Choléra – Sa récurrence souligne des écarts de développement dans notre pays

10
213

Les épidémies de choléra constituent une conséquence de pratiques inadéquates d’approvisionnement en eau, d’assainissement, de sécurité alimentaire et d’hygiène.

Les robinets d’eau sont secs. Les ménages, les établissements hôteliers, les hôpitaux désemparés. Lara Adama est obligée de creuser pour trouver de l’eau provenant du lit d’un fleuve asséché à Dumai, dans le Nord du Cameroun. C’est l’un des fleuves qui se jetaient d’habitude dans le lac Tchad en rétrécissement, mais il n’y a pas beaucoup d’eau ici. « Creuse le sable dans le lit de ce fleuve afin de trouver de l’eau ». « Nous dépendons de cette eau pour tout dans la maison », explique Adama, une habitante du village de Mokolo, dans région de l’Extrême-Nord du Cameroun.

Tout comme elle, Jean-Paul, homme d’affaires résidant au quartier Mimboman à Yaoundé, connaît des problèmes de distribution d’eau depuis plus de 08 mois. Depuis la fin de la Coupe d’Afrique des Nations, la situation est allée de mal en pire. Plus une seule goutte d’eau ne coule des robinets. Assis dans sa cours ce dimanche, 17 avril 2022 à Mimboman, il regarde avec impuissant, les deux châteaux d’eau placés dans l’arrière-cour. « Je les ai achetés pour pallier à la pénurie. Je faisais des réserves pour des semaines. Maintenant, l’eau n’y arrive plus. Je ne sais pas s’il faut les démonter et les revendre », ajoute-t-il. A la direction régionale de la Camerounaise des eaux où il est allé exprimer ses doléances, les responsables ont laissé entendre que la perturbation viendrait du fait que le château d’eau de Mimboman, initialement prévu pour desservir Essos et Mimboman, ravitaille aujourd’hui une douzaine d’autres quartiers de la capitale. D’où la difficulté.

Dieudonné Atangana, habitant Messassi : « Je n’arrive plus à bien me laver. Pour prendre le petit déjeuner, il faut réfléchir. L’eau minérale coûte cher. Si rien n’est fait, nous allons mourir », s’offusque-t-il. Gustave Kamdem, habitant Emana borne fontaine : « Je bois l’eau de source depuis au moins trois mois ». Vous voulez qu’on fasse quoi ? Depuis trois mois, on souffre. Mes sœurs font la lessive, la vaisselle et la cuisine avec l’eau de source. C’est toujours cette eau que nous buvons. Est-ce que la précarité tue le pauvre ? On s’est tellement plaint que ça frise le ridicule. On attend seulement que les microbes nous tuent.

Dans la région du Nord-Cameroun, la situation est pire. Cette région est menacée par des pénuries d’eau extrêmes et la variabilité climatique. Les sols stériles constituent environ 25 à 30 pour cent de la superficie de cette région. Le lac Tchad se rétrécit rapidement tandis que le lac Fianga s’est complètement asséché en décembre 1984.

Gregor Binkert, directeur national de la Banque mondiale au Cameroun, déclare à IPS qu’une crise liée à l’eau est très fréquente dans le Nord et qu’il y a un besoin accru de protection contre les inondations et la sécheresse, qui touchent des gens plus régulièrement. « Le Nord du Cameroun est caractérisé par des niveaux élevés de pauvreté, et il est également très vulnérable aux catastrophes naturelles et aux chocs climatiques, y compris les sécheresses et les inondations », explique Binkert.

Des sécheresses prolongées dans la région de l’Extrême-Nord ont provoqué une forte augmentation des cas de choléra. Le Cameroun observe une résurgence cyclique d’épidémie de choléra dans certaines de ses régions. C’est la situation à laquelle nous assistons depuis le 21 octobre de l’année dernière. Cette épidémie qui sévit actuellement dans les Régions du Sud-ouest et du Littoral, présente, à la date du 05 avril 2022, un bilan faisant état d’un cumul de 4 627 cas notifiés, soit 126 cas dans le Littoral et 100 cas dans le Sud-Ouest. Nous avons enregistré au cours des sept derniers jours, 02 décès, pour un total 105 décès depuis le début de l’épidémie, soit un taux de létalité de 2,3 %.

La tendance générale montre une augmentation annuelle du nombre de cas avec un taux de létalité qui dépasse largement le taux cible recommandé par l’OMS fixé à moins d’1%. Les efforts consentis, ont permis jusqu’ici, de contenir la progression de l’épidémie, en dépit des contraintes en amont liés à la qualité de l’hygiène de vie et à l’accès limité à l’eau potable et l’assainissement.

Mauvaises pratiques d’hygiène

« Le choléra dans est non seulement un problème de pénurie d’eau, il est également aggravé par les mauvaises pratiques d’hygiène qui sont profondément enracinées dans la culture des populations. L’eau est rare et est considérée comme un produit de base très précieux, mais sa manipulation est antihygiénique », explique à IPS, Félicité Tchibindat, la représentante nationale du Fonds des Nations Unies pour l’enfance UNICEF) au Cameroun.

Les pratiques culturelles sont toujours primitives dans la plupart des villages et zones urbaines. Certaines populations du Cameroun ont une culture où les gens partagent publiquement les jarres d’eau, à partir desquelles tout le monde boit. « Ces pratiques et bien d’autres les rendent vulnérables aux maladies d’origine hydrique. C’est la raison pour laquelle le choléra peut se propager facilement à d’autres communautés. Les épidémies de choléra constituent une conséquence de pratiques inadéquates d’approvisionnement en eau, d’assainissement, de sécurité alimentaire et d’hygiène », souligne Tchibindat.

La défécation en plein air est aussi fréquente. Selon l’Atlas mondial des helminthiases, 50 à 75 pour cent de la population rurale défèque en plein air, contre 25 à 50 pour cent des gens dans les zones urbaines. L’accès à une bonne eau potable et à l’assainissement est également très limité. Deux personnes sur trois n’ont pas accès à un assainissement et une l’hygiène adéquate. Alors qu’environ 40 pour cent de la population a accès une bonne eau potable, ce chiffre est beaucoup plus faible dans les zones rurales. Dans les régions rurales du Cameroun, seulement environ 18 pour cent de la population a accès à des sources d’eau potable améliorées, qui se trouvent en moyenne à plus de 30 minutes.

Des problèmes de développement

Le programme ‘Eau, assainissement et hygiène’ (WASH) est vital pour le développement, cependant, la région de l’Extrême-Nord a certaines des infrastructures les plus limitées dans tout le pays, en plus des problèmes de sécurité puisque la région est sans cesse prise à la gorge par le groupe extrémiste Boko Haram du Nigeria. La pauvreté est élevée dans les régions du Nord. Et le problème de la sécurité dans les pays voisins n’a pas aidé le Cameroun à fournir un accès adéquat aux services médicaux dans la région.

Selon l’UNICEF, il y a une faible capacité de coordination pour le programme WASH à tous les niveaux, et un faible leadership institutionnel des questions d’assainissement. La décentralisation du secteur WASH signifie qu’il n’y a pas un soutien adéquat avec la répartition inéquitable des ressources humaines dans les régions. « Le gouvernement et plusieurs partenaires au développement ont fourni des puits artésiens aux communautés et la région compte plus de 1.000 puits artésiens aujourd’hui », déclare u responsable du ministère de l’Eau et de l’énergie.

Mais environ 30 pour cent des puits artésiens ne sont pas fonctionnels et ont besoin d’être réparés, selon l’UNICEF. « Le coût de la fourniture d’eau potable dans la région sahélienne pourrait être trois fois plus élevé que dans le sud. La distance est un facteur important qui influence le coût et le climat aride de la région fait qu’il est difficile d’avoir de l’eau souterraine tout au long de l’année ». Un puits artésien dans la région du nord coûte au moins huit millions de francs CFA, contre deux millions de francs dans d’autres régions.

Les problèmes de soins de santé sont saillants

« L’Extrême-Nord a un accès limité au développement qui a aussi une influence directe sur la qualité des soins de santé », explique Tchibindat. L’indisponibilité des infrastructures et de l’équipement de base dans les centres de santé fait qu’il est difficile d’exercer dans les zones rurales isolées. Par conséquent, la plupart des centres de santé des zones rurales ont un taux élevé de désertion du personnel à cause du faible niveau de développement rural, ajoute-t-elle. Une grande partie des agents de santé du Cameroun, environ 59,75 pour cent, est concentrée dans les régions les plus riches, notamment les régions du Centre, du Littoral et de l’Ouest, desservant environ 42,14 pour cent des 21 millions d’habitants du Cameroun.

Au moins 8 millions de Camerounais vivent en dessous du seuil de pauvreté

Selon cette enquête, sur une population camerounaise estimée à 21 657 488 personnes en 2014, 37,5% sont pauvres soit 8 088 876 de personnes vivant en dessous du seuil de pauvreté qui est de 339 715 Fcfa par équivalent-adulte et par an. Ce sont des personnes qui ne sont pas capables de disposer de 931 Fcfa par jour et par équivalent-adulte pour satisfaire leurs besoins essentiels, à savoir se nourrir et subvenir aux besoins non alimentaires.

Tout comme en 2007, les pauvres au Cameroun en 2014 vivent principalement en milieu rural, soit 90,4% du total de la population pauvre. Les régions d’enquête qui concentrent la majorité des pauvres sont l’Extrême-Nord (35,8%), le Nord (20,1%) et le Nord-Ouest (13,2%). La plupart résident dans les ménages ayant plus de 8 personnes (48%) et dans ceux dont le chef est non scolarisé (46,9%). En outre, les pauvres sont issus des ménages dans lesquels les chefs sont des agriculteurs, des pêcheurs et éleveurs ou exercent leur activité dans le secteur informel agricole. En 2014, indique l’INS, l’on évalue à 775,1 milliards FCFA le montant de ressources à transférer aux individus pauvres pour les sortir de la pauvreté, soit 23,4% du budget de l’Etat pour l’année 2014.

Selon l’Organisation mondiale de la santé

30,9 pour cent des centres de santé au Cameroun ne disposent pas d’un laboratoire d’analyses médicales. 83 pour cent des centres de santé ne disposent pas de salle pour la petite chirurgie.  45,7 pour cent des centres de santé n’ont pas accès à l’électricité. 70 pour cent des centres de santé ne disposent pas d’eau du robinet. « A cause du manque d’équipement dans les hôpitaux, le traitement ne peut que commencer après quelques heures, augmentant la probabilité de la propagation de la maladie », indique à IPS, Peter Tambe, un spécialiste de la santé basé à Maroua, la capitale de la région de l’Extrême-Nord. « Les annonces de nouveaux cas de choléra sont nombreuses dans les villages isolés et les efforts actuels du gouvernement et des partenaires au développement ne sont pas suffisants pour traiter et surveiller également la prévalence », précise Tambe.

Depuis la découverte du choléra dans la région, le gouvernement, l’UNICEF et d’autres partenaires ont doublé leurs services à l’endroit de ces localités afin de renforcer les installations sanitaires et de fournir à la population une aide en matière d’hygiène de base, des comprimés de purification de l’eau et un traitement gratuit pour les malades, indépendamment de leur nationalité, le long de la frontière avec le Tchad et le Nigeria. « Malgré les problèmes d’insécurité auxquels cette région est confrontée, le gouvernement et ses partenaires se sont engagés dans des échanges d’informations avec le Niger, le Tchad et le Nigeria pour éviter d’autres cas transfrontaliers », indique le ministre de la Santé publique du Cameroun à IPS.

E.S.N

Comments are closed.

ECHOS SANTE

GRATUIT
VOIR