Dr SALIHOU SADOU : « Rendre la CENAME une Centrale de référence en Afrique dans les 5 prochaines années »

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Directeur Général, de la Centrale Nationale d’Approvisionnement en Médicaments et Consommables Médicaux Essentiels (CENAME), il passe au scanner les 15 mois passés à la tête de cette institution ultra importante dans le circuit du médicament. Il décline par la même occasion, les différents challenges et objectifs qui l’attendent, pour faire sortir ladite institution des crises qui l’ont longtemps secouées par le passé.

Monsieur le Directeur Général, près de 15 mois après votre installation à la Direction Générale de la Centrale Nationale d’Approvisionnement en Médicaments et Consommables Médicaux Essentiels en abrégé CENAME quel bilan faites-vous ?

 Bonjour M. Mbeng Boum et merci de m’accorder cette interview qui je l’avoue, est le premier du genre depuis que le Chef de l’Etat par Décret du 6 janvier 2022 m’a porté à la tête de cette institution. Avant de vous répondre, permettez-moi de faire un tour d’horizon sur la situation que nous avons héritée et les différentes articulations qui ont meublé mon séjour depuis le 17 juin 2022, date de mon installation.

Comme vous le savez bien, nous arrivons à la CENAME dans un contexte de crise généralisée. Crise Institutionnelle entre les différentes instances dirigeantes, crise financière où la Centrale ne dispose pas d’une trésorerie capable de répondre aux besoins en médicaments, crise économique avec un très faible niveau de stock de médicaments essentiels, et même une crise sociale caractérisée avec des revendications sociales diverses entre autres. Et la cerise sur le gâteau étant la rétrogradation de la CENAME  en tant qu’établissement public de la 3ème à la 5ème  catégorie par arrêté du 03 janvier 2023 du Ministre des finances. Il faut dire que cette catégorisation basée sur la performance des EPA intervient tous les 3 ans et impacte sur les revenus des dirigeants. Ma nomination survient donc dans ce contexte d’austérité dans la maison. En clair, il fallait vite se déployer.

Maintenant concernant les actions prises et pour répondre à votre question, dès ma prise de service, fort opportunément, un groupe de travail interministériel chargé d’examiner les modalités de redressement et de relance de la CENAME instruit par le Chef de l’Etat et sous la coordination  du Premier Ministre, Chef du Gouvernement s’est mise en place, a travaillé et a rendu sa copie au bout de trois mois à la très haute hiérarchie. Le diagnostic fait de la CENAME se résume pour l’essentiel en  problèmes Institutionnel, organisationnel, technique, opérationnel, financier et comptable. Ainsi, il apparaît clairement que sur le plan Institutionnel, le statut actuel de la CENAME qui est assujetti aux procédures de comptabilité publique s’avère incompatible avec nos activités. Il en est de même de la non spécificité des marchés des médicaments et des délais qui constituent des blocages majeurs pour la relance. A titre d’illustration, un taux d’exécution de 3% de marché de médicaments a été enregistré en 2022 à la CENAME avec fort impact sur la performance. D’autres aspects concernent les questions financières avec une faible trésorerie consécutive et un taux de marge faible qui ne contrebalance pas les charges incompressibles et l’ absence de subventions de toutes sortes. A ces questions s’ajoutent les problèmes de vétusté de nos installations et équipements, la question de dettes et créances élevées, surtout celles concernant les programmes de santé prioritaires, et le faible taux de technicité etc…. Entre autres.

Une fois la mission terminée nous n’avons pas croisé les doigts devant tous les challenges à relever surtout connaissant les pesanteurs qui existent dans le circuit des dossiers dans notre administration. Sur le  plan Institutionnel, une relance de la procédure de révision du statut de la CENAME  entamé en 2021 dans les services  du PM a été demandé à la faveur d’un document remis lors de l’audience à nous accordé, par M le Premier Ministre dans ses services le Mercredi 14 juin 2022. Le dossier suit son cours. Par la même occasion, il a été préconisé de mettre en urgence une procédure spécifique pour  les marchés des médicaments afin de permettre d’améliorer le faible taux d’infructuosité  et leurs  délais d’exécution relativement longs. A cet effet, une proposition de texte  portant sur les marchés spécifiques du médicament a été transmis au MINMAP à l’effet de pouvoir faciliter les procédures d’acquisition des médicaments essentiels par la CENAME.

Sur les prix en vigueur des médicaments à la CENAME qui apparaissent aussi comme un autre facteur limitant de poids car datant de 2014, et compte tenu de ce que le gros des stocks est issu des importations donc tributaire des prix pratiqués sur le marché mondial, et malheureusement fortement impactés ces derniers temps par les crises sanitaires  et sécuritaires mondiales, une réévaluation des prix d’acquisition des médicaments a été opérée et validée par le conseil d’administration. Reste sa prise en compte par la commission d’homologation du Mincommerce qui est en cours. Cette révision à coup sûr va renforcer l’attractivité des appels d’offres et par ricochet les stocks de médicaments essentiels à acquérir.

