Covid-19 au Cameroun : Bilan de la phase 1 du programme SLL

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Plus de 3 milliards FCFA investis , 4 millions de Camerounais vaccinés . Acquis et défis du programme Saving Lives and Livelihoods.

En 2021, l’Afrique accusait un retard inquiétant dans la campagne mondiale de vaccination contre la Covid-19. Moins de 2 % de sa population d’1,22 milliard d’habitants était immunisée, alors que le continent représentait près d’un cinquième de l’humanité. Le Cameroun n’échappait pas à ce constat : confronté à la faible disponibilité des vaccins, à des défis logistiques et à une forte réticence de la population, le pays avait urgemment besoin d’appui technique et financier pour relever le défi de la couverture vaccinale.

Lancé en juin 2021 par Africa CDC et la Fondation Mastercard avec un budget total de 1,3 milliard de dollars visant 70 % de couverture vaccinale pour lutter contre la COVID-19 en Afrique, le projet Saving Lives and Livelihoods (SLL) a marqué une étape cruciale au Cameroun. La phase 1, achevée en mai 2023, a permis au pays de recevoir plus de 3 milliards de FCFA pour renforcer la logistique vaccinale, les centres de vaccination et l’engagement communautaire. Une évaluation de terrain, basée sur des entretiens avec les acteurs clés, révèle des avancées significatives, mais aussi des leçons pour la phase 2 en cours. Avec plus de 4 millions de personnes vaccinées, soit 11 % de la population, le Cameroun a franchi la barre symbolique des 10 %, passant d’une couverture initiale de 3 % en pleine pandémie.

Un contexte de vulnérabilité vaccinale

Avant l’arrivée du SLL en 2021, le Cameroun faisait face à une couverture vaccinale Covid-19 extrêmement faible, estimée à seulement 3 % de la population en mars 2020 (début de la pandémie au pays), avec d’importants défis logistiques et une adhésion limitée de la population. « On était en pleine pandémie de COVID, et les pays africains luttaient encore pour avoir accès au vaccin et aussi faire le déploiement au niveau des pays », explique le Dr Chalom TCHOKFE NDOULA, secrétaire permanent du Programme élargi de vaccination (PEV) au Cameroun. La capacité de stockage était limitée à 20 m³ pour les vaccins à température négative, et les pertes dues à des équipements vétustes étaient courantes. Simon ATANGANA, chef de la section logistique du PEV, ajoute : « Avant l’arrivée du projet SLL, nous étions à 35 % de disponibilité des équipements homologués sur le terrain, et il y avait beaucoup de pertes en vaccins parce que certains équipements étaient déjà vétustes ou non homologués. »

Progrès Logistiques et Infrastructuraux

La phase 1 du SLL, de 2021 à 2023, a marqué un tournant décisif. Grâce à l’appui d’Africa CDC, le Cameroun a reçu 159 réfrigérateurs installés dans les dépôts des districts de santé, triplant la capacité de stockage négatif et portant la disponibilité des équipements homologués à 45 %. « Ces 159 équipements nous ont permis de quitter 35 % pour arriver actuellement à 45 % de disponibilité », précise Simon ATANGANA. Deux camions frigorifiques ont été acquis, réduisant les délais de livraison de 21 à 7 jours pour les axes Est-Adamaoua-Nord-Extrême-Nord. Plus de 235 glacières ont été distribuées pour les situations d’urgence. Au total, plus de 4 millions de personnes ont été vaccinées, représentant 11 % de la population, franchissant la barre symbolique des 10 %. Plus de 200 000 doses ont été sauvées de l’expiration, et 945 157 doses administrées au niveau national via des stratégies mobiles et fixes.

L’engagement communautaire a été un pilier clé, avec la Croix-Rouge Camerounaise mobilisant des volontaires pour sensibiliser les populations. Renauld BODIONG, secrétaire général adjoint de la Croix-Rouge Camerounaise, souligne : « Notre rôle, le rôle des volontaires, c’était, en collaboration avec le ministère de la Santé, de faire venir les populations dans les centres de vaccination. Avant, il y avait beaucoup de préjugés, et nous avons travaillé sur l’engagement communautaire pour changer cette perception. » Grâce à des campagnes porte-à-porte et des partenariats avec des leaders religieux, la Croix-Rouge a contribué à administrer des milliers de doses, réduisant l’hésitation vaccinale. De 2021 à 2023, plus de 701 agents communautaires ont été mobilisés, et plus de 180 activités de proximité organisées.

