mars 2023 et globalement, nous faisons 550 séances de dialyses par semaine : c’est des chiffres qui augmentent continuellement et vont continuer à augmenter tant que nous restons le seul centre public de la région.
Quelles sont d’après vous les dispositions prises au niveau national, mais surtout à l’hôpital général pour la prise en charge de ces patients ?
La prise en charge a connu dans notre pays, une nette amélioration sur la décennie et l’Etat met beaucoup de moyens pour la prise en charge de ces patients. Concernant, la maladie rénale chronique, il faut savoir qu’elle a une évolution, très silencieuse. Elle n’a pas de symptômes habituellement, les symptômes lorsqu’ils apparaissent, sont tardifs. Certes on a quelques signes précoces, mais globalement c’est un tueur silencieux et le dépistage devrait être systématique chez le patient à risque. Et une fois dépisté, le patient est référé chez le néphrologue pour sa prise en charge. Les néphrologues au Cameroun sont présents dans la plupart des régions. La maladie rénale va évoluer en cinq stades et le dernier stade est celui qui est le plus connu : c’est le stade terminal donc le patient a besoin d’un traitement de suppléance rénale dont l’hémodialyse. Ce que je voudrais préciser c’est que le stade précoce est pris en charge par les néphrologues, est essentiellement médical et le malade peut guérir de sa maladie si la cause est curable, ou alors le néphrologue a la possibilité et la capacité de stabiliser la maladie, de limiter la progression de la maladie dans le temps vers le stade terminal. Si la maladie a été découverte tardivement le néphrologue va préparer le patient au traitement de suppléance rénale parce que le rein est presque mort qui est chez nous hémodialyse ou la transplantation rénale. L’Etat met beaucoup de moyens pour la prise en charge de ces patients, et comme je le disais tantôt, la spécialité a connu un grand développement. Il y a une quinzaine d’années nous étions orphelins, avec un maximum de cinq néphrologues sur le territoire national. Sur le plan de la formation je crois qu’en 2012, on a ouvert le cycle de spécialisation de néphrologie à la faculté de médecine de sciences biomédicales de l’Université de Yaoundé. Donc aujourd’hui on a beaucoup de spécialistes, même si ce n’est pas toujours suffisant, parce qu’il y a encore des régions qui n’ont pas assez de néphrologues. Mais on a au moins une trentaine, voire plus de néphrologues sur le territoire national. La deuxième chose pour la prise en charge, c’est que l’hémodialyse est subventionnée par l’Etat depuis 2002. Le cout réel de la séance de dialyse coûte 100 000 Fcfa, mais le patient paye par séance 5000Fcfa, et ceci deux fois par semaine. Ce qui veut dire que l’Etat prend en charge 95000 F par séance par patient. A l’hôpital général, l’Etat nous octroie 1 milliard de FCFA de subvention et ça ne suffit pas. L’hôpital finance aussi sur fond propre et contribue énormément à l’amélioration et à la continuité des soins de ces patients. Je saisis cette occasion pour transmettre la reconnaissance des patients et du personnel à l’endroit d’abord de l’Etat, du ministère de la Santé publique (Minsanté) et de l’équipe managériale de l’hôpital général de Douala, qui depuis quelques années, met à notre disposition toutes les consommables et bien d’autres afin d’assurer la continuité des soins des patients en hémodialyse. Nous n’avons pas connu d’arrêt de soins ou une discontinuité des soins depuis au moins 5 ans, malgré la surcapacité du centre. Revenu aux patients, les 5000F que paye le patient ne couvrent que la séance de dialyse, et malgré tous ces efforts, les coûts accessoires ne sont pas pris en charge et ils sont élevées. Nous avons fait un travail qui a été publié en 2019 et qui évalue le coût de la prise en charge en hémodialyse et on s’est rendu compte que le coût accessoire par patient s’élevait a près de 200000FCFA par mois et ceci à vie. Alors combien de Camerounais peuvent payer ces soins pendant longtemps s’ils ne sont pas assurés ? Voilà le drame quand on sait qu’au Cameroun, nos patients sont relativement jeunes, donc il y a encore des efforts à faire dans ce sens.
Est-ce que les dons de rein sont courants à l’hôpital général si oui ou non pourquoi ?
La transplantation rénale est une modalité thérapeutique à côté de la dialyse, pour la prise en charge de l’insuffisance rénale chronique terminale. C’est d’ailleurs le traitement curatif. Donc si on veut guérir de cette maladie, il faut recevoir un rein. Et au Cameroun, actuellement à l’hôpital général de Douala elle n’est pas pratiquée. Mais la transplantation rénale existe bel et bien au Cameroun et plus précisément à l’hôpital général de Yaoundé, et nous travaillons en collaboration.
Quelles sont les difficultés que rencontrent les néphrologues au Cameroun ?
Nous avons beaucoup de difficultés et la principale, c’est la charge du travail. Il nous faut encore plus de néphrologues. La spécialité est de plus en plus connue. Les médecins sont formés et la maladie est de plus en plus détectée et le nombre de patients augmente. Même si nous déplorons encore le fait que plus de la moitié de nos patients sont référés tardivement. L’Etat a développé le traitement de suppléance rénale, c’est-à-dire l’hémodialyse et la transplantation, donc les malades vivent de plus en plus longtemps. Si les ressources humaines ne suivent pas, nous nous écroulons sous le poids du travail. Jusqu’à l’heure actuelle, il y a des régions qui ne sont pas encore couvertes de façon optimale, il y a même des régions qui n’ont pas de néphrologues. A titre d’exemple, depuis deux mois, c’est l’hôpital général qui apporte son appui technique au démarrage centres régionaux de N’Gaoundéré et de Bafoussam. Les grandes métropoles comme Yaoundé et Douala sont relativement bien lotis, mais le besoin est toujours là surtout dans les centres régionaux. La deuxième difficulté c’est le Burn-out, le stress que nous avons au quotidien ; c’est très difficile de prendre en charge les malades qui n’ont pas la possibilité et les moyens financiers pour se soigner de façon optimale, c’est parfois très frustrant de voir les patients en dialyse et ne pas pouvoir leur proposer une porte de sortie.