A la faveur d’une résolution du conseil d’administration des comptes du 4 juillet 2022, nous avons renforcé le taux de technicité de chaine financière de la CENAME par la mise à disposition de 2 comptables chevronnés qui auront permis d’avoir une mise à jour des procédures comptables et la validation des comptes de l’exercice 2022 avec un excédent budgétaire positif de 266 millions. Sur le plan financier et comptable, les travaux que nous avons engagés avec le MINFI et le MINEPAT sous l’œil vigilant du Minsanté, sur la question du financement du médicament ont abouti à la signature d’une correspondance récente du Ministre des finances nous informant de la mise sur pied très prochainement d’un groupe de travail qui va examiner les modalités  de financement de la CENAME à hauteur de 3 milliards sur la période 2024-26. Parallèlement, le même Ministre des finances en date du 19 septembre dernier a pris une décision de mandatement de 600 millions à la CENAME eu égards à ces difficultés de règlement de la dette fournisseurs et de l’achat en urgence des médicaments essentiels  au titre de l’exercice budgétaire 2023. C’est d’ailleurs le lieu pour moi de remercier  le chef du Gouvernement et toutes  les sectorielles œuvrant pour la relance de la CENAME surtout en circonstances financières  tendues.

D’autres dossiers financiers en examen au Minfi  et dont l’aboutissement est attendu notamment les arriérés des frais de gestion du programme onchocercose situé à plus de 3 milliards et transmis par la tutelle technique, les reliquats de payements  de la dette par l’AFD en 2018 de 800 millions et bien d’autres. Sur les questions de d’acquisition de médicaments essentiels, et nonobstant le taux d’infructuosité élevé pour les questions évoquées plus haut, il s’avère important de souligner le bon partenariat établi avec un fabricant local de médicaments qui a mis à disposition les médicaments d’une valeur de près de 300 millions avec payements échelonnés. Ce qui aura permis de redonner de l’espoir à nos principaux clients. Mais il faut dire que ce n’est pas encore la belle embellie attendue, qui ne pourra s’améliorer qu’avec le stricte respect de nos engagements, encore ralentis par les lenteurs observées dans les procédures internes de la comptabilité publique.

Sur les prestations des programmes prioritaires de santé notamment Sida,TB et Paludisme, il faut dire que ces  obligations contractuelles sont honorées à plus de 90% et  se résument en stockage dans nos magasins et distribution de ces produits sur l’ensemble du territoire national. Il en est de même pour d’autres programmes de santé  utilisant la CENAME pour les mêmes activités. Face aux difficultés liées au non payement des frais de gestion dans les délais impartis, un groupe de travail  constitué des responsables de la CENAME, des programmes de santé et de leur coordination, a été mis sur pied à l’effet d’harmoniser les factures en instances  en vue de leur apurement d’ici fin 2023. A titre de rappel, les dettes du CNLS se totalisent à plus de 2 milliards CFA pour les programmes sous financement du fonds mondial.

Sur d’autres questions, nous nous sommes mobilisés autour de  plusieurs partenaires et avons sollicité leur accompagnement pour  nos activités prioritaires notamment le cas de  l’UNFPA qui a mobilisé environs 104 et 123 millions CFA en 2022 et 2023 respectivement, le fonds mondial pour le renforcement de la chaine de froid en cours, Chemomics qui a renforcé la logistique dans les magasins récemment par la mise à disposition  d’un stock substantiel en équipement de magasinage, le Minsanté par la banque islamique de développement dont le projet de réhabilitation de trois magasins de la CENAME est en cours de finalisation, etc.

Donc au regard de tout ce qui a été dit et sans avoir la prétention de s’auto évaluer, nous pensons que parti de loin, il y a lieu de dire  que la mission qui m’a été assignée, certes est difficile au vu des défis et de  l’environnement, beaucoup d’efforts ont été consentis par l’équipe que je dirige, et une grande lueur d’espoir se profile désormais à l’horizon pour une relance définitive des activités de la Centrale.

Où en êtes-vous avec le plan de redressement de cet Etablissement Public à caractère technique ?

 Le groupe de travail chargé d’examiner les modalités de redressement et de relance de la CENAME, qui a travaillé du 1er juillet au 30 septembre 2023 a justement élaboré le document attendu, a soumis son rapport depuis lors. Une séance de travail s’en est suivi dans les services de la PRC sur la question en février dernier. Nous pensons qu’à cette ultime étape de validation et compte tenu du caractère spécial de ce plan, il y a fort à parier qu’il est en bonne voie.

 Qu’en est-il de la dette ? L’Etat du Cameroun et les autres partenaires ont-ils soldés ?