Renforcement des Capacités Humaines

Le renforcement des capacités humaines a été massif. Plus de 253 personnes ont été formées à la logistique thermosensible, dont 20 au niveau central, 30 au niveau régional et 203 logisticiens de districts. « Si un prestataire est bien formé, cela permet également que les mamans ou les enfants qui viennent à la vaccination soient confiants », note Simon ATANGANA, chef de la section logistique du PEV-Cameroun. Le Global Health Systems Solutions (GHSS), partenaire d’implémentation, a formé 591 agents et déployé 609 équipes mobiles, administrant plus de 190 984 doses au Cameroun lors de la phase régionale entre 2022 et 2023. Le Dr Elvis TAJOACHE Amin, officier de monitoring et d’évaluation à GHSS, rapporte : « Nous avons été capables d’administrer plus d’un million de doses de vaccins en 5 mois dans la région, dont 190 984 au Cameroun, malgré l’arrêt abrupt du projet en mai 2023 suite à la fin de l’urgence Covid déclarée par l’OMS. » Au total, 11 030 activités mobiles ont été réalisées, et 1 063 272 doses administrées en Afrique centrale.

Avancées en Pharmacovigilance

La pharmacovigilance a également progressé. Le Dr Basile YABA, directeur de la pharmacie, des médicaments et des laboratoires au ministère de la Santé publique (MINSANTÉ), indique que la maturité du système de vigilances pharmaceutiques est passée du niveau 1 au niveau 2 selon l’outil GBT de l’OMS. « Ce projet a contribué à l’évolution de la maturité des vigilances pharmaceutiques. L’évaluation à mi-parcours positionne nos performances à 55 % », affirme-t-il. Des outils de notification des effets indésirables ont été révisés, et une surveillance active a été renforcée, avec un comité d’experts pour classer les cas.

Défis et Obstacles Rencontrés

Malgré ces succès, des défis ont émergé. La coordination entre partenaires a été complexe, avec des conflits de compétences et des doubles emplois. « Arriver à créer une complémentarité entre les intervenants qui avaient des objectifs similaires, mais qui à un moment créaient du double emploi, c’était un grand défi », confie le Dr Chalom TCHOKFE NDOULA. La saison des pluies a compliqué les livraisons, et l’hésitation vaccinale initiale a ralenti le déploiement. Anne-Laure Maïola, responsable des projets bilatéraux au Programme alimentaire mondial (PAM), partenaire pour la logistique, ajoute : « On parlait de la saison des pluies, qui est vraiment un défi majeur, et pour lequel on essaye de travailler avec le PEV à la planification à l’avance. »

Leçons Tirées et Recommandations pour la Phase 2

Les leçons tirées sont précieuses pour la phase 2. Le PEV insiste sur la co-création avec les acteurs locaux : « La co-création va permettre à ce que le pays garde sa structure d’un seul plan, d’un seul budget, d’une seule équipe. » GHSS indique : « Le désalignement entre priorités – enfants pour le ministère, adultes pour SLL – persiste. Nous ajustons via des micro-plans collaboratifs. » Renauld BODIONG recommande un soutien accru en logistique pour la Croix-Rouge : « Nous attendons beaucoup d’Africa CDC pour soutenir la Croix-Rouge Camerounaise en termes de logistique. » Le Dr YABA plaide pour une augmentation du budget : « Plaidoyer pour augmenter la cagnotte liée à la mise en œuvre des activités et assurer sa disponibilité continue. »

En conclusion, la phase 1 du SLL (2021-2023) a transformé la réponse vaccinale du Cameroun, sauvant plus de 200 000 doses d’expiration et renforçant le système de santé au-delà de la Covid-19. Avec une couverture passée de 3 % à 11 %, et des capacités logistiques triplées, le pays est mieux armé pour les futures urgences. La phase 2, axée sur l’intégration dans la vaccination routine, devra capitaliser sur ces acquis pour atteindre les objectifs continentaux. Comme le résume le Dr Chalom TCHOKFE : « Même en situation d’urgence, la fonction principale de notre programme doit être préservée. » Un partenariat synergique reste la clé du succès.

Mireille SIAPJE

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