Comment savoir que l’on souffre d’un problème lié au rein ?
La maladie rénale a une évolution très silencieuse vers le stade terminal. Cependant, il y a quand même certains signes d’alertes qu’on peut exploiter comme les œdèmes. on peut aussi avoir les urines qui moussent qui est le témoin d’une grande quantité d’albumine dans les urines. Un signe aussi qu’on exploite très peu chez nous c’est l’apparition d’une hypertension artérielle, surtout celle-ci apparaît chez un sujet jeune. Les autres signes sont très tardifs et sont le témoins de la maladie avancée, c’est une fatigue extrême, l’anémie, une perte d’appétit, un dégoût pour la viande rouge et une somnolence le jour et l’insomnie. On va avoir aussi au stade avance des douleurs abdominales, les signes comme une gastrique, le hoquet, des vomissements, le malade urine peu, et plus tardivement on a d’autres signes neurologiques, qui peuvent aller de la confusion mentale à la convulsion et au coma. Ce sont des signes non spécifiques qui ne s’orientent pas tout de suite à l’arbre urinaire..
A quel moment intervient l’hémodialyse ?
L’hémodialyse est une modalité de suppléance rénale. C’est celle qui est la plus répandue, à côté de ça on a la dialyse péritonéale et la transplantation rénale. On propose la dialyse à ce patient qui est au stade terminal de sa maladie, associé au signe d’intolérance urémique ou hydrique. Mais avant cela on le prépare psychologiquement et médicalement dans la mesure du possible.
Quelles sont les méthodes de prévention ?
Éviter la maladie, c’est éviter les facteurs de risques. C’est-à-dire connaître les facteurs de risques, les éviter ou alors si on a un facteur de risque, il faut bien le traiter. Les facteurs de risque non modifiables, sont : l’âge avancée, le petit poids de naissance (prématurés), les facteurs génétiques, donc les antécédents familiaux, etc. on va plutôt insister sur les facteurs de risques modifiables que sont l’obésité, l’hypertension arterielle et le diabete. Une hygiene de vie, il faut bien s’alimenter, faire de l’exercice physique au moins trois fois par semaine, éviter les comportements à risque (alcool, tabac, médicaments de la rue, automédication), consulter les médecins et suivre ses prescriptions, tout ce qui est phytothérapie, attention prenez ce qui est agréé par le Minsanté. La jeunesse a un comportement à haut risque. La prévention c’est aussi se faire dépister, c’est-à-dire prendre sa pression artérielle, analyser ses urines et faire un dosage de la créatinine. Il faut bien s’hydrater, au moins 8 verres d’eau en moyenne par jour pour pouvoir uriner au moins un litre et demi par jour, etc.
D’après vous les dispositions mises en place par le gouvernement sont-elles suffisantes ?
L’Etat fait beaucoup. S’il y a une spécialité, qui a connu un développement rapide, c’est la néphrologie et plus particulièrement l’hémodialyse et maintenant la transplantation rénale. Cependant, il y a encore beaucoup à faire, et nous pensons que l’Etat va continuer à accompagner cette spécialité. Mais nous avons espoir et nous pensons que ce sera fait.
Malgré tout, pensez-vous que les Camerounais disposent de suffisamment de moyens pour assurer un bon traitement ?
Non, sans hésiter. Pour ne parler que de l’hémodialyse, j’ai dit qu’il faut débourser en moyenne 200000 FCFA par mois pour rester en vie et très peu de Camerounais le peuvent. Dans les travaux que nous avons faits, environs 8% de patients ont une assurance maladie. Seuls ceux-là peuvent se permettre les soins adéquats pour le reste c’est difficile. En conséquence la mortalité est élevée, à cause de la pauvreté. Même ceux que nous voyons en néphrologie clinique, beaucoup ne respectent pas leur rendez-vous faute de moyens financiers. Donc la santé coûte chère et n’est pas a la portée de la plupart des camerounais sans couverture santé.
Que pensez-vous de la couverture santé universelle ?
Elle sera la bienvenue parce que c’est ce qu’il nous faut pour que les malades soient soignés de façon adéquate. Elle va soulager le patient, elle va soulager le soignant, parce que la prise en charge financière sera faite par un organisme. En principe, c’est via la couverture santé universelle que l’on peut faire une prise en charge adéquate des patients.
Un dernier conseil…
Je dirais au grand public de protéger ses reins, qui sont des organes vitaux. Le rein est le principal régulateur de l’organisme. Il faut se battre au quotidien pour avoir une bonne santé rénale parce qu’ une fois qu’on l’a perdu, on a perdu sa santé pour toujours, parce qu’il y aura un impact sur tout votre organisme. Comme on l’a dit tantôt, la prise en charge est très coûteuse et la mortalité élevée. Donc, battons-nous, pour avoir une bonne hygiène de vie. Allons-nous faire dépister chaque année si on a plus de 40 ans et/ou si on a un antécédent familial ou en présence d’un des facteurs de risques majeurs tel que l’hypertension artérielle et le diabète ; le dépistage ne coûte pas plus de 10000 FCFA/an.
Propos recueillis par Ghislaine DEUDJUI