 Un cabinet d’expertise comptable commis à l’effet d’auditer les dettes et créances, nous a permis de consolider la situation à date. Sur les dettes fournisseurs, la publication du comité de la dette flottante 2000-2019 aura permis d’enrôler les fournisseurs débiteurs de la CENAME à plus de 80 %. Et bientôt les résultats de l’audit du MINFI permettrons de connaître les dettes reprises par l’Etat. Pour les autres dettes, prestataires en général, la CENAME les apure selon les disponibilités financières.

Sur les créances, il faut dire que c’est un chemin de croix entre les programmes prioritaires de Santé publique, les FRPS et les hôpitaux /fosas. Si certains de ces débiteurs éprouvent des difficultés à honorer à leurs engagements, c’est principalement dû au fait que ces créances  datent  et les nouveaux dirigeants règlent les créances récentes en priorité surtout que celles-ci traversent des difficultés financières. A la faveur d’une mission récente auprès des principaux débiteurs suivi d’un atelier de partage et de sensibilisation avec les concernés, un plan de recouvrement a pu être élaboré pour le recouvrement de certaines créances en 2023, la CENAME ne disposant pas du privilège du trésor. Pour les programmes de Santé, c’est essentiellement un problème de communication et de suivi. Un groupe de travail a été mis en place récemment impliquant toutes les parties prenantes avec pour objectif le recouvrement de 2 milliards CFA d’ici fin décembre 2023. Parallèlement une mission d’Inspection a été prescrite par le MINSANTE à l’effet de clarifier la situation des  fonds de contrepartie 2015 de 1,5 milliards non reversés à la CENAME.

Enfin et toujours en rapport avec les dettes et créances en instances, des correspondances ont été adressées au MINFI aussi bien par les FRPS que par la CENAME via notre tutelle technique, pour leur prise en compte dans le prochain comité de la dette flottante de l’État.

 Quelle est la situation de la trésorerie de la CENAME ?

Consécutivement à tout ce qui a été dit précédemment, on peut dire que notre trésorerie est virtuellement très fournie, au vu de tout ce qui est attendu. Mais à la vérité ce qui est important dans ce système pharmaceutique d’approvisionnement est la confiance que vous accordent  les fournisseurs, le respect de vos engagements, et  l’accompagnement de l’Etat et des partenariats.

Avez-vous regagné la confiance de vos fournisseurs ?

 On peut dire que seuls les intérêts régissent les relations entre fournisseurs et nous. A ce jour la plupart de ces fournisseurs ne demandent qu’à revenir, surtout pour ceux dont les factures ont été enrôlées dans le comité de la dette flottante 2000-2019 avec bon espoir d’être payés. Sauf que d’autres facteurs militent en faveur de leur désistement notamment les prix d’achat en vigueur peu attractifs, les exigences de la comptabilité publique et les contraintes des procédures des marchés publics.

Arrivez-vous à nouveau à satisfaire les besoins de vos clients à savoir les  fonds régionaux pour la promotion de la santé et les hôpitaux ?

 La problématique de la satisfaction est intimement liée aux problèmes structurels et fonctionnels entres les différents acteurs. La Centrale n’ayant pas de lien hiérarchique avec ses clients qui peuvent s’approvisionner à d’autres sources, il arrive que des produits acquis pourtant sur la base des données de distribution de ces acteurs arrivent à périmer à la CENAME et donc la Centrale est appelée à ajuster ses commandes et à solliciter d’autres acteurs voire même certaines fosas pour éviter les péremptions.

Mais de manière générale, les taux de satisfaction clients encore bas eu égards aux problèmes mentionnés plus haut tendent à remonter progressivement et nous pensons que dans les mois à venir nous pourrons atteindre la vitesse de croisière normale.

Comment envisagez-vous atteindre les objectifs que vous vous êtes fixés ?

Tout simplement en continuant de  faire montre de détermination, d’abnégation et  de collaboration avec les différents acteurs sur nos objectifs, (voie certes parsemée d’embûches) et à ne baisser les bras sous aucun prétexte. Nous sommes certains de voir la Centrale se hisser à un niveau continental acceptable.

Quelle est votre contribution dans l’implémentation de la Couverture santé universelle au Cameroun ?

L’importance de la CSU n’est plus à démontrer. Et le médicament reste au cœur de cette stratégie. La Centrale se prépare activement comme d’ailleurs tous les autres acteurs impliqués, à jouer pleinement son rôle surtout que nous sommes la seule structure pharmaceutique publique investie de la mission de garantir la qualité du médicament qu’elle distribue. « Yes we can ».

Quels sont vos challenges ?

Il est clair, il s’inscrit en plus dans notre vision à savoir de rendre la CENAME une Centrale de référence en Afrique dans les 5 prochaines années.

Que faire pour garantir un médicament essentiel et de qualité dans les hôpitaux camerounais ?

Faire respecter autant que faire se peut le circuit d’Approvisionnement officiel des médicaments essentiels qui commence à la CENAME et renforcer la régulation par l’intensification des descentes  des services techniques  compétents du Minsanté.

Entretien réalisé par Joseph Mbeng Boum